• Eucharistie 4/4 - Roland Bonenfant, ofm

    EUCHARISTIE : IL EST GRAND LE MYSTÈRE DE LA FOI

     Conférence à l’OFS - Cap-Rouge 2008-31-05

    Roland Bonenfant ofm

    (4 de 4)


    Mgr Oscar Romero : première place aux victimes d’injustice

     « C’est à l’autel de Dieu, le lundi 24 mars 1980, à 18h25, après avoir annoncé le royaume de Dieu pendant trois ans, qu’est tombé Monseigneur Romero, assassiné par ceux qui ne veulent pas la paix sur la base de la vérité et de la justice. Il est mort à l’autel, au moment précis où il s’apprêtait à offrir le pain et le vin qui allaient devenir le Corps et le Sang du Seigneur, et après avoir prêché que la vie offerte aux autres est une garantie certaine de résurrection et de victoire. » La Messe a toujours été centrale dans la vie de Mgr Romero, mais durant ses trois années de ministère comme évêque de San Salvador, il a vécu dramatiquement l’Eucharistie dans le creuset de la persécution et du martyre.


    Cet évêque est devenu prophète durant les trois dernières années de sa vie. Il a commencé le jour de l’assassinat de son ami jésuite, Rutilio Grande, qui bouleversa sa conscience de pasteur. C’était le 12 mars 1977. Monseigneur se tenait là en silence, à deux heures du matin. Après avoir célébré, il regardait la chambre toute simple de son compagnon. Ce Jésuite avait tout donné pour le peuple. Il avait cherché des sentiers nouveaux. « C’était un homme pauvre! » dit-il comme unique commentaire. Le lendemain, l’archevêque ordonna la fermeture de toutes les écoles catholiques durant trois jours. La radio catholique diffusa une catéchèse sur « le martyre, la communauté chrétienne et l’Eucharistie. »

    Sans demander d’autorisation au gouvernement, il célébra les funérailles sur la place de la cathédrale; trois cents prêtres y concélébraient avec plus de quarante mille personnes. Ce dimanche-là, par mandat épiscopal, aucune autre Messe ne put être célébrée dans le diocèse. Les auteurs du crime furent excommuniés et le gouvernement avisé publiquement que les autorités de l’Église ne participeraient plus à aucune cérémonie officielle. Les pressions du pouvoir politique et ecclésiastique pour empêcher cette démonstration furent énormes, mais Romero tint bon et le peuple répondit avec détermination. Ces funérailles marquèrent le début de son ministère prophétique. Sa langue se délia. Il sortit sur la place publique comme au jour de la Pentecôte, et son Eucharistie secoua le pays comme un tremblement de terre.


    Dans un continent où l’oppression et la répression sont exercées par des gouvernements qui se disent chrétiens, la Messe est souvent l’occasion pour le pouvoir de se faire encenser et légitimer par le clergé, sous les regards scandalisés des masses appauvries. Pour Romero, la Messe serait désormais l’expression de sa solidarité avec le peuple affligé et la cathédrale se transformerait en lieu privilégié de la proclamation de la Bonne nouvelle aux pauvres. Dès lors, très tôt, le dimanche matin, la multitude des petites gens afflua à la Messe de « monseigneur » comme on l’appelait affectueusement. Un évêque célébrait la Messe dans une cathédrale pleine à craquer, chantait, prêchait durant une heure et quart et priait au milieu d’un peuple enthousiaste qui l’interrompait à tout propos par de longs applaudissements, et ce en pleine guerre civile. L’Eucharistie était la rencontre de Dieu avec un peuple souffrant, la fête d’un peuple affamé plein de joie et d’espérance.

    Ses Messes étaient soigneusement préparées. Durant toute la semaine dans sa petite résidence de l’hôpital des cancéreux, monseigneur recevait la visite de centaines de personnes. Des paysannes qui pleuraient leur enfant assassiné et faisaient bénir une photo. Des personnes affamées qui réclamaient du pain. Il connaissait ses brebis et ses brebis le connaissaient. Presque quotidiennement, il se rendait sur le lieu d’un massacre y contempler, impuissant, les Corps mutilés par les Escadrons de la mort. Sa préparation à l’Eucharistie, c’était la contemplation du visage souffrant du Christ dans ses frères et sœurs.


    La Messe du dimanche à la cathédrale était diffusée par les radios. Alors deux stations de radio ont été dynamitées… Romero s’est ensuite mis à nommer les noms des personnes assassinées par la garde Nationale, à la suite d’une visite aux paysans qui le lui avaient demandé. Il énumérait donc patiemment, sur les ondes, les noms de toutes les victimes de la répression. Pour lui, les pauvres avaient un nom, comme Lazare dans la parabole, et leur vie avait une valeur infinie. Il proclamait sur tous les toits ce que la presse occultait.


    L’évêque de San Salvador savait qu’on allait le tuer et il offrait sa vie pour son peuple. Il disait : « Comme pasteur, je suis obligé par ordre divin de donner ma vie pour ceux que j’aime, c’est-à-dire tous les Salvadoriens, même ceux qui vont m’assassiner. Si les menaces arrivaient à être mises à exécution, j’offre dès maintenant mon Sang pour la rédemption et la résurrection du Salvador. » La mort du pasteur au moment de l’offertoire montre bien que le « faites ceci en mémoire de moi » n’était pas compris comme la répétition mécanique d’une cérémonie religieuse, mais bien comme un engagement à suivre le maître jusqu’à la croix. Le martyre est la conséquence logique de l’Eucharistie; c’est le testament de celui qui est rappelé vers le Père.

     

    Peut-on parler d’un don plus entier ? Celui de Mgr Romero et de tant de martyrs à travers l’histoire. Ce don est à l’image du DON TOTAL de la Trinité révélé dans le Sang versé du Christ Jésus. Si tu savais le don de Dieu, disait Jésus à la Samaritaine. En d’autres mots, si tu prenais conscience jusqu’à quelle extrémité Dieu se donne lui-même.

     

    CHANT : Si nous partageons comme le pain notre vie.

     

    Conclusion

    Quand nous célébrons l’Eucharistie, nous célébrons le Don de Dieu et le Don de tous les saints témoins de la foi, à la suite de Jésus. Que ce don se réalise goutte à goutte dans le dévouement de toute une vie, ou dans une heure de martyre. À l’Eucharistie, c’est ce grand Don et tous ces dons que nous célébrons, dans le sillage de la Pâque du Seigneur, ce grand passage qu’il a célébré avec les siens : toute sa vie, son message, sa passion, sa mort et sa résurrection prochaine. C’est la raison du NOUS de la prière eucharistique ; le prêtre est le porte-parole de l’assemblée pour rendre grâce au Père, dans le Fils par l’Esprit Saint. Cette prière eucharistique, qui englobe tous les aspects de cette grande œuvre du Christ, sommet de toute l’œuvre de la Trinité, est proclamée dans sa forme judéo-chrétienne la plus éloquente : action de grâce, louange, bénédiction, Eucharistie. Le prêtre et l’assemblée lèvent les mains au ciel pour remercier Dieu qui les a tendues vers la terre, et qui les tend encore. Il est extraordinaire que la bénédiction faite à Dieu, en levant les yeux au ciel, soit devenue une bénédiction maintenant prononcée sur ce qui est en bas, en faisant mention de la croix du Christ et en proclamant le nom de la Trinité.

     

    Oui, il est grand le mystère de la foi, et ce que nous proclamons, en tant que peuple des baptisés, c’est notre propre passage de la mort à la vie, notre Pâque dans le Christ. Il est évident que ce mystère est sacrificiel, mais un sacrifice pour la vie du monde. La forme qu’a prise la Cène et la Messe à travers les âges, pour devenir Eucharistie, fête d’action de grâce pour l’œuvre de Dieu, nous délivre à jamais d’un braquage doloriste sur l’aspect sacrificiel, avec les termes de victime, d’injustices, de dettes à payer et de rachat des péchés. Jésus, Fils de Dieu, a eu le même sort que ceux et celles qui, à travers les âges, se sont attaqués au mensonge et à l’injustice. C’est ce que veut dire Jésus quand il dit aux disciples d’Emmaüs : il fallait que le Christ souffrît tout cela pour entrer dans sa gloire.

     

    Mais c’est sa Résurrection qui a fait toute la différence, et la Vie nouvelle qu’elle a suscitée en tant de saints témoins, pas seulement depuis le Christ, mais bien avant sa venue sur terre. La liturgie d’Orient cite, avec raison, saint Élie, saint Isaïe, Saint Juda Macchabée et tous les autres Saints prophètes du Premier testament qui sont morts martyrs pour leur foi. Ce sont tous ces grands saints témoins, canonisés ou non, que célèbre l’Eucharistie chrétienne dans la Pâque du Christ, en des célébrations qui doivent avoir un label de victoire et de joie. C’est toujours cependant un Mystère de foi, célébrée dans la foi. Comprenant tout cela, - victoire du chef de file et victoire de ses témoins, - l’on peut proclamer d’une voix encore plus unanime : il est grand le Mystère de la foi. Nous sommes tout entiers dans ce Mystère, avant tout par notre foi.

     

    C’est la raison pourquoi François nous invite à répondre généreusement à tant de générosité de la part du Christ Jésus, et à nous donner tout entiers, après avoir reçu Celui qui se donne à nous tout entier. Et nous, dans une acclamation joyeuse et débordante, en plus de proclamer notre unité comme Peuple de l’Alliance, nous relions en une seule gerbe le passé, le présent et le futur, lorsque nous chantons après la consécration : Gloire à toi qui étais mort, Gloire à toi qui es vivant, notre Sauveur et notre Dieu, viens Seigneur Jésus !

     

    Roland Bonenfant ofm

    31 mai 2008 

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