• Eucharistie 3/4 - Roland Bonenfant, ofm

    EUCHARISTIE : IL EST GRAND LE MYSTÈRE DE LA FOI

     Conférence à l’OFS - Cap-Rouge 2008-31-05

    Roland Bonenfant ofm

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    La tradition franciscaine

    Un mot maintenant de la tradition franciscaine. Soulignons ici l’amour de Claire et François pour l’Eucharistie, bien sûr dans leurs prières, mais aussi dans le souci de célébrer dignement ce sacrement. François faisait le ménage de plusieurs églises avec ses frères, et n’hésitait pas dans sa Lettre aux Clercs à les inviter à surveiller la propreté des églises, ce qui laisse sous-entendre un grand laisser aller. Pourquoi ? Pour entourer de plus de dignité la venue du Seigneur chez nous. Et Claire tissait et tricotait des corporaux et autres lingeries d’églises, pour assurer ce respect du grand Sacrement. Elle bénissait ses sœurs avec une pyxide (ancêtre de l’Ostensoir) dans les mains, en suppliant le Seigneur de protéger ses sœurs contre des soldats sarrasins qui attaquaient son couvent.

     

    Pour nous détendre un peu, notons, - croyons-le ou non, - que l’espagnol saint Pascal Baylon, frère mineur, patron des Œuvres et Congrès eucharistiques depuis 1929, s’est relevé deux fois dans son cercueil, au moment de ses funérailles, aux deux élévations. La même chose est arrivée aussi au Bx Mathieu d’Agrigente, évêque et prédicateur fameux sur l’Eucharistie. Après sa mort, il se releva lui aussi dans son cercueil pour adorer, une dernière fois, le pain des Anges. Mais ce n’est là que la pointe de l’iceberg des trois Ordres franciscains en ce qui concerne l’Eucharistie…

     

    CHANT : Je voudrais qu’en vous voyant vivre.

     

    4- Eucharistie, banquet des pauvres et des victimes d’injustice. Une illustration : l’action de Mgr Oscar Romero, au Salvador

     

    Ce que je vais dire ici sur l’Eucharistie, banquet des pauvres, de tous les pauvres, et sacrement qui efface les péchés, n’enlève rien au sacrement de la réconciliation et du pardon, qui garde toute son importance, comme lieu de la miséricorde de Dieu, comme lieu de progrès spirituel, comme volonté déterminée de passer, dans nos vies, de la sincérité à la vérité. Beaucoup de gens sont sincères, mais pas nécessairement dans la vérité.

    L’Eucharistie est par excellence le banquet des pauvres, parce que Jésus, le premier, a déclaré pur ce qu’on déclarait impur, en ce qui concernait les aliments (Mc 7, 19). D’autre part, il précisait ce qui rendait impur, des choses qui sortent du coeur : intentions mauvaises, inconduite, vols, meurtres, adultères, cupidité, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison (Mc 7, 22). C’est à chacun de s’examiner là-dessus, pas à l’entourage de les déclarer impurs. Le robe nuptiale qu’il faut pour ne pas être jeté hors du banquet du Fils de roi, ouvert à tous, ce sont des dispositions intérieures sises dans le cœur de chacun, et concernant la charité et la bienveillance. Il faudrait ajouter ici, pour devenir cinglant, ce que Jésus ne se privait pas de dire à ce chapitre de l’exclusion sommaire : à savoir que beaucoup de derniers sont premiers (Mt 20, 16) et que bien des prostitués et des voleurs en devancent plusieurs, dits vertueux, dans le Royaume de Dieu (Mt 21, 31). Jésus a donc dit shame on you ceux qui se croient autorisés à juger et à déclasser les autres (Paraboles du Pharisien et du publicain Lc 18, 9-14).

     

    L’un des plus beaux exemples d’accueil d’un rejeté dans une communauté célébrante est le récit de l’aveugle de Jéricho. Il illustre bien que Jésus est venu pour tous, mais en priorité pour les pauvres. On voulait faire taire cet aveugle qui criait sur le bord de la route et appelait le fils de David. On voulait exclure encore davantage quelqu’un qui se sentait exclu et qui l’était outrageusement. Il ne lui restait que la parole, et on voulait la lui enlever. Voilà que Jésus demande de le lui amener ; il s’enquiert de ce qu’il désire : être guéri. Il le guérit. Et voici que l’aveugle se met à voir, que cet exclu entre en chantant dans la petite troupe joyeuse qui suit Jésus dans son entrée à Jéricho. Voilà que de nouveau, ce jour-là, sont tombés les murailles de Jéricho, pour laisser entrer un exclu dans le groupe de Jésus, et avec lui tous les pauvres et les exclus. Cet épisode est déterminant dans l’Église pour l’accueil de toutes les sortes de pauvres, que trop souvent on veut faire taire en les tenant à distance. La véritable Église du Christ, c’est celle des pauvres qui, accueillis et guéris, retrouvent le goût de chanter et de donner dix fois plus, comme Zachée.

     

    Ce récit évangélique pose la question de ce que doit être une table eucharistique ouverte et signifiante. Ou en d’autres mots : Qui est digne de recevoir l’Eucharistie ? Jésus a été audacieux et très clair : Ce ne sont pas les bien-portants qui ont besoin de médecin, mais les malades (Mc 2,17).

    Jésus met donc la hache dans les comportements sectaires de la secte des Pharisiens; il se tient debout devant eux, mais cela lui vaut d’être abattu en pleine jeunesse. À la Cène, après sa déclaration : Ceci est mon Corps et mon sang, c’est comme s’il demandait à ses disciples : Voulez-vous partager ce pain avec moi? Si oui, vous vous engagez à poursuivre ma cause. Voulez-vous vous alimenter à ma vie, pour que le même dynamisme coule dans vos veines? En ce sens, la Cène est foncièrement une demande formelle de Jésus, en lien étroit avec le geste du lavement des pieds.


    Saint Paul, en sa lettre aux Corinthiens, parle du respect et de l’accueil des pauvres. Au tout début, il fait mention d’un problème de division (1 Co 1,11-12); au ch. 5, il est question d’un cas incestueux : un jeune homme vit avec la femme de son père (sa belle-mère); au ch. 6, on apprend que les chrétiens portent leurs querelles devant des tribunaux païens (v. 1-11) et que certains fréquentent les prostituées (12-20); au ch. 11, il fustige les Corinthiens parce qu’ils prennent indignement le repas du Seigneur, sans partager, en manquant gravement à la charité. Paul n’exclut aucun de ceux qui se sont rendus coupables des «péchés» dont fait état la première partie de la lettre. La réprimande porte expressément sur la façon de prendre le repas.

    Paul demande de saisir les exigences ou les implications que comporte la réception du Corps et du Sang du Christ. On ne peut pas se permettre d’entretenir des divisions, de mépriser les autres, de refuser de partager sa nourriture et en même temps communier au pain qui est le Corps du Christ. Pourquoi ? La réponse de Paul est claire : les membres de l’assemblée forment aussi le Corps du Christ : «Vous êtes le Corps du Christ, écrit saint Paul, vous êtes ses membres, chacun pour sa part» (1 Cor 12, 27). Nous n’avons donc aucun droit de déterminer qui est digne ou indigne de participer au repas de Jésus. Qu’il s’agisse des homosexuels ou des divorcés remariés ou des séparés accotés, ces catégories constamment pointées du doigt, si ces gens souhaitent vivre pleinement leur foi selon leurs convictions, nous serions bien mal venus de les exclure au nom du Christ, qui, lui, s’est assis à la table des exclus et a partagé leur repas.

    Voilà pourquoi sont si importants les mots de l’Apocalypse, qu’on prononce avant la communion : Heureux les invités au repas du Seigneur ! Et ces invités, c’est toute l’humanité : TOUS. Ce n’est pas une table réservée à des invités choisis et qui en seraient dignes ? Personne ne l’est, et tous le déclarent, à la suite du Centurion : Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir… Qui donc est digne de communier ? Ou personne, ou tous. Jésus a lui-même répondu, en ses propres mots, à cette question si importante quand il a dit à ses disciples en leur distribuant le pain rompu: «Prenez, et mangez-en TOUS.» En faisant circuler sa coupe de vin «Prenez, et buvez-en TOUS.» Allons-nous nous permettre d’enlever ce mot «tous», ou encore de le changer en «quelques-uns» ou en «certains». Et Jésus ajoute : «mon Corps livré pour VOUS» ; «mon Sang versé pour VOUS et pour la multitude en rémission des péchés». Pour VOUS, c’est-à-dire, ce soir-là, Judas le traître, Pierre le peureux qui va le renier, Jean et Jacques qui se sont déjà querellés pour les premières places dans le Royaume, Matthieu le collecteur d’impôts, Thomas l’incrédule qui veut voir et toucher avant de croire et les autres qui vont l’abandonner le lendemain. Et la multitude dans le cœur de Jésus ce soir-là, c’est NOUS TOUS.

    En fait, ce qui rend digne de communier, - saint Paul le dit, - c’est de discerner le Corps du Christ, le Pain de vie et tout ce qu’il signifie dans la vie courante pour les disciples de Jésus. Ce discernement demandé n’est pas qu’une vue de l’esprit, mais doit se vérifier dans les actes. D’abord la foi, et une foi agissante, testée sur place, en toute vérité, dans le Rite de la communion.

    Le Rite de la communion comprend, on l’oublie souvent, trois gestes : le Notre Père, le baiser de paix et la réception du Pain de vie. C’est, pourrait-on dire, un petit examen de dernière minute de nos attitudes et comportements face à Dieu, face à nos frères. Le Notre Père est une prière très exigeante, et souvent beaucoup bloquent concrètement dès le premier mot. Notre (solidarité à un Peuple), Père, prière désintéressée toute axée sur le Nom, le règne et la volonté de Dieu… et l’accueil de tous les humains, sans préjugés défavorables. Le Notre Père, en ses demandes, s’en tient à des choses essentielles, de base : pain quotidien, pardon, délivrance des tentations et du mal. Voilà pour le vertical, en ce qui concerne Dieu. Pour ce qui est de l’horizontal, pour ce qui concerne nos frères et sœurs, c’est la salutation ou baiser de paix, qui est un résumé en acte de tout le Notre Père. Cette salutation présuppose un accueil de TOUS, inconditionnel, conscient, déterminé, sans aucun préjugé défavorable.

    TOUS sont donc invités à la table du Seigneur en tant que pratiquants du Notre Père et du baiser de paix. Et c’est de cette dignité-là, dont il est question, avant toute autre question morale ou dogmatique. C’est ce Mystère de foi que nous embrassons quand nous communions. Nous nous devons d’être d’abord en communion avec tous les humains, une sorte de communion avant la Communion. Voilà ce qui nous qualifie pour la communion.

    Profitons-en pour attacher le grelot et dire en quoi consiste le vrai péché du monde, au singulier, celui qu’enlève l’Agneau de Dieu et que l’Eucharistie enlève aussi : c’est de ne pas être en communion avec la grande famille des enfants de Dieu. Nous avons tous de la difficulté à être en communion avec tous (notre péché majeur), sous le prétexte qu’ils ne sont pas parfaits et que Dieu aussi, pense-t-on, les exclut. Le Notre Père et le baiser de paix, inspirés par l’Esprit, sont plus l’expression d’une bonne volonté, - il faut se le redire souvent, - que le résultat d’une pratique quotidienne. Et Dieu, qui voit le cœur et les bonnes dispositions, complète la mise et fait le reste, en nous guérissant. Dès que nous exprimons la moindre bonne volonté d’accueillir autant nos frères et sœurs que Dieu lui-même par le «Seigneur je ne suis pas digne» notre principal péché est pardonné, avec tous les autres. Nous sommes en communion totale avec Celui auquel nous communions. Entendu toujours, comme nous l’avons dit, que ce pardon de Dieu n’exclut jamais le sacrement du pardon, autre grand moment de l’infinie miséricorde de Dieu.

    LA SUITE Eucharistie (entretien 4 de 4) R Bonenfant mai 2008

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