• Tenir une lampe allumée

    La parabole des dix vierges

     La parabole des dix vierges
     Phoebe Anna Traquair (1852-1936)
     Église Mansfield Traquair, Édimbourg
     (Stephen C. Dickson / Wikipedia)

    Les lectures : Les dix jeunes filles : Matthieu 25, 1-13
    Les lectures : Sagesse 6, 12-16 ; Psaume 62 (63) ; 1 Thessaloniciens 4, 13-18.
    Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

    Le lecteur qui n'approfondirait cet évangile n'y verrait qu'un appel à la vigilance énoncé dans le dernier verset : Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure (v. 13). D'autres lecteurs comme certains Pères de l'Église voudront donner plusieurs sens à chaque détail de la parabole. L'allégorie était une manière fréquente d'interpréter l’Écriture dans les premiers siècles chrétiens. En évitant ces deux extrêmes, entreprenons une découverte de la signification des différents éléments de ce récit qui décrit plusieurs aspects de la spiritualité chrétienne.

    Les symboles

    En comparant plusieurs paraboles, les spécialistes du Nouveau Testament affirment que le Christ est l'Époux attendu par les dix jeunes filles, probablement des filles d’honneur qui accompagnent la future épouse. Elles évoqueraient l'humanité qui se prépare à entrer dans les noces messianiques. L'Esprit Saint représente l'huile qui alimente les lampes qui sont des illustrations de la conscience de chaque personne.

    La Sagesse

    Pour les premiers chrétiens et chrétiennes, la Sagesse de l'Ancien Testament n'est plus cette connaissance érudite de la Loi mosaïque que possédait les prêtres du Temple et les pharisiens. La Sagesse personnifie désormais pour ces mystiques de la première heure l'Esprit Saint. Comme la Sagesse, il constitue le bien ultime qui dépasse tous les biens terrestres. L'être humain qui axe son existence sur le Christ et sa grâce fait donc preuve d'un parfait jugement. L'être humain ne peut pas détruire l'Esprit. Comme la Sagesse, il est inaltérable. La Sagesse peut aussi être contemplée, saisie par le coeur des gens. L'Esprit n'est pas une réalité qui apporte dans la conscience des personnes le cynisme et la désillusion sur l'état de notre monde. La Sagesse a un visage souriant, elle délivre les gens de leurs soucis matériels étriqués. La Sagesse trouvera ceux qui la cherchent, qui ont un intérêt pour elle. La parabole rappelle que les lampes peuvent manquer d'huile.Une référence à la parabole du Semeur (Mt 13,3-9.18-23) indique symboliquement les trois raisons fondamentales qui peuvent causer cette pénurie.

    Les raisons

    Dans la parabole du semeur, la première raison énoncée par le Christ est le diable. Dans un contexte moderne, le diable serait ce qui dégrade l'âme humaine : le jeu excessif, les drogues illégales, l'alcool, les doctrines sectaires qu'un gourou a structuré et qui font miroiter un faux bonheur, la soif de pouvoir ou de gloire. Le deuxième motif qui empêche l'Esprit de demeurer dans les cœurs est l'épreuve. Aujourd'hui peu de croyantes et de croyantes de chez nous donnent leur vie au nom de la foi. Cependant, ils subissent souvent du harcèlement psychologique. Ils sont ridiculisés et même attaqués dans les médias. Des baptisés choisiront de moins se concentrer sur le Christ pour se sentir moins idiots dans une société où la science réclame l'unique droit à la vérité. Enfin le matérialisme constitue la dernière raison. Les personnes basant leur vie sur la recherche du bien-être terrestre discerneront de moins en moins l’action de l'Esprit dans leur vie puisqu'Il ne constitue plus leur principal centre d'intérêt. Un baptisé peut succomber à ces obstacles à tout moment dans sa vie. La prudence est donc ici de mise. Le disciple du Seigneur doit fréquemment replonger dans sa conscience pour veiller à ce que son attachement au Ressuscité reste solide. L'intelligence accompagne cette prudence. Il faut être rusé comme un renard pour parfois demeurer dans la voie tracée par le Christ. Cette faculté aide à ne pas s'embourber dans des circonstances qui amèneraient un baptisé à prendre une décision incompatible avec les valeurs chrétiennes. Et il faut aussi être tenace. La routine quotidienne peut parfois user la persévérance chrétienne. Il faut donc constamment entretenir la relation au Christ en lui consacrant du temps dans le tourbillon de l'existence moderne. Il faut donc rester vigilant pour être prêt lors du retour de l'Époux. Cette vigilance est composée des trois éléments cités : prudence, ruse et ténacité.

    Les noces

    Les noces symboliseraient le Royaume de Dieu. Ce symbole évoque l'atmosphère qui régnera dans les cieux : la joie et l'amour. Dans l'Ancien Testament, le Cantique des Cantiquesenvisageait déjà que l'amour prédominait dans la relation entre Dieu et les êtres humains. Jésus reprend cette donnée à de multiples reprises dans sa prédication. Il a  érigé en règle suprême pour l'Église l'amour de Dieu et du prochain. Dans la parabole, l'attente de l’Époux représente l'ère actuelle où les disciples du Seigneur espèrent son retour définitif. Et le retour de l'Époux symbolise le Jugement dernier. La deuxième lecture (1 Th 4,13-18) rappelle certains points concernant les derniers moments de notre univers matériel. Jésus, l'Époux, revient. Les élus qui ont conservé leur conscience éclairée par l'Esprit seront unis, mariés au Sauveur dans la chambre des noces, le Royaume. Cette union provient de la communion entre l'humanité et la divinité que le Ressuscité a réalisée dans sa personne. En se confiant totalement au Père qui lui avait promis de le ramener à la vie après sa mort, Jésus ressuscité a rétabli dans son intériorité le lien brisé par la méfiance humaine envers un Créateur qui aimait pourtant les habitants intelligents de l'univers qu'il avait modelé. Paul ajoute qu'il y aura encore des êtres humains lorsque l'Époux reviendra. Ceux-ci parviendront au Royaume en même temps que les morts qu'il fera renaître. Cette conviction de Paul permet d'être optimiste.

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    Source : Le Feuillet biblique, no 2550. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Diocèse de Montréal.

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  • Quand Jésus apostrophe les pharisiens

    Le Christ et les pharisiens

    Le Christ et les pharisiens
    Anthony van Dyck, début du 17e siècle
    Esquisse au crayon et à  l’encre, 15,2 x 21,5 cm
    MET Museum, New York

    Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

    Le début du chapitre 23 de l’Évangile selon Matthieu permet une très belle réflexion sur l’humilité et le danger de l’hypocrisie religieuse. Cependant, la suite de ce chapitre part de ces exhortations adressées aux pharisiens pour verser dans l’insulte et la malédiction. Pour comprendre les paroles surprenantes de Jésus au chapitre 23, il est nécessaire de situer l’Évangile selon Matthieu dans son rapport complexe avec le judaïsme.

    Le rapport complexe à Israël

    Matthieu a souvent été qualifié d’évangile « le plus juif ». En effet, le premier chapitre s’ouvre avec une liste d’une quarantaine de noms de personnages de l’histoire d’Israël. Le récit de l’origine de Jésus est en fait une synthèse de l’histoire d’Israël. Puis, dans le récit de sa naissance, on retrouve cinq citations qui indiquent comment les événements accomplissent les paroles des prophètes. La suite de l’évangile révèle le lien étroit entre cet écrit et la tradition juive.

    En même temps, il y a des versets qui distancient l’auditoire de Matthieu des personnes qui fréquentent « leurs synagogues ». On retrouve même des passages qui ont donné lieu à des interprétations antisémites comme les insultes violentes de Jésus proféré contre les scribes et les pharisiens au chapitre 23 : Serpents, engeances de vipères, comment pourriez-vous échapper au châtiment de la géhenne? (Mt 23,33) Comment comprendre ce rapport paradoxal entre Israël et l’Évangile selon Matthieu?

    Qui forme la communauté de Matthieu?

    Traditionnellement, les exégètes affirmaient que la communauté de Matthieu était composée de Juifs devenus chrétiens. Cette façon de présenter les choses n’est pas fausse, mais elle est un peu anachronique. Au premier siècle, le mot « chrétien » n’était pas encore utilisé et le mot « Juif » était une référence plutôt nationale que religieuse. Les découvertes de Qumrân ont montré que l’identité juive était très fragmentée à cette époque. Tout laisse croire que les premiers auditeurs de l’Évangile selon Matthieu suivaient Jésus comme Christ et se considéraient comme faisant partie d’Israël. En fait, ils se considéraient même comme le véritable Israël puisqu’ils ont su reconnaître le Messie de Dieu.

    Avec son interprétation créative des traditions théologiques d’Israël, la communauté de Matthieu affirme qu’ils sont les seuls garants légitimes de ces traditions. La caractérisation d’Hérode dans le récit de la naissance de Jésus, celle des scribes et des pharisiens au cours du ministère de Jésus ainsi que celle des autorités juives de Jérusalem lors de la passion mène les lecteurs à développer un regard négatif sur ceux-ci. En quelque sorte, l’ecclésiaremplace les autorités d’Israël.

    L’usage des Écritures par Matthieu est un moyen par lequel sa communauté s’identifie avec l’histoire d’Israël. Indirectement, ce processus dépouille ses adversaires juifs de cette identité puisqu’ils ne partagent pas la conviction que Jésus est le Messie, le point culminant de l’histoire de la relation entre Dieu et son peuple. Ce renversement permet à la communauté de Matthieu de relire le passé à la lumière d’un présent qui a radicalement changé avec la mort et la résurrection de Jésus.

    Un conflit entre frères

    C’est justement parce que la communauté de Matthieu se considère comme Israël qu’ils sont en conflit avec les autres façons « d’être Israël ». Le récit de Caïn et Abel (Gn 4) est une excellente métaphore pour montrer que la violence est potentiellement plus grande entre des personnes qui sont si proches qu’on pourrait dire qu’ils sont frères. Le sang d’Abel est justement évoqué à la fin du chapitre 23 pour associer les scribes et pharisiens au meurtre de Caïn.

    De quels pharisiens parle-t-on?

    Matthieu présente les pharisiens de façon extrêmement défavorable. Ils sont décrits comme des hypocrites demandant aux autres de suivre des observances minutieuses qu’eux-mêmes contournent. Ils semblent inflexibles dans leur application de la Loi. On y souligne aussi leur cupidité et leur orgueil.

    Toutefois, historiquement il est probable que Jésus ait été proche de ce mouvement. Plusieurs ressemblances existent sur le plan de la foi entre Jésus et les pharisiens. Par exemple, ces derniers croyaient à la résurrection, à la vie éternelle et au retour du Messie, alors que d’autres Juifs, comme les sadducéens, n’y croyaient pas. Aussi, comme les pharisiens, Jésus était en conflit avec les autorités qui contrôlaient le Temple et qui participeront à sa condamnation à mort.

    Après la destruction du Temple en 70, les pharisiens, au cœur du système des synagogues, prennent en charge le monde religieux juif. Au moment de l’écriture de l’Évangile selon Matthieu, sa communauté est prise dans un conflit avec ce groupe. Les pharisiens expulsent des synagogues les juifs suivant Jésus, et ainsi, enclenchent ce qui mènera à deux religions distinctes. Les auteurs des Évangiles ont été touchés par cette tension. Ainsi, dans leurs récits, ils projettent sur les pharisiens des années 30 les tensions avec les pharisiens des années 70-90.

    D’ailleurs, la description que fait le Nouveau Testament de l’interprétation sèche et minutieuse de la Loi par les pharisiens est réfutée par le vaste corpus de littérature juive qui montre, au contraire, que ceux-ci portaient un souci réel de l’interprétation de la Torah dans la vie de tous les jours. Malheureusement, la mauvaise réputation des pharisiens est restée, et leur nom a servi à désigner les hypocrites religieux, ce qui n’a aucun lien avec le véritable esprit pharisien.

    Scribes et pharisiens du 21e siècle

    Le chapitre 23 de Matthieu interpelle les personnes qui lisent et entendent ce texte aujourd’hui à garder certaines exigences éthiques. Il est fréquent que les politiciens cherchent à se faire voir et d’avoir les premières places dans les événements publics. Sont-ils au service de leurs concitoyens ou au service de leur image? La réflexion vaut aussi pour notre Église. Alors que les textes de l’Antiquité montrent qu’entre eux, les chrétiens s’appelaient frères et sœurs en prenant les indications de l’Évangile de façon plus littérale, nous n’avons pas de problème de nos jours à donner une série de titres honorifiques qui ont été créés à la cour pontificale du Moyen Âge et de la Renaissance. Ces différents titres sont une façon pour l’Église de récompenser les bons et loyaux services. L’important n’est pas de dénoncer ces titres en appliquant littéralement les paroles de Jésus, mais plutôt de veiller à construire une communauté fraternelle dans notre Église. Bien entendu, la meilleure façon de le faire est sans doute de commencer par veiller à remettre en question nos propres hypocrisies.

    Je termine par une note personnelle. J’aime beaucoup le chapitre 23 de Matthieu. Loin des catéchèses des années ‘80 qui présentaient un Jésus aseptisé comme mon « ami », ce chapitre permet de prendre conscience de la radicalité d’un Jésus qui dérange. Si Jésus meurt crucifié, c’est parce qu’il a osé dénoncer les pratiques qu’il jugeait inacceptables. Au lieu d’être surpris par la colère de Jésus, peut-être que nous devrions nous inquiéter de notre difficulté à nous indigner?  

    Quand Jésus apostophe les pharisiens - InterBible

     

     

     

    Source : Le Feuillet biblique, no 2549. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Diocèse de Montréal.

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  • Jésus, maître de l’essentiel

    Les pharisiens questionnent Jésus

    Les pharisiens questionnent Jésus
    James Tissot, entre 1886 et 1894
    Brooklyn Museum, New York 
    (photo : Wkipedia)

    Le premier de tous les commandements : Matthieu 22, 34-40

    Les lectures : Exode 22,20-26 ; Psaume 17 (18) ; 1 Thessaloniciens 1,5c-10
    Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.

    Avec ses 613 commandements, la Loi de Moïse était compliquée à mettre en pratique pour les membres du peuple de l’alliance. C’est pourquoi il n’était pas rare de consulter les maîtres religieux juifs du temps afin d’obtenir d’eux le secours de principes pouvant simplifier leur observance de la Torah. Les maîtres entre eux s’adonnaient volontiers et longuement à ces exercices de « mise en ordre » et de « hiérarchisation » des commandements. « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement? », la question du docteur de la Loi posée à Jésus est donc un classique du genre, le cas typique du rabbi qui en consulte un autre pour comparer, valider, consolider ses propres positions. Ces discussions d’érudits de la Loi constituaient d’ordinaire un exercice bienveillant marqué par une recherche d’édification et de croissance spirituelle. Toutefois ici, le climat est hostile. Ce n’est pas par souci d’édification que l’on questionne Jésus, mais bien pour le prendre au piège, comme l’évangéliste prend la peine de nous le préciser.

    Un contexte hostile

    Mais pourquoi cette hostilité envers Jésus? Pour mieux la comprendre, resituons l’extrait dans l’ensemble de l’évangile de Matthieu. Peu avant sa mort, Jésus est à Jérusalem, la Ville Sainte où il vient, quelques jours auparavant, d’entrer triomphalement (Mt 21,1-11). Les foules avaient reconnu en lui le Messie humble monté sur un ânon annoncé par le prophète Zacharie (Za 9,9), scandant joyeusement à son endroit des titres messianiques.  Avait suivi immédiatement l’épisode du Temple duquel Jésus chassa les vendeurs (Mt 21,12-17). Coup sur coup, ces deux évènements eurent tôt fait d’irriter les autorités religieuses de la ville (prêtres, scribes et anciens, pharisiens et sadducéens) avec lesquels Jésus se verra immédiatement confronté (Mt 21,23). Après tout, ne leur appartient-il pas à eux, plutôt qu’au simple peuple, le rôle d’authentifier l’identité du Messie quand il viendrait ? On sent déjà se profiler la passion de Jésus. On demande des comptes à Jésus qui, en réponse, leur servira trois paraboles de « rendez-vous manqués » qui les visent directement, les faisant mal paraître [1]. Par la suite, ses adversaires, cherchant matière à condamnation, riposteront en lui tendant trois pièges dont l’évangile de ce dimanche constitue le troisième. Voilà où nous en sommes dans notre lecture dominicale de l’Évangile selon Matthieu.

    La Loi et les prophètes !

    Évidemment, Jésus ne tombe pas dans le piège! Se hissant au dessus de la mêlée, il sait toujours, en toute liberté, ramener ses interlocuteurs à l’essentiel, au cœur de Dieu. Aussi, à ses détracteurs versés dans l’Écriture, c’est avec l’Écriture qu’il répond ! D’abord avec un verset tiré du fameux Shema Israël, cette exhortation donnée par Moïse à son peuple (Dt 6,4-9), devenue une sorte de leitmotiv ou de profession de foi que le juif pieux récite chaque jour, à son lever et à son coucher. Le verset du Shema cité par Jésus enjoint à aimer Dieu, le Dieu unique, de tout son cœur, de tout son esprit et de toute sa force. En prenant ainsi un joyau de la foi juive pour en faire le grand, le premier commandement, Jésus s’inscrit dans la sagesse d’Israël à laquelle ne pourront certes pas s’opposer ses adversaires attachés à la Loi.

    Mais c’est aussi par ce second commandement qui lui est semblable que Jésus respecte et honore la Loi d’Israël. En effet, ce second commandement, Jésus le prend aussi dans l’Écriture, au livre du Lévitique C’est ainsi que tu aimeras ton prochain comme toi-même. C’est moi le Seigneur (Lv 19,18). C’est n’est pas une nouveauté qu’apporte Jésus, la Loi de Moïse et la prédication des prophètes juifs liaient déjà l’amour de Dieu à l’obligation d’aimer son prochain pour vivre à la hauteur de la dignité d’appartenir au Seigneur, de vivre en alliance avec Lui. La première lecture (Exode 22,20-26) de ce dimanche nous offre un bel exemple de l’attitude de charité concrètement exercée envers les plus pauvres que le Seigneur attend de ses enfants au nom de leur appartenance au peuple de l’alliance. « Peuple d’Israël, tu as été libéré de l’oppression d’Égypte par le Dieu libérateur qui t’a aimé; deviens toi-même ce libérateur aimant, à ton tour et en Son Nom, auprès de tes semblables », telle serait la logique sous-tendant les paroles de la Loi que Moïse transmet ici à son peuple; l’esprit de la Loi, en somme.

    Les prophètes de l’Ancien Testament ne diront pas autrement. Leur prédication lie aussi très souvent amour de Dieu et amour du prochain. De la façon la plus éloquente, Isaïe nous rappellera cette cohérence exigée entre ces deux amours par ce célèbre plaidoyer du « jeûne que Dieu préfère » (Is 58) : la miséricorde  et libération des jougs doivent précéder ou accompagner tout geste religieux, par ailleurs légitime (jeûne, prière, repos du sabbat).

    Jésus, maître inspirant

    La Loi et les prophètes, c’est-à-dire toute la Bible hébraïque, se trouvent ainsi résumés par ces deux commandements égaux en importance, nous dit Jésus. Loin de tomber dans le piège tendu par ses adversaires, Jésus, fidèle à son habitude, subjugue par une réponse qui atteint deux cibles à la fois. Puisant dans  le trésor d’Israël, elle contentera ses contemporains juifs, fidèles à Moïse, qui y trouveront un aide-mémoire pratique facilitant leur observance de la Loi. Mais c’est aussi au cœur du nouveau peuple de Dieu, l’Église, que cette parole résonne comme un condensé extraordinairement inspirant de l’Évangile à venir.

    La leçon des deux commandements nous convainc de la stature magistrale de Jésus. Car il n’est pas de maître plus inspirant que celui qui pratique parfaitement ce qu’il enseigne!

    [1] La parabole des deux fils (Mt 21,28-32), celle des vignerons révoltés (Mt 21,33-46) et celle du banquet nuptial (Mt 22,1-14).

    Patrice Bergeron

    Source : Le Feuillet biblique, no 2548. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Diocèse de Montréal.

    source http://www.interbible.org/

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  • ACTUALITÉS

    Coup de théâtre, un odéon retrouvé au pied du Mur Occidental


    par Christophe Lafontaine |  17 octobre 2017

    Vestige de l'odéon romain (IIe-IIIe siècle) découvert au pied du Mur Occidental (Photo du 16/10/2017). ©Yonatan Sindel/Flash90

    Des archéologues israéliens ont présenté lundi 16 octobre 2017 un nouveau pan du Mur des Lamentations à Jérusalem récemment mis au jour, ainsi qu'un bâtiment public romain, ressemblant à un petit théâtre. Inédit.


     

    Après deux ans de fouilles, des archéologues israéliens ont présenté lundi leurs dernières trouvailles lors d’une conférence de presse. Ils ont récemment mis à la lumière une partie du Mur Occidental (dit des Lamentations) vieux de 2000 ans. Les archéologues font état de pierres très bien conservées et de grande qualité bien que l'ensemble soit resté sous terre pendant 17 siècles. Ensevelie sous une couche de terre de 8 mètres, dans les tunnels du Mur occidental, cette section du mur est large de 15 mètres et haute de huit mètres. Le Mur des Lamentations est le seul vestige d'un mur de soutènement du deuxième Temple juif détruit par les Romains en l'an 70. Pour mémoire, une autre section du Mur des Lamentations avait été révélée en 2007.

    Lors de ces fouilles, les archéologues de l’Autorité des Antiquités d’Israël (AAI)  sont aussi tombés à leur grande surprise sur les vestiges d’un édifice public romain de forme circulaire. Il aurait été érigé au IIème ou IIIème siècle après J-C près du Mont du Temple (Esplanade des Mosquées pour les musulmans). « Du point de vue de la recherche, c’est une découverte sensationnelle », s’émeuvent les archéologues du site, Joe Uziel, Tehillah Lieberman et Avi Solomon dans un communiqué, alors qu’ils s’attendaient à trouver une rue romaine à la base du mur. C’est la première fois qu’un tel bâtiment public romain est mis au jour au pied du mur dans la vieille ville de Jérusalem. Dans son communiqué, l’Autorité des Antiquités a précisé qu’il n‘était pas possible de déterminer si ce bâtiment était voué à organiser des réunions de l’administration romaine ou servait comme lieu de spectacles. Sa taille « relativement petite » et « son emplacement, sous un espace couvert (…), nous amène à penser qu’il s’agit d’une structure connue dans le monde romain sous le nom d’Odéon », est-il indiqué dans le communiqué. De fait, les chercheurs du site font état d’un espace de 200 places. Une envergure plutôt modeste par rapport aux théâtres romains de Césarée, Beit She'an ou Beit Guvrin. Dans la plupart des cas, de telles structures étaient utilisées pour des représentations acoustiques, comme les structures connues sous le nom de « bouleutérion », l'ancêtre du siège du conseil municipal. Enfoui dans la terre pendant des siècles, ce petit auditorium est situé sous l'Arche de Wilson du nom de Charles Wilson, un archéologue britannique ayant effectué des fouilles au XIXe siècle dans cette partie de la Vieille ville. L’arche - un pont qui reliait l’esplanade du temple d’Hérode à la ville haute - est l'un des éléments restés intacts de l'époque du Second Temple.

    Cependant, même si la destination finale de l’auditorium n’est pas complètement connue, cette découverte confirme des écrits historiques décrivant un théâtre près du Mont du Temple. Les références se retrouvent dans les textes de Flavius Josèphe et dans les écrits de la période qui a suivi la destruction du Second Temple, lorsque Jérusalem est devenue une colonie romaine appelée Ælia Capitolina. Mais l’odéon avait jusque-là échappé aux fouilles de Jérusalem pendant environ 150 ans depuis  l’époque des premières fouilles modernes. Dans les années 1860, l'archéologue britannique Charles Wilson fut le premier à chercher un tel théâtre dans les environs du Mur occidental. « Beaucoup de théories ont été avancées quant à l’emplacement de ces complexes, mais ils étaient sans fondement archéologique jusqu’à cette dernière découverte », explique le communiqué de l’Autorité des Antiquités d’Israël. Inachevé, la construction de l’odéon a probablement été interrompue au moment  d'une révolte des Juifs contre les Romains, la fameuse révolte de Bar Kokhba (vers132-136 après JC). Il s’agissait de la seconde insurrection des juifs de la province de Judée contre l'Empire romain. Des constructions inachevées de cette période ont été d’ailleurs découvertes par le passé lors des fouilles du site archéologique du Cardo.

    Crapauds d’outre-tombe à la lumière du jour

    Ces découvertes seront présentées au public le 18 octobre 2017 lors d’une conférence intitulée « Nouvelles études dans l’archéologie de Jérusalem et sa région » qui se tiendra à l’Université hébraïque. Parmi les récentes fouilles, l'Autorité des Antiquités d'Israël présentera également ses recherches sur les coutumes funéraires durant la période cananéenne suite à la découverte de restes de crapauds retrouvés à Jérusalem dans une tombe datant de 4 000 ans. Dans un communiqué en date du 25 septembre 2017, l'Autorité des antiquités avait en effet indiqué que neuf batraciens décapités avaient été retrouvés dans une jarre bien conservée à l’intérieur d’une tombe datant de la période cananéenne de l'âge du bronze moyen. Selon les deux directeurs de recherche, Shua Kisilevitz et Zohar Turgeman-Yaffe, le fait d’avoir trouvé des tombeaux intentionnellement scellés est un « trésor inestimable » qui permet aux archéologues d’étudier des objets quasiment dans leur état d’origine et de mettre en lumière les coutumes funéraires de l'époque D'après les chercheurs, les squelettes des crapauds retrouvés en contexte sépulcral, feraient partie d'une offrande pour un défunt qui devait les utiliser dans l'au-delà. Ce cas de figure expliquerait pourquoi les crapauds auraient été décapités. Habituellement, pour retirer la peau toxique du crapaud, on lui coupe la tête et les orteils. La présence de ces crapauds d’outre-tombe porterait aussi une valeur apotropaïque – comme c’est le cas dans les civilisations gréco-romaines plus récentes - c’est-à-dire qui conjure le mauvais sort et vise à détourner les influences maléfiques. Il est possible également que le crapaud rappelle la renaissance ; lui qui hiberne au fond d’un terrier pendant l’hiver, puis réapparaît au printemps. Cette interprétation est couramment privilégiée par les auteurs souhaitant expliquer la présence d’amphibiens tétrapodes (grenouilles, crapauds, salamandres) en contexte funéraire.

    Palmiers et buissons de myrtes

    Les fouilles ont débuté en 2014 avant l'expansion du quartier de Manaḥat, près du zoo biblique de Jérusalem. Selon Shua Kisilevitz et Zohar Turgeman-Yaffe, la section du bassin de Nahal Rephaim, où la tombe a été découverte, était autrefois un terrain fertile, en particulier pendant la période cananéenne. Les fouilles ont ainsi permis d’apporter la preuve de la culture de palmiers et de buissons de myrtes, éventuellement dans le cadre de rituels funéraires. Des pollens ont été retrouvés les pots sortis de terre. « Avant que les jarres ne soient installées dans la tombe, elles semblent avoir été en contact avec des plantes qui n'étaient pas originaires de la région, ce qui suggère que ces dernières ont été plantées spécialement pour la réalisation des rituels funéraires », a expliqué le Dr Dafna Langgut de l'institut d’archéologie de Tel-Aviv. De fait, la myrte provenait du nord du pays et les palmiers-dattiers de la vallée du Jourdain. « Au cours de cette période, le palmier dattier symbolise la fertilité et le rajeunissement, ce qui pourrait expliquer pourquoi les anciens cultivent les arbres dans cet environnement, où ils ne poussent pas naturellement » explique Dafna Langgut.

    A noter aussi qu’au cours des dernières années, « des fouilles dans la région ont permis de découvrir deux sites de peuplement, deux temples et plusieurs cimetières, qui donnent un aperçu de la vie de la population locale à cette époque », ont déclaré les chercheurs dans le communiqué.

    source http://www.terrasanta.net/

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  • « Blablabla, blablabla, et patati et patata... »

    Le vin et la musique

    Le vin et la musique (mosaïque antique)

    On trouve de tout dans la Bible, même des syllabes qui ne présentent aucune cohérence. Voici un texte d’Isaïe qui critique les prêtres et prophètes de Jérusalem en les présentant comme des ivrognes incapables de comprendre la parole de Dieu.

    En voici encore que le vin égare, que les boissons fortes font tituber : ce sont les prêtres et les prophètes, égarés par les boissons fortes, désorientés sous l’effet du vin. Les boissons fortes les font tituber, ils s’égarent dans leurs visions, ils s’embrouillent en rendant leurs sentences. Leurs tables sont toutes couvertes de ce qu’ils ont vomi, leurs saletés sont partout. Ils demandent : « À qui cet Ésaïe veut-il faire la leçon et expliquer ses révélations ? À des enfants fraîchement sevrés ? À des bambins qu’on vient d’ôter du sein de leur mère ? Écoutez-le : Blablabla, blablabla, et patati et patata. » Eh bien, c’est dans un langage inintelligible, dans une langue étrangère, que le Seigneur va désormais s’adresser à ce peuple ! Il leur avait pourtant dit : « Ici vous trouverez du répit ; laissez-y se reposer ceux qui sont fatigués. C’est un endroit tranquille. » Mais ils n’ont rien voulu entendre.

    Alors la parole du Seigneur sera pour eux aussi dénuée de sens que « Blablabla, blablabla, et patati et patata. » Finalement ils tomberont à la renverse, se casseront les reins, s’empêtreront les pieds sans pouvoir se dégager. (Is 28, 7-13)

    Déjà, la description assez graphique des prêtres ivres vomissant sur leurs tables est un premier élément insolite. Le vin faisait partie des rituels religieux. L’abus de ce vin empêche les prêtres et les prophètes d’être à l’écoute de la Parole de Dieu énoncée par Isaïe.

    Le deuxième élément qui attire notre curiosité est le « blablabla, blablabla, et patati et patata » qui revient par deux fois. En hébreux, il s’agit de mots dont l’ensemble forme une phrase incohérente. Il est qualifié de langage pour bébé, de langage incompréhensible et de langue étrangère. Ce passage sarcastique rit des prêtres si ivres qu’ils ne réussissent pas à comprendre les mots énoncés par le prophète Isaïe. À leurs oreilles, le message de ce prophète est incompréhensible.

    À la fin du texte, de façon comique, les prêtres ivres tombent à la renverse, se brisent les reins et sont capturés. Ces mots peuvent être reliés à Is 8,15 qui indique que « beaucoup trébucheront, tomberont, se briseront, seront pris au piège et capturés » en évoquant la destruction de Jérusalem par les Babyloniens.

    Ainsi, si ce texte ne dénonce pas le fait d’être ivrogne, il accuse les responsables religieux de Jérusalem qui malgré les avertissements d’Isaïe n’ont pas porté attention à la parole de Dieu. Dans la perspective du prophète, cette faute grave fait partie des raisons qui ont mené à la destruction de Jérusalem et de son Temple.

    Sébastien Doane

    source www.interbible.org

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  • Présentation du livre de Judith : les personnages 3/3

    SargonNabuchodonosor et Holopherne, les antagonistes

    Nabuchodonosor, roi d’Assyrie, est présenté comme l’ennemi archétypique d’Israël. En effet, ce personnage fictif combine à la fois le Nabuchodonosor historique, roi de Babylone qui vainquit le Royaume de Juda en 587 av. J.-C, et le roi des Assyriens [1] qui écrasa le Royaume du Nord, Israël, en 722 av. J.-C. Son général en chef porte un nom perse, Holopherne. Assyriens, Babyloniens et Perses sont ainsi convoqués pour caractériser Nabuchodonosor et son envoyé comme l’Ennemi par excellence, « à la puissance trois », des fils d’Israël.

    Nabuchodonosor est le type même du conquérant, mû uniquement par le désir de gloire et de puissance. Après avoir essuyé un affront, il décide de se venger de « toute la terre » (2,1), lui-même se considérant comme « le Seigneur de toute la terre » (2,5), autrement dit, à l’égal de Dieu. Pour le lecteur du récit, supposé bien connaître les traditions bibliques, Nabuchodosor se présente donc, dès le début du récit, comme un opposant au seul Dieu véritable, maître du ciel et de la terre.

    Holopherne est présenté comme le fidèle exécutant du roi. La répression terrible qu’il fait peser sur les pays conquis ou soumis s’exerce aussi sur le plan religieux (3,8). Malgré la puissance qui est la sienne, il n’est pas un homme sage : il refuse d’écouter un homme de guerre expérimenté qui connaît bien les Judéens et leur dieu, à savoir Achior, tandis qu’il se laisse berner par Judith qui lui raconte des mensonges. Il manque également de prudence en se laissant aller à boire plus que de raison en présence d’une transfuge qu’il ne connaît guère. Puissant, vautré dans un luxe insolent, violent, tyrannique, sûr de lui, porté sur la boisson et dépourvu de sagesse, Holopherne est le type même du potentat perse tel qu’on le trouve dans les romans hellénistiques et dans les écrits bibliques tardifs tels le livre de Daniel ou Esther.

    Achior, le converti

    Ammonite, Achior est membre d’un peuple considéré comme un ennemi notoire d’Israël [2]. Pourtant, très vite, il cesse d’apparaître comme opposant. Son nom crée déjà une brèche : en hébreu, « Achior » peut signifier « mon frère est lumière » ou « mon frère de lumière ».

    À la demande d’Holopherne qui cherche des renseignements sur ce peuple qui ose lui résister, Achior prend la parole et raconte à Holopherne l’histoire d’Israël telle qu’il la conçoit et qui peut se résumer en ces termes : tant qu’Israël ne pèche pas contre son Dieu, celui-ci le soutient. Mais s’il en vient à pécher, Dieu lui retire son soutien et permet qu’il tombe entre les mains de ses ennemis (5,17-18). Ce discours est inacceptable pour Holopherne qui condamne Achior à partager le sort des assiégés : « Qui donc est Dieu hormis Nabuchodonosor ? » (6,2). De fait, c’est avec Achior que se pose explicitement une des questions centrales du récit : Quel est le véritable souverain de la terre ? Remarquons que même au moment de la sentence d’Holopherne, Achior ne revient pas sur ses propos. Contrairement aux habitants de Béthulie qui envisagent de se rendre, même si cela signifie devoir adorer Nabuchodonosor (3,8), Achior le païen est prêt à risquer la mort pour avoir évoqué les hauts faits de Dieu.

    Après la décapitation d’Holopherne et le retour de Judith à Béthulie, Achior demande la circoncision (14,10). Et le récit ajoute qu’il « fut admis dans la maison d’Israël jusqu’à ce jour » (14,10). Cette conversion est loin d’être anodine car la Bible ne raconte guère de conversion de païen.

    Achior se caractérise du début à la fin du récit par son intégrité et sa fermeté qui contrastent avec la foi défaillante des autorités et des habitants de Béthulie. Finalement, non sans ironie, le récit le présente comme le seul véritable modèle du croyant [3] – Judith étant le modèle de la croyante – dont la foi ne fléchit pas dans l’adversité. Cela constitue incontestablement une provocation adressée au lecteur : est-il capable d’accueillir la conversion de l’étranger qui peut être plus méritant que lui ? Sa foi est-elle à la hauteur de celle de cet Ammonite ?

    Judith, l’héroïne

    Judith, l’héroïne qui donne son nom au livre, est de loin le personnage le plus étonnant du récit. Il est vrai que dès son entrée en scène, elle casse tous les clichés : bien que veuve, elle est belle et riche, gouvernant sa maison de manière indépendante. Elle n’a pas eu d’enfant mais ne s’est pas remariée et vit retirée du monde. Cependant, elle est au courant de ce qui se passe dans la ville. Malgré son jeune âge, les anciens de la ville se rendent à son invitation et l’écoutent, y compris quand elle leur reproche leur manque de foi, avant d’annoncer que par son entremise, « le Seigneur visitera Israël » (8,33).

    Avant de se rendre dans le camp ennemi, Judith adresse à Dieu une longue prière. A-t-elle été entendue ? Le récit ne le dit pas car la seule mention de Dieu dans les propos du narrateur se limite au chapitre 4, au moment où l’armée assyrienne se dirige sur Jérusalem et que la population prie ardemment : « Le Seigneur entendit leur voix et regarda leur détresse. » (4,13) Mais cette unique mention n’est pas suivie d’une description de l’agir divin et les habitants de Béthulie n’ont pas la possibilité de savoir si Dieu les a entendus. De son côté, le lecteur sait que Dieu a vu et entendu, mais il ignore ce qu’il va faire…
    Au moment de trancher la tête d’Holopherne endormi, Judith se tourne de nouveau vers Dieu : « ‘‘Fortifie-moi en ce jour, Seigneur Dieu d’Israël.’’ Elle frappa deux fois sur son cou de toute sa vigueur et lui ôta la tête. » (13,7-8) Peut-on prier Dieu pour lui demander assistance dans un plan impliquant la tromperie, qui plus est la tromperie d’un hôte ? Peut-on demander à Dieu l’assistance pour tuer un ennemi endormi ? De nouveau, le récit ne dit pas que Dieu entend. Le lecteur est donc laissé à son propre jugement en ce qui concerne la suite du récit.

    Force est de constater que Judith réussit son entreprise, ce qui relève quasiment du miracle : après avoir coupé seule la tête d’Holopherne en deux coups – un véritable tour de force pour une « faible » femme – c’est sans encombre qu’elle et sa servante parviennent à regagner Béthulie, la tête d’Holopherne dans leur panier à provision.

    Une fois parmi ses concitoyens, Judith leur raconte son équipée, attribuant à Dieu la réussite de son plan (13,11.16). Et le peuple considère, de même, que c’est Dieu qui est à l’œuvre par la main de Judith (13,17). Ozias, une des autorités de Béthulie, bénit Judith en ces termes : « Bénie sois-tu, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes qui sont sur la terre, et béni soit le Seigneur Dieu, lui qui a créé les cieux et la terre, lui qui t’a conduite pour blesser à la tête le chef de nos ennemis » (13,18). De même, après la victoire sur les Assyriens, c’est vers Dieu que monte la louange de Judith, relayée par les hommes et les femmes d’Israël (15,12 – 16,20).

    La fin de Judith n’est comparable à aucune autre et achève de confirmer la lecture que l’héroïne fait des événements : malgré les particularités qui la caractérisent (bien que célèbre, Judith choisit de se retirer dans sa propriété ; malgré de nombreux prétendants, elle ne se remarie pas et reste donc sans descendance) cette fin de vie est présentée, sans ambiguïté, comme celle d’une personne juste (16,23-25).

    Cependant, le récit ne dit pas explicitement si c’est vraiment Dieu qui a guidé la main de Judith. Si l’héroïne elle-même l’affirme, si tout Israël la croit et si le cours du récit tend à montrer que Judith a raison d’agir tel qu’elle le fait, il revient, en dernier recours, au lecteur d’adhérer ou de ne pas adhérer à la lecture croyante des personnages, dans un récit finalement ouvert [4] et destiné à interpeler qui le lit ou l’entend : reconnaîtra-t-il, comme Achior l’étranger, Dieu à l’œuvre dans la succession des faits, le courage, la ruse de Judith et la confession de foi des fils d’Israël ?

    [1] Historiquement, il s’agit de Sargon II (722-705).

    [2] Voir Dt 23,4-7; Jg 3, 12-14 ; 1 S 11, 11 ; 2 S 10, 1-12, 31 ; 1 R 11, 7 ; Jr 49, 1-6 ; Am 1, 13 etc.

    [3] En ce sens, il peut être rapproché du livre de Ruth qui évoque la conversion d’une Moabite et du livre de Jonas qui décrit la conversion de toute la ville de Ninive.

    [4] Sur la caractérisation de Judith comme un « récit ouvert » voir M. BAL, Head Hunting : ‘Judith’ on the Cutting Edge of Knowledge, dans JSOT 63 (1994) 3-34, p. 13-14.

    Catherine Vialle

    source www.interbible.org

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  • Noémi : une leçon de résilience

    Noémi

    Noémi
    Gertrude Crête, SASV
    encres acryliques sur papier, 2000
    (photo © SEBQ) 

    Lire le livre de Ruth

    Partie avec son mari et leurs deux fils pour les Champs de Moab parce que, ironiquement, une famine sévissait dans la « Maison du Pain » (sens du nom Bethléem), Noémi rentre avec sa belle-fille Ruth. Morts, les hommes de la famille! La vie a basculé dans l’amertume pour Noémi au point que son identité en est ébranlée. « Est-ce bien là Noémi? » s’exclament les femmes de Bethléem en la voyant. Elle leur répond de ne plus l’appeler Noémi, « ma douceur »,  mais Mara, l’« amère » (Rt 1,19-21). Et sa plainte en dit long sur sa manière de voir les choses : elle tient Dieu pour responsable de ses malheurs. Elle s’inscrit ainsi dans cette vieille mentalité biblique selon laquelle tout vient de Dieu, le bonheur comme le malheur. Si tout est ainsi fixé par Dieu, aussi bien se laisser aller à une passivité résignée, non?

    La femme dans les coulisses

    Eh bien non! Car la vie continue malgré tout. Et la solidarité des deux femmes permettra de surmonter le malheur. Ruth, fidèle à la mission que porte son nom, « l’amie », se propose d’assurer leur subsistance à toutes deux en partant glaner dans les champs.

    Certes, on s’attend à ce que Ruth prenne une part active au récit dont elle est l’héroïne. Mais on peut se demander si, tout compte fait, Noémi ne serait pas la vraie protagoniste de l’histoire. Tout d’abord, notons comment Ruth elle-même se soumet à son autorité en obéissant à tous ses conseils. Ensuite, même si elle reste cantonnée à la maison, elle infléchit au moment opportun le cours des événements. Car elle sait tirer parti des informations qu’elle détient et suggérer la bonne action au bon moment.

    Le hasard faisant bien les choses − ce qui n’a rien de surprenant dans un conte, ce qu’est le livre de Ruth d’un point de vue littéraire − Ruth va justement glaner dans les champs de Booz [1]. C’est ce que Noémi découvre en questionnant sa bru à son retour des champs. Elle s’empresse aussitôt de l’informer que cet homme est un parent du côté de son défunt mari et qu’il a un droit de rachat sur elles (2,20). Le texte juxtapose en fait ici deux traditions, la loi du rachat (devoir de racheter des parents réduits à l’esclavage par la pauvreté, ou encore leurs biens) et la loi du lévirat (devoir d’épouser la veuve de son frère ou d’un parent proche pour lui assurer une descendance). Noémi encourage donc Ruth à continuer de fréquenter les champs de Booz.

    Et passe la saison de la moisson de l’orge, puis de celle du blé. Il y a urgence à agir, car bientôt les deux femmes seront sans recours.

    Un stratagème audacieux

    Noémi se sent une vraie responsabilité pour sa belle-fille et la veut heureuse (3,1). Elle lui suggère donc un habile stratagème. Booz, comme c’est la coutume, dormira sur l’aire la nuit où l’orge est vannée. Lavée et parfumée, Ruth devra discrètement découvrir ses pieds et se coucher près de lui (3,4). L’idée peut nous sembler bizarre ; il s’agit en fait d’un geste très audacieux et fort compromettant. En effet, dans la Bible, les pieds sont parfois un euphémisme pour les organes génitaux masculins [2]. Le plan de Noémi équivaut en fait à risquer le tout pour le tout. Booz ne se formalise pas de l’initiative de Ruth et ne profite pas non plus de la situation. Il entre plutôt en dialogue avec elle et accepte d’étendre sur elle un pan de son manteau, autrement dit de l’épouser.

    Après quelques rebondissements, Booz prend Ruth pour femme et bientôt elle conçoit et enfante un fils. Les femmes de Bethléem s’adressent une nouvelle fois à Noémi, comme si elle était la première concernée par cet événement. Et en fait, oui, peut-être l’est-elle. En épousant Booz, Ruth a consenti à donner une descendance à ses premiers beaux-parents. Et nommant elles-mêmes l’enfant, les femmes intègrent pleinement cette étrangère dans le peuple d’Israël et en font une ancêtre du grand roi David (4,17.22). Et elles ont bien raison de dire que oui, « il est né un fils à Noémi » (4,17). La résilience et l’intelligence de Noémi ont chassé toute amertume et fait triompher la vie.

    [1] Son nom, qui signifie « en [lui] la force », est également celui de la colonne située à gauche de l’entrée du Temple de Salomon. (1 R 7,21). Le nom peut également s’écrire Boaz.

    [2] Certaines traductions édulcorent un peu le geste en parlant de « dégager une place à ses pieds ».

    Anne-Marie Chapleau

    source www.interbible.org

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  • Historicité et genre littéraire du livre de Judith 2/3

    Livre de Judith

    Le récit | Historicité et genre littératire | Personnages principaux

    Le livre de Judith se présente à la manière d’un livre historique : on y donne des dates précises (1,1.13 ; 3,10, etc.), des lieux tels que Ninive et Ecbatane (1,1), Damas (1,7), Jérusalem (4,2) et il est fait mention de personnages historiques tel Nabuchodonosor. Cependant, pour plusieurs raisons il n’est pas possible de tenir le livre de Judith pour un livre historique. Ainsi Nabuchodonosor est présenté comme le roi de Ninive alors que sa capitale est Babylone. C’est lui qui assiège et vainc Jérusalem en 587 av. J.-C. Il n’a pas pu régner sur Ninive puisque la ville est détruite en 612 av. J-C, soit sept ou huit ans avant qu’il ne devienne roi. À l’époque de Nabuchodonosor, un roi règne sur le Royaume de Juda, un certain Sédécias. Or, l’histoire de Judith semble se dérouler durant la période post-exilique, à une époque où il n’y a plus de roi (4,3.6 ; 5,18-19). Les historiens n’ont retrouvé aucune trace d’un roi des Mèdes nommé Arphaxad et la ville d’Ecbatane a été conquise par Cyrus le Grand en 554 av. J-C et non par Nabuchodonosor. La ville de Béthulie n’est mentionnée nulle part ailleurs dans la Bible et l’on n’en a retrouvé aucune trace, ni dans les écrits anciens, ni parmi les vestiges archéologiques. Notons qu’un des premiers à remettre en question l’historicité de Judith fut Martin Luther qui le considéra comme un poème et une fiction allégorique.

    La plupart des commentateurs voient dans le livre de Judith un écrit à tendance didactique, un roman ou une nouvelle théologique. Autrement dit, son but serait d’enseigner le lecteur ou l’auditoire.

    De nombreuses traditions bibliques y sont reprises et commentées ou librement adaptées : ainsi en est-il du meurtre de Siséra par Yaël en Jg 4,17-24, du combat de David contre Goliath (1 S 17), du viol de Dina par Sichem (Gn 34) ou du récit de l’Exode (Ex 1–15). Le parallèle est particulièrement frappant entre le récit de Judith et le texte de 1 M 7,39-50, où Judas Maccabée, agissant comme Judith au nom du Temple de Jérusalem, met en déroute l’armée ennemie après avoir tué Nikanor dont il tranche la tête qu’il suspend à la vue de tous à l’extérieur de l’enceinte de Jérusalem.

    Par ailleurs, le récit qui met aux prises d’une part, Nabuchodonosor, caractérisé comme l’ennemi archétypique d’Israël et de son Dieu, et d’autre part, Judith, la juive, représentante d’Israël et agissant au nom de Dieu, comporte des traits apocalyptiques. L’ironie y joue également un grand rôle.

    Catherine Vialle

    source http://www.interbible.org/

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  • Quand U2 commente les psaumes

    Psaume 62,2-6.8-9
    22e Dimanche du temps ordinaire (Année A)

    source

    (photo©Wikipédia)

    Saviez-vous que Bono, le chanteur du groupe rock U2, a écrit une introduction au livre des psaumes? Dans celle-ci, il affirme être devenu, dès l’âge de 12 ans, fan de David, celui à qui on attribue la composition de plusieurs psaumes. Pour Bono, David est un personnage plus grand que nature qui a une vie pleine de contradictions. Il était la rock star de l’Ancien Testament. Ses psaumes expriment ses émotions, un peu comme un chanteur qui fait du blues. Bono admire l’honnêteté, l’authenticité et l’audace du psalmiste qui reste en relation avec Dieu, même lorsqu’il est en colère contre lui.

    Quand U2 commente les psaumes - OCQLe psaume (62) proposé par la liturgie de ce dimanche nous aide à mettre des mots sur la recherche de Dieu. « Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi... » Au-delà de la beauté de ce verset, il nous rappelle quelque chose de fondamental pour la vie spirituelle : le mouvement. Le psalmiste ne dit pas qu’il a trouvé Dieu. Au contraire, il est en recherche, il a soif. Dès l’aube, il part en quête de lui. Rares sont les liturgies qui s’attardent aux psaumes. Pourtant, comme pour Bono, ces chefs-d’œuvre poétiques et musicaux peuvent nous inspirer aujourd’hui dans notre vie spirituelle. 

    Sébastien Doane
    Bibliste, OCQ

    source http://officedecatechese.qc.ca

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  • Présentation du livre de Judith 1/3

    Judith et Holopherne

    Judith et Holopherne
    Pedro Américo (1843–1905) 
    Huile sur toike, 229 × 141,7 cm 
    Museu Nacional de Belas Artes

    Le récit | Historicité et genre littératire | Personnages principaux

    Le livre de Judith fait partie des livres dits « deutérocanoniques », qui nous sont parvenus par l’intermédiaire du canon de la Bible grecque, la Septante. Il n’est donc pas reconnu comme canonique dans la tradition juive ainsi que dans les Églises issues de la Réforme. Il s’agit d’un écrit tardif, rédigé à la période hellénistique, plus précisément à l’époque hasmonéenne [1] (142-63 av. J.-C.). Le texte, en grec, est peut-être la traduction d’un original araméen ou hébreu, aujourd’hui perdu. En effet, en plus du témoignage de Jérôme de Stridon qui affirme avoir travaillé sur un original araméen, on relève de nombreux hébraïsmes qui pourraient être les indices d’une traduction très littérale.

    Si peu de personnes ont lu le livre de Judith, l’image de l’héroïne coupant ou brandissant la tête ensanglantée du général ennemi Holopherne est présente dans bien des esprits tant elle a été représentée à travers les siècles [2]. Cependant, le récit biblique est en général bien peu connu. Manifestement, le meurtre du général assyrien par la séduisante veuve de Béthulie est porteur d’une symbolique si puissante qu’elle a conduit à occulter peu à peu le récit [3].

    Le livre se compose de deux parties [4]. Dans la première (1–7), c’est Nabuchodonosor, roi d’Assyrie qui est à l’initiative des événements et décide de partir en campagne contre les peuples de l’ouest qui n’ont pas répondu à son appel lors d’une expédition contre un de ses ennemis, Arphaxad (1,1-12). Le narrateur décrit alors la progression inexorable de la redoutable armée assyrienne, le général Holopherne à sa tête, tuant, brûlant et forçant les populations à adorer Nabuchodonosor comme un dieu. Elle arrive en Judée et met le siège devant Béthulie, présentée comme la ville qui défend l’accès à Jérusalem et à son Temple. Privés d’eau, les habitants de Béthulie et ses dirigeants parlent de se rendre si aucun secours ne leur est parvenu dans un délai de cinq jours.

    C’est alors que Judith, protagoniste de la seconde partie (8–16), entre en scène et annonce aux anciens que « le Seigneur visitera Israël par son entreprise » (8,33). Après avoir prié, Judith revêt ses plus beaux atours et, se faisant passer pour une transfuge, s’introduit dans le camp assyrien, accompagnée de sa servante. Elle séduit le général Holopherne et, profitant de son ivresse, lui coupe la tête. Les deux femmes regagnent ensuite Béthulie avec la tête d’Holopherne dans leur panier à provision. Elles sont accueillies par une explosion de joie et de louanges ; tous y voient l’œuvre de Dieu. Privée de son chef dont la tête se balance aux remparts de Béthulie, l’armée assyrienne se débande. Le récit se termine par le pillage du camp assyrien, suivi par une action de grâce généralisée et par un sommaire relatant la fin de la vie de Judith.

    Au centre de l’intrigue se trouve l’action de Judith qui fait basculer le récit, amenant les habitants de Béthulie, et par conséquent de Jérusalem, de la perspective d’une défaite probable à la victoire totale sur les Assyriens.

    [1] Pour une présentation détaillée, voir par ex. A.-M. Dubarle, Judith. Formes et sens des diverses traditions (AnB 24/1 et 2), Rome, 1966 ; C. A. Moore, Judith. A new translation with introduction and commentary (AB), New York, 1985 ; J. Auneau, « Le Livre de Judith »dans J. Auneau (dir.), Les psaumes et les autres écrits (PBSB AT 5), Paris 1990, 367-379,p. 371-372 ; C. Nihan, « Judith », dans T. Römer, J.-D. Macchi, C. Nihan (éd.), Introduction à l’Ancien Testament, Genève, Labor et Fides, 2004, p. 623-624 ; C. Vialle, « Le Livre de Judith ou la victoire improbable », dans J.-M. Vercruysse (éd.) Le livre de Judith (Graphè,23), Arras, Artois Presses Université, 2014, p. 13-30.

    [2] Pour Judith dans l’art, voir M. Stocker, Judith : Sexual Warrior : Women and Power in Western Culture, New Haven, 1998.

    [3] Sur ce glissement progressif et ses évolutions dans la littérature française, voir J. Poirier, Judith. Échos d’un mythe biblique dans la littérature française (Presses universitaires de Rennes), Rennes, 2004.

    [4] Sur cette structure, que l’on retrouve chez la plupart des commentateurs, voir notamment T. Craven, Artistry and Faith in the Book of Judith (SBL.DS 70), Chico (Ca), 1983, p. 53 ; 60-63.

    Catherine Vialle

    source http://www.interbible.org

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