• 22 juin
    Chaque année on célèbre encore à Assise
    l'anniversaire de la délivrance de la ville,
    fête instituée en 1644.

    delivrance-1.jpg

    En 1240

    La fureur des armées à la solde de l ’empereur se porta sur Assise. Les Sarrasins avaient déjà franchi le mur d’enceinte du monastère et pénétré à l’intérieur du cloître.

    Affolées, les moniales courent se réfugier en sanglotant autour de leur mère.

    Claire, elle, ne tremble pas. Bien que malade, elle se fait transporter face à l’ennemi  avec, comme seule protection, la pyxide d’argent contenant le très saint Corps du Christ. Et l’armée s’enfuit avec tant de hâte qu’elle ne commit ni dommage, ni dégât.

    En 1241 Vital d’Aversa mit le siège devant la ville, jurant qu’il ne partirait qu’après s’en être emparé.

    Apprenant la nouvelle, sainte Claire appela la communauté et déclara:

    «Mes très chères filles, tous les jours nous recevons de cette bonne ville quantité de secours; ce serait une ingratitude si, au moment où elle en a besoin, nous ne lui venions pas en aide dans la mesure de nos moyens. .. Allez auprès de notre Seigneur et demandez-lui avec tout l’élan de votre amour le salut de notre ville.»

    Par la miséricorde de Dieu, dès le lendemain, l’armée était en déroute.

    delivrance-2.jpg

    Du ciboire se fit entendre une voix
    comme une voix d’enfant qui disait:
    Je vous garderai toujours.

    Source http://clarissesdesherbrooke.over-blog.com/


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  • Présence Active de l’OFS

    dans le Monde –

    Enquête 2011

    Fraternité Nationale de la COREE

     

    1.  Projet CLINIQUE ST-LUC  

    2.  Description

    La Clinique St-Luc fournit des soins médicaux  aux travailleurs étrangers privés des documents nécessaires permettant de travailler en Corée et qui, de ce fait, n’ont pas accès à la sécurité sanitaire et ne consultent donc pas le médecin en cas de besoin, par peur d’être remis aux autorités de l’immigration et d’être expulsés.

    Le groupe qui s’occupe du service médical est constitué de Franciscains Séculiers membres de trois Fraternités de Séoul : Fraternité Silvestre, Fraternité Jacques et Fraternité S. Elisabeth. Ces trois Fraternités constituent le corps principal autour duquel tournent d’autres volontaires catholiques. Parmi ces volontaires il y a des infirmières et des pharmaciens.

    Coree-pres-active.jpg En collaboration avec le Centre Catholique des Migrants du diocèse d’Uijeongbu, chaque dimanche après-midi une vingtaine de volontaires offrent un traitement médical à un nombre de malades étrangers qui  varie entre 50 et 100. Les étrangers qui recourent à ce service proviennent des Philippines, du Bangladesh, Népal, Inde, Sri Lanka, Chine et d’autres pays. La clinique offre des traitements en médecine générale, chirurgie générale, soins dentaires, Ophtalmologie, Otorhinolaryngologie, Dermatologie, Urologie et réhabilitation. Les malades souffrent d’un large éventail de troubles  causés par la pauvreté des conditions de vie, l’excès de travail et les accidents de travail.

    3. Contexte historique

    En 2000, des membres de l’Ordre Franciscain Séculier de la Fraternité Silvestre de Séoul, parmi eux des médecins et des infirmiers, ont constitué un groupe de volontaires pour un service d’assistance médicale gratuite aux pauvres et sans abri qui commençaient à vivre autour de la station ferroviaire de Séoul depuis 1998, quand la crise financière qui a secoué la Corée a contraint de nombreuses personnes à vivre dans la rue. Avec la reprise économique en 2006, le groupe s’est transféré dans la partie nord de la ville, dans la paroisse Chunmasan du diocèse d’Uijeongbu, pour offrir une assistance médicale gratuite aux ouvriers immigrés clandestins. Dans cette région, de nombreux ouvriers étrangers sont embauchés dans un complexe industriel qui produit des mobiles et dans de nombreuses autres industries de petites ou moyennes tailles. Tandis que tous les citoyens coréens sont couverts par un service sanitaire national, ce droit fondamental de base a été refusé à ces travailleurs.

    4.  Coordination du projet
    Le projet est coordonné par trois fraternités de Séoul: Fraternité Silvestre, Fraternité Jacques et Fraternité S. Elisabeth. 

    5.  Impact sur la Société

    Depuis 2006, la Clinique St-Luc a fourni assistance médicale à des milliers de travailleurs étrangers privés ​​de ce droit fondamental par leur statut d’immigrés en Corée.

    6. Ce que nous avons appris

    KoreaStLukeClinic02.jpgDans la société Coréenne, les travailleurs migrants sont le segment le plus vulnérable et marginalisé de la population. Ils ne sont pas seulement séparés de leurs familles et sont loin de leurs maisons, mais ils souffrent aussi de mauvais traitements, d’exploitation et d’isolement. Ce sont des personnes qui ont besoin de sollicitude fraternelle. Nous, Franciscains Séculiers, nous comprenons ce que signifie suivre l’enseignement de S. François dans le monde contemporain en fournissant une assistance médicale à ceux qui ont besoin d’aide.

    7.  Personne à contacter:   Augustine Yoon

         E-mail:                                   yoon34501@naver.com

         Téléphone:                         +82-10-8783-5701

    Source http://www.ciofs.org/

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  • « En Terre Sainte, je me sens chez moi ». Impressions du Père Carballo au terme de sa visite à la Custodie

    fr-Carballo2.jpg Nazareth-Acre, 16 Juin 2011

    « J’ai particulièrement à cœur la Terre Sainte. J’y ai résidé pendant de longues années et c’est ici – à Nazareth – que j’ai fait ma profession solennelle et reçu l’ordination diaconale. Venir en ces lieux est un peu comme revenir à la maison ». 



    Le bilan de la visite du Père Josè Carballo à la Custodie de Terre Sainte est très positif, un an après son dernier voyage dans cette terre. Le Ministre général de l’Ordre des Frères mineurs, arrivé mardi, a parcouru à nouveau avec nous les étapes de son itinéraire qui s’est conclu hier, jeudi 16 juin, en Galilée.



    « J’ai eu une réunion avec le Custode et le Discrétoire puis je me suis uni au Chapitre avec les confrères de la Judée et de la Galilée – a-t-il expliqué. Nous avons affronté ensemble, principalement, deux thématiques : celle de la vie communautaire dans les couvents, de la cohabitation fraternelle mais également celle, non moins importante, de la mission que nous, franciscains, avons ici, dans les Lieux Saints, dont nous assurons la garde depuis des siècles. Dans les deux cas, les conclusions auxquelles nous sommes parvenus nous ont trouvé d’accord et je suis sûr qu’elles constitueront un très bon point de départ afin de poursuivre l’action très importante de la Custodie en cette terre ». 



    Le Père Carballo a vécu avec émotion la visite à Nazareth d’hier matin lorsque, dans la grotte de la Basilique de l’Annonciation, il a présidé la Messe sur le Lieu même où, voici plus de trente ans, il a prononcé sa profession solennelle. « Ici – a-t-il souligné dans l’homélie – Marie a dit son « oui » à Dieu. Grâce à elle, nous avons eu la merveille de l’Incarnation. Demandons, nous aussi, d’être capables de prononcer notre « oui ». 



    Dans l’après-midi, a eu lieu l’arrivée à Acre pour inaugurer les salles du Tau Musica Center, nouvelle école de musique qui se propose d’utiliser le langage commun des sept notes pour unir au sein du même centre des jeunes de toutes les ethnies et les religions présentes dans la ville et dans la zone. Enfin, le Père Carballo a assisté à la remise des diplômes aux élèves de la Terra Sancta School locale.



    « Je suis particulièrement ému d’être ici, à Acre – a conclu le Général – dans le lieu où Saint François a débarqué voici des siècles, jetant les bases de la présence des franciscains en Terre Sainte. En outre, après lui, seul un autre Ministre Général avant moi a visité cette ville. Arriver ici, pour moi, revêt une signification vraiment importante. Elle laisse un signe ». 



    Texte de Serena Picariello

    Source http://www.custodia.org

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  • En collaborration avec les Editions franciscaines nous publierons Le texte franciscain du mois, étant en retard, vous recevrez plus rapidement les 6 premiers. Merci aux  Editions franciscaines de nous donner un apperçu du contenu du nouveau TOTUM.(le rédacteur  L'Auteur des articles

     

    Le texte franciscain du mois – Mai 2011

     

     

    Le texte : Compilation d’Assise, § 20 [LP 115]

     

    1-demeure-intime.gifDe même certains frères dirent-ils au bienheureux François : « Père, ne vois-tu pas que parfois les évêques ne nous laissent pas prêcher et que, durant de nombreux jours, ils nous laissent rester inactifs dans une contrée, avant que nous puissions prêcher au peuple ? Il serait mieux que tu obtiennes que les frères aient un privilège du seigneur pape – ce serait pour le salut des âmes ! » Il leur répondit en les reprenant sévèrement : « Vous, Frères mineurs, vous ne connaissez pas la volonté de Dieu et vous ne me laissez pas convertir le monde entier comme Dieu le veut ! Car, moi, je veux convertir d’abord les prélats par l’humilité et la révérence ; et lorsqu’ils verront votre vie sainte et votre révérence envers eux, ils vous demanderont eux-mêmes de prêcher et de convertir le peuple. Et ils vous amèneront celui-ci mieux que les privilèges que vous désirez, qui vous conduiront à l’orgueil. Et si vous êtes éloignés de toute convoitise [1] et incitez le peuple à rendre aux églises leur dû, ils vous demanderont eux-mêmes d’entendre en confession leur peuple – bien que vous ne deviez pas vous soucier de cela, car, s’ils se convertissent, ils trouveront bien des confesseurs. Moi pour ma part, le privilège que je veux tenir du Seigneur, c’est de n’avoir aucun privilège qui vienne de l’homme, si ce n’est de faire révérence à tous et, par obéissance à la sainte Règle, de les convertir tous par l’exemple plus que par la parole. »

     

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    [1] Le mot « convoitise » traduit le terme latin « avaritia ».

     

    Traduction de F. Delmas-Goyon in François d’Assise, Écrits, Vies,

    Témoignages, J. Dalarun dir., Paris, 2010, vol. 1, p. 1239-1241

     

     

    © Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2011

     Le contexte

     

    Après son retour d’Orient (1220), François d’Assise a choisi frère Léon pour être son confesseur et secrétaire et celui-ci fut très probablement son compagnon le plus intime. Léon tient une place unique dans l’histoire franciscaine car il s’est voulu le gardien de la mémoire de François et il s’est employé à coucher par écrit ses souvenirs personnels le concernant, ainsi que ceux d’autres frères proches du petit Pauvre, auxquels il a servi de scribe.[1] C’est son attachement à la personne du saint qui nous vaut de détenir deux manuscrits autographes de ce dernier – le parchemin où figurent les Louanges de Dieu et la Bénédiction à frère Léon, conservé au Sacro Convento d’Assise, et le Billet à frère Léon, exposé dans la cathédrale de Spolète –, qu’il considérait comme des reliques et a gardés précieusement. Léon fut, dans sa jeunesse, le témoin privilégié des dernières années de François mais il est mort âgé, en 1271, et sa mémoire a été marquée par l’évolution de l’Ordre mineur et les jugements négatifs qu’il portait à ce sujet. Il aurait, en outre, bénéficié de plusieurs apparitions du petit Pauvre,[2] qui possédaient à ses yeux au moins autant de réalité que ses souvenirs vécus. Léon accorde une place centrale aux ultimes années de la vie de François, dont il dessine un portrait très humain, exposant les terribles souffrances que lui causaient ses maladies, l’immense foi et le courage qui l’habitaient, mais aussi ses moments d’abattement et ses accès de colère. Il souligne l’âpreté du combat qu’a livré François contre l’abandon, par ses frères, de certaines valeurs qu’il tenait pour fondamentales et sa volonté de se situer, au milieu d’eux, comme un exemple et un modèle de la vocation de Frère mineur. [3]

     

    Léon ne s’est jamais soucié de tirer un récit structuré de la liasse de parchemins sur lesquels il avait noté ses souvenirs des paroles et des actes de François. Il s’est contenté de rédiger des fiches, dont la plupart ont été composées avant le 11 août 1246 et incluses dans le paquet de documents que lui-même, Rufin et Ange ont envoyé au ministre général Crescent de Iesi. [4] Ces fiches constituent la source des passages correspondants de la Vita secunda de Thomas de Celano. Celles qui n’ont pas de parallèle dans cette dernière ont, presque toutes, été écrites ultérieurement. Par le biais de Conrad d’Offida, qui fut le confident de Léon dans sa vieillesse, les textes léonins sont parvenus à Pierre de Jean Olivi, puis à Ubertin de Casale et Ange Clareno, les trois chefs de file de la mouvance des Spirituels. Ceux-ci en ont fait un abondant usage dans leur lutte pour l’observance littérale et sans glose de la Règle. Les épisodes les plus polémiques – CA 16, 17 et 21 – et certains passages de CA 56 et 101-106 ont fait l’objet d’une réécriture tardive. Les fiches de Léon ont été perdues au XIVe siècle mais leur contenu a été retranscrit, avec plus ou moins de surcharges, dans de nombreux recueils médiévaux. La Compilation d’Assise, [5] qui date de 1311, n’est pas le plus ancien d’entre eux mais elle est presque complète et son texte est proche de celui des fiches originelles, c’est pourquoi toutes les éditions des « Sources franciscaines » l’ont choisie comme écrit de référence.

     

     

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    [1] Voir l’introduction de S. Piron aux écrits de Léon in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1167-1170.

    [2] Voir Actus 38.

    [3] Voir TFM de décembre 2010, « Le contexte ».

    [4] Voir TFM d’avril 2011, « Le contexte ».

    [5] Ce recueil a reçu plusieurs titres. On l’a d’abord nommé Legenda antiqua, puis Légende de Pérouse, eu égard au lieu où est conservé le manuscrit qui le contient. Comme celui-ci a été rédigé, en fait, à Assise et que le terme « légende » est inexact, l’appellation Compilation d’Assise s’est imposée au cours des dernières décennies.


    Le paragraphe que nous étudions n’acquiert tout son sens que dans le contexte des dernières années de la vie de François, au cours desquelles la Fraternité mineure a commencé de se transformer en un ordre de prédicateurs. Cette mutation, voulue par un nombre croissant de frères clercs et encouragée par le Saint-Siège, n’a rien de fortuite. Les dernières décennies du XIIe siècle et la première moitié du XIIIe ont vu, en effet, l’essor du ministère de la prédication, qui est vite devenu le plus performant des outils de formation du peuple chrétien. La papauté n’a pas tardé à en mesurer l’importance et s’est attachée à le promouvoir. Or cette activité exigeait des prêtres bien formés, menant une existence édifiante et attentifs à la vie concrète des gens. Le Saint-Siège a poussé le clergé dominicain et franciscain, qui présentait ces qualités, à se spécialiser dans ce ministère. Celui-ci s’accordait avec la vocation des Frères prêcheurs et ils s’y sont rapidement investis. En revanche, la vocation initiale des Frères mineurs, non cléricale, axée sur la manière d’être et non sur la mission, en était fort éloignée. L’engagement massif des clercs franciscains dans ce service d’Église s’est effectué au prix d’une profonde évolution et, même, d’une redéfinition de l’identité de la Fraternité mineure.

     

     

    Le commentaire

     

    Contrairement à la prédication de la pénitence, qui était ouverte aux laïcs et à laquelle François et ses compagnons se sont adonnés dès la naissance de la Fraternité mineure, la prédication liturgique et pastorale était réservée aux seuls prêtres. Son exercice était soumis à l’autorité des évêques diocésains et, à moins de bénéficier d’un privilège d’exemption accordé par le pape, aucun prédicateur ne pouvait la pratiquer sans y avoir été expressément autorisé par l’ordinaire du lieu. C’est pour un excellent motif, à savoir le salut des âmes, que des frères clercs viennent demander au petit Pauvre de leur obtenir un tel privilège. Pourtant, la réplique de celui-ci leur oppose, d’un ton passionné, un refus clair et définitif. François est à ce point irrité par leur requête qu’il se retranche même verbalement de la communauté des frères : « Vous, Frères mineurs, vous ne connaissez pas la volonté de Dieu et vous ne me laissez pas convertir le monde entier comme Dieu le veut ! Car moi… »

     

    La réponse de François appelle trois remarques. Tout d’abord, par-delà ses interlocuteurs directs, il s’adresse à – et vise – l’ensemble des Frères mineurs. C’est le signe que sa réaction est liée à l’évolution de l’Ordre et qu’un aspect essentiel de la spiritualité franciscaine lui paraît gravement menacé. Ensuite, ses paroles établissent une vive opposition, sur le plan de la connaissance, entre lui-même et les frères venus lui parler. Non seulement ceux-ci ignorent la volonté de Dieu, mais ils sont incapables de prendre en compte des données autres que leurs objectifs personnels et la réussite de leur action. François, pour sa part, affirme connaître le vouloir divin et pose sur le peuple chrétien, qu’il considère en sa globalité, un regard bien plus large et profond que le leur. Il met en lumière l’inéluctable conséquence de la démarche qu’ils préconisent : l’émergence d’un conflit entre l’Ordre mineur et le clergé local, et dévoile l’esprit d’appropriation et l’orgueil qui les animent. Enfin, François expose sa conception de l’engagement des frères dans l’Église et en montre les fruits. Celle-ci est fondée sur l’attitude de minorité et mise sur la dynamique engendrée par la confiance mutuelle entre les divers acteurs pastoraux. En devenant des spécialistes de la prédication, obnubilés par l’efficacité de leur agir, les Frères mineurs risquent de se situer exclusivement dans le registre du faire ; François voudrait qu’ils demeurent dans celui de l’être. La sévérité de ses remontrances vient de ce que leur soif trop humaine de succès ruine la « pastorale de l’obéissance et du service » que lui et les premiers frères ont élaborée et qu’il sait être conforme à la volonté de Dieu. Il faut, certes, œuvrer à la conversion des chrétiens, mais pas n’importe comment. La stratégie de François est de « les convertir tous par l’exemple plus que par la parole » et, comme en témoigne Léon, il restera fidèle à cette ligne de conduite jusqu’à son dernier souffle.

     

    L'aspect de la spiritualité franciscaine que contredit et met en danger la demande des frères prédicateurs est la minorité. Celle-ci, pour les disciples du petit Pauvre, ne constitue pas une valeur parmi d’autres mais caractérise la nature même de leur insertion dans la société et de leur rapport aux autres. C’est la minorité, et non la pauvreté, que François et les premiers frères ont identifiée comme la notion la plus apte à définir leur vocation, ainsi que le révèle leur choix, vers 1215, du nom de « Frères mineurs ». Or, en latin, le comparatif « minor » signifie « plus petit », « moindre ». Ce terme implique donc une idée d’abaissement. Mais de quelle sorte d’abaissement s’agit-il ? Les paroles de François rapportées par Léon nous livrent une première indication. Il y est question d’humilité, de révérence envers les dignitaires ecclésiastiques et de respect des droits du clergé séculier. Trois passages de la Règle non bullata (1221) apportent d’autres éléments de réponse et vont nous permettre de comprendre en profondeur ce qu’est la minorité :

     

    « Semblablement, que tous les frères n’aient en cela aucun pouvoir ni domination, surtout entre eux. Car, comme le Seigneur dit dans l’Évangile : Les princes des peuples les dominent, et ceux qui sont plus grands exercent sur eux le pouvoir (Mt 20, 25). Il n’en sera pas ainsi parmi les frères. Mais quiconque voudra se faire plus grand [maior] parmi eux, qu’il soit leur ministre et serviteur. Et que celui qui est plus grand parmi eux se fasse comme le plus petit [minor] [1]. »

     

    « Que tous les frères, en quelque lieu qu’ils se trouvent chez autrui pour servir ou pour travailler, […] soient plus petits [minores] et soumis à tous ceux qui sont dans la même maison [2]. »

     

    « Les frères qui s’en vont [parmi les sarrasins et autres infidèles] peuvent vivre spirituellement parmi eux de deux manières. Une manière est de ne faire ni disputes ni querelles, mais d’être soumis à toute créature humaine à cause de Dieu (1P 2, 13) et de confesser qu’ils sont chrétiens. L’autre manière est, lorsqu’ils verraient que cela plaît au Seigneur, d’annoncer la parole de Dieu, pour qu’ils croient en Dieu tout-puissant, Père et Fils et Esprit saint […] [3]. »

     

    Le premier texte décrit le comportement que doivent avoir les Frères mineurs les uns envers les autres ; le deuxième, leur comportement en contexte professionnel ou pastoral ; le troisième, leur comportement en mission. Dans les trois cas, la conduite que François exige d’eux est rigoureusement identique : n’exercer aucun pouvoir ni domination sur quiconque, être soumis à tous et se faire le serviteur de tous. Telle est la teneur que François confère à la minorité, qu’il résume ainsi dans la Lettre aux fidèles : « Jamais nous ne devons désirer être au-dessus des autres, mais nous devons plutôt être des serviteurs et soumis à toute créature humaine à cause de Dieu [4] ». Il faut souligner le caractère inouï et scandaleux, pour l’époque, du troisième texte. Lorsque François dicte ces lignes, chrétiens et musulmans sont en guerre depuis cinq siècles, beaucoup de théologiens tiennent l’Islam pour une œuvre satanique et rares sont ceux qui condamnent l’emploi de la violence pour obtenir la conversion des « infidèles ». François, lui, respecte pleinement la liberté des musulmans et demande à ses frères d’avoir envers eux exactement la même attitude qu’envers les chrétiens.

     

    La sollicitation d’un privilège d’exemption s’oppose de front à la minorité car elle veut soustraire les frères à l’autorité du clergé local alors que la minorité leur enjoint d’être soumis à tous. On comprend mieux, dès lors, le refus catégorique de François, qu’il réitère avec force dans son Testament :

     

    « J’interdis fermement, par obéissance, à tous les frères, où qu’ils soient, d’oser demander aucune lettre à la curie romaine par eux-mêmes ou par personne interposée, ni pour une église, ni pour un autre lieu, ni sous prétexte de prédication, ni en raison de la persécution de leurs corps ; mais partout où ils ne seraient pas reçus, qu’ils fuient en une autre terre (Mt 10, 23) […] [5]. »

     

    On objectera que passer son temps à occuper la dernière place et à se faire piétiner par les autres est une attitude malsaine et contre-nature, qui relève de la névrose. Y aurait-il donc quelque chose de psychologiquement pernicieux dans la minorité ? La réponse est négative car la minorité résulte d’un libre choix spirituel et non d’un dérèglement psychique. Renoncer à exercer un pouvoir sur autrui et se mettre à son service ne signifie pas, ici, abdiquer sa liberté mais inscrire en Dieu sa relation avec lui. La soumission de la personne mineure n’a rien de lâche ni de servile ; au contraire, la minorité requiert le courage de dénoncer l’injustice et, lorsqu’il le faut, d’oser dire à autrui sa vérité, mais ce afin qu’il grandisse, non pour le blesser ou le dominer. La minorité est la marque spécifique de l’ « être au monde » franciscain.

     

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    [1]1Reg 5, 9-15 ; traduction de J.-F. Godet Calogeras in François d’Assise, op.cit., p. 195.

    [2]1Reg 7, 1-2 ; traduction de J.-F. Godet Calogeras in ibid., p. 198.

    [3]1Reg 16, 5-7 ; traduction de J.-F. Godet Calogeras in ibid., p. 208-209. On notera que le texte grec original de 1P 2, 13 a : « soyez soumis à toute institution humaine à cause du Seigneur », mais que la traduction latine, seule accessible à François, donne : « soyez soumis à toute créature humaine à cause de Dieu ».

    [4]2LFid 47.

    [5]Test 25-26.

     

    Pour nous, aujourd’hui

     

    L’homme est un être qui se projette dans l’avenir et a naturellement tendance à bâtir des projets. C’est une chose bonne, à condition de ne pas absolutiser ses projets ni de faire de ses activités des chasses gardées. Les frères prédicateurs venus demander à François l’obtention d’un privilège pontifical ne parvenaient pas, avons-nous dit, à dépasser le cadre de leurs visées personnelles et à accéder à une vision d’ensemble de l’Église et de ses besoins pastoraux. Et nous-mêmes, quelle est notre attitude en la matière ? Nous comportons-nous en propriétaires égoïstes de notre emploi, de notre mission et des tâches plus humbles qui nous incombent, ou bien les exerçons-nous comme autant de services, destinés à contribuer au bien commun ?

     

    « Ne vois-tu pas que parfois les évêques ne nous laissent pas prêcher et que, durant de nombreux jours, ils nous laissent rester inactifs dans une contrée ? » / « Lorsqu’ils verront votre vie sainte et votre révérence envers eux, ils vous demanderont eux-mêmes de prêcher et de convertir le peuple. » Quel regard portons-nous sur nos collègues et partenaires dans la conduite de nos activités ? Voyons-nous en eux des obstacles ou des rivaux, comme les frères prédicateurs, ou bien les considérons-nous comme des alliés, dignes de confiance et doués d’un réel dynamisme spirituel, à l’instar de François ?

     

    Enfin, dans les diverses sphères de notre vie sociale, quels sont les aspects de notre comportement marqués par l’esprit de minorité et ceux assujettis à l’orgueil et au désir de domination ? Il est bien difficile de demeurer longtemps dans l’attitude de minorité car le pouvoir et la domination exercent un puissant attrait sur les pécheurs que nous sommes et nous ne cessons de dériver dans leur direction. Aussi est-il bon de nous remémorer souvent cette maxime de François : « Jamais nous ne devons désirer être au-dessus des autres, mais nous devons plutôt être des serviteurs et soumis à toute créature humaine à cause de Dieu ».

     

       © Éditions franciscaines, 2011 


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  • Le premier bienheureux gitan, tertiaire franciscain


    Pentecôte : Benoît XVI recevra 1.400 Gitans au Vatican

    Bx-Ceferino.jpg Anniversaire de la naissance du Bx Ceferino

    ROME, Mardi 7 juin 2011 (ZENIT.org) ;Benoît XVI recevra quelque 1.400 Gitans au Vatican Samedi prochain, à la mi-journée, annonce le Conseil pontifical pour la Pastorale des Migrants et des personnes en déplacement.


    Depuis des décennies, des congrès pastoraux organisés par le même dicastère ont attiré au Vatican des milliers de Gitans.

    Le premier bienheureux gitan


    Des Gitans de différentes ethnies : Roms, Sinti, Manouches etc... et venus de toute l'Europe, fêteront en effet par un pèlerinage à Rome, à la Pentecôte, le 150eanniversaire de la naissance du premier Gitan reconnu comme martyr de la foi, le bienheureux Ceferino (Zéphyrin) Giménez Malla, victime, en 1936, de la persécution qui s'est développée en Espagne sous couvert de la Guerre civile. Il a été fusillé pour avoir défendu un prêtre et pour avoir refusé de se défaire de son chapelet, ce que lui conseillait un ami anarchiste qui voulait le sauver.

    Mgr Antonio Maria Veglio, président du dicastère romain, recevra les participants samedi, 11 juin, et il devrait évoquer l'engagement croissant des gens du voyage au sein de l'Église où ils peuvent, dit-il, « trouver un soutien, dans leur existence souvent marquée par la marginalisation et la méfiance ».

    La vie des gens du voyage sera illustrée à Benoît XVI par quatre témoignages, dont celui d'une rescapée des camps de concentration nazis.

    Les Gitans et les papes


    Paul VI, pourtant souffrant ce jour-là, avait voulu rencontrer la communauté des Gitans, le 26 septembre 1965 à Pomezia, près de Rome. Jean-Paul II a reçu les participants de différents congrès à Rome, et, pour le Grand Jubilé de l'An 2000, il a demandé pardon pour les péchés commis par des membres de l'Église catholique contre des Gitans.

    Il y aurait actuellement quelque 36 millions de Gitans dans le monde, dont 18 millions en Inde, leur pays d'origine, et entre 12 et 15 millions en Europe, en particulier à l'Est.

    Le bienheureux Ceferino a été béatifié par Jean-Paul II à Rome le 4 mai 1997. Recevant un groupe de Gitans français, il leur déclara que « Ceferino était un Gitan admirable par la sagesse et le sérieux de sa vie d'homme et de chrétien », et « un bel exemple de fidélité dans la foi pour tous les chrétiens, surtout pour vous, les Gitans, qui êtes proches de lui par la nationalité et la culture.

    Laïc et martyr


    Ceferino (Zéphyrin) Gimenez Malla, laïc et martyr (1861-1936) avait d'abord été marié d'abord selon la coutume des Gitans. Mais en 1874 il demande à recevoir le sacrement du mariage, à l'Eglise. Comme il n'a pas d'enfant, Zéphyrin adopte une des nièces de sa femme et il la traite comme sa fille.

    Le « Pelé », c'est son surnom, est maquignon, et il se déplace de foire en foire. Il est difficile, constate-t-il, « d'être commerçant sans pécher ». Mais sa droiture et sa sagesse lui permettent d'être choisi, quoique analphabète, parmi les dix conseillers de la ville de Barbastro, en Aragon. Artisan de paix, il sert souvent de médiateur parmi ses pairs : on l'appelle le « maire des Gitans ». L'évêque lui-même, Mgr Florentin Asensio Barroso, n'hésite pas à le consulter.

    Devenu tertiaire franciscain en 1926, El Pelé fait aussi partie de la Conférence de Saint-Vincent de Paul et se dévoue pour les malades et les plus pauvres.


    A la fin de sa vie il participe quotidiennement à la messe, se montre assidu à l'adoration eucharistique le jeudi, et, une fois par mois, la nuit. Il enseigne le catéchisme aux enfants et porte toujours son chapelet.

    Au moment de la persécution religieuse qui a précédé puis accompagné la Guerre civile, il est finalement arrêté par des miliciens, pour avoir pris la défense d'un jeune prêtre. Emprisonné, il refuse de se défaire de son chapelet, ce qui lui aurait valu la liberté. Et il est fusillé, le même jour que son évêque : ils ont aussi été béatifiés le même jour ! Il meurt après avoir lancé « Vive le Christ Roi ». Son corps est jeté dans la fosse commune et ne sera jamais retrouvé.

    Anita S. Bourdin

    source  www.zenit,org

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    Le texte franciscain du mois – Avril 2011

     
     

                  Le texte : Légende des trois compagnons, § 11 : 

     

    Un jour qu’il priait le Seigneur avec ferveur, il obtint cette réponse : « François, tout ce que tu as charnellement chéri et désiré avoir, il te faut le mépriser et le haïr si tu veux connaître ma volonté. Après que tu auras commencé à faire cela, ce qui auparavant te semblait suave et doux te sera insupportable et amer[1] ; en ce qui te faisait horreur auparavant, tu puiseras une grande douceur et une immense suavité.»

     

    Réjoui donc par ces paroles et conforté dans le Seigneur, comme il chevauchait près d’Assise, il rencontra un lépreux sur sa route. Comme il avait d’ordinaire une grande horreur des lépreux, se faisant violence, il descendit de cheval et lui offrit un denier en lui baisant la main. Ayant reçu de lui un baiser de paix, il remonta à cheval et poursuivit son chemin. À partir de ce moment, il se mit à se mépriser de plus en plus, jusqu’à parvenir à une parfaite victoire sur lui-même par la grâce de Dieu.

     

    Quelques jours plus tard, prenant beaucoup d’argent, il se rendit à l’hôpital des lépreux et, les réunissant tous ensemble, il donna une aumône à chacun en lui baisant la main. À son retour, il est vrai que ce qui lui était auparavant amer – c’est-à-dire de voir et de toucher des lépreux – fut changé en douceur[2]. Comme il le dit, elle lui avait en effet été à ce point amère, la vision des lépreux, qu’il refusait non seulement de les voir, mais même de s’approcher de leurs habitations. Et s’il lui arrivait parfois de passer le long de leurs maisons ou de les voir, bien que la pitié le pousse à leur faire l’aumône par personne interposée, pourtant il détournait toujours le visage et se bouchait le nez de ses propres mains. Mais par la grâce de Dieu, il devint à ce point familier et ami des lépreux que, comme il atteste en son Testament[3], il séjournait parmi eux et les servait humblement.

     

     

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    [1] Construit par inversion de Test 3 pour ouvrir la voie à la transformation qui suit.

    [2] Voir Test 1-3.

    [3] Voir Test 3

     

     

    © Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2011

     Le contexte

     

    Le 4 octobre 1244, le chapitre de Gênes élit Crescent de Iesi ministre général de l’Ordre des Frères mineurs. Peu après, celui-ci invite les frères ayant partagé la vie de François d’Assise à transmettre par écrit leur témoignage concernant ses faits et gestes et, surtout, ses miracles. Le 11 août 1246, en réponse à cet appel, trois proches compagnons du petit Pauvre : Léon, Ange et Rufin, envoient à Crescent un paquet de documents accompagné d’une lettre signée de leurs trois noms. Ce paquet se compose pour l’essentiel d’une liasse de fiches rédigées par Léon et de la version originelle de la Légende dite des trois compagnons[1]. Celles-ci constitueront les deux principales sources de la Seconde Vie de François écrite par Thomas de Celano en 1246-1247. On peut donc dater avec certitude la Légende des trois compagnons des années 1244-1246. Son titre est fallacieux car il ne s’agit pas à proprement parler d’une légende[2] et l’analyse littéraire révèle qu’elle a été rédigée par une seule main et non par trois. Son attribution collective à Léon, Ange et Rufin provient de ce que, dans les manuscrits, elle s’accompagne presque toujours de la lettre cosignée par ces trois frères. Cette « légende » reprend de nombreux passages du texte intitulé Du Commencement de l’Ordre, écrit par frère Jean, compagnon du bienheureux Gilles ; elle a sûrement été rédigée par un habitant d’Assise ayant côtoyé le jeune François car son auteur connaît remarquablement bien la vie de cette cité et corrige, en maintes occasions, les versions des faits de Thomas de Celano et de Jean. Une hypothèse plausible, mais non avérée, est que son texte soit dû à la plume du seul Rufin.

     

    La Légende des trois compagnons constitue clairement notre meilleur témoin des étapes de la conversion initiale du petit Pauvre, dont elle retrace avec soin la chronologie. Elle nous apprend que, de retour à Assise après l’échec de l’expédition en Pouille du printemps 1205 [3], François participa à un dernier banquet organisé par la compagnie de jeunes Assisiates dont il était membre. Au sortir de ce festin, qu’il paya vraisemblablement de ses deniers, il vécut une bouleversante expérience intérieure de la douceur divine (3S 7), qui l’amena à commencer de se détacher des valeurs du monde et à prier fréquemment dans des lieux retirés (3S 8). Il devint aussi plus généreux envers les pauvres, au point de ne jamais en laisser un le quitter les mains vides (3S 8-9). Enfin, probablement au début de l’automne 1205, il fit un pèlerinage à Rome, sans doute pour discerner quelle orientation donner à sa vie, au cours duquel il revêtit les habits d’un mendiant et passa plusieurs heures à demander l’aumône (3S 10). Sa rencontre avec le lépreux advint dans les semaines qui suivirent son retour de la Ville éternelle.

     

    La lèpre sévissait déjà en Occident, à l’état endémique, durant le haut Moyen Âge. Elle progressa considérablement aux XIe-XIIIe siècles, en raison de la croissance démographique et des croisades, et atteignit son ampleur maximale aux alentours de 1250. Elle reflua ensuite progressivement, jusqu’à sa totale éradication au XVIIe siècle. À l’époque de François, le monde latin devait compter entre cinquante et cent mille lépreux ; ceux-ci jouissaient encore d’une réelle liberté de circulation, les autorités publiques se bornant à leur interdire l’accès des cités. Leur ségrégation devint par la suite de plus en plus rigoureuse, au point d’aboutir à leur exclusion totale et à la célébration de leur « mort sociale » au début du XIVe siècle.

     

    © Éditions franciscaines, 2011

     

    [1] Cette première version connaîtra des remaniements ultérieurs ; Voir l’introduction de J. Dalarun à la Légende des trois compagnons in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1064-1066.

    [2] Au Moyen Âge, une légende ne désigne pas une histoire merveilleuse mais un écrit destiné à être lu en public (legenda provient de legere, « lire ») et obéissant à des règles précises de composition.

    [3] Voir TFM de mars 2011.

     

     

      

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    © Éditions franciscaines Evangile Aujourd'hui n°161

     François et le lépreux

     

     

    Le commentaire

     

    Le Testament de François, rédigé au cours du printemps 1226, ne mentionne qu’un seul épisode de son existence antérieur à l’arrivée des frères : la rencontre et le service des lépreux. C’est la preuve que cette expérience représentait, aux yeux du petit Pauvre, l’élément décisif de son chemin personnel de conversion. Il vaut la peine de transcrire le passage en question :

     

    « Le Seigneur me donna ainsi à moi, frère François, de commencer à faire pénitence : comme j’étais dans les péchés, il me semblait extrêmement amer de voir des lépreux. Et le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux et je fis miséricorde avec eux. Et en m’en allant de chez eux, ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’esprit et du corps ; et après cela, je ne restai que peu de temps et je sortis du siècle[1]. »

     

    L’expression « faire pénitence » signifie, au Moyen Âge, « se convertir ». La formule « je fis miséricorde avec eux » indique que François s’est mis à servir et soigner les lépreux, dans une maladrerie des environs d’Assise[2], non pas de façon extérieure et détachée mais en étant atteint au tréfonds de son cœur par leurs souffrances. Enfin, la dernière phrase exprime le renversement de valeurs caractéristique de toute conversion authentique – on peut songer aux paroles adressées par l’évêque Rémi à Clovis lors du baptême de celui-ci : « Brûle ce que tu as adoré ; adore ce que tu as brûlé ! » L’originalité de l’expérience de François réside dans le fait que non seulement son comportement mais ses sensations mêmes se transforment du tout au tout : « ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’esprit et du corps ». L’engagement de Francesco di Bernardone en faveur des lépreux précède de peu sa « sortie du siècle », c’est-à-dire sa rupture avec la société assisiate et sa consécration à Dieu. La raison en est que le service des lépreux procède de valeurs diamétralement opposées à la recherche du profit, qui régit l’activité marchande, et à la soif de pouvoir, qui gouverne la vie politique. La commune d’Assise a, certes, le souci de nourrir les lépreux et les indigents, mais elle les traite en assistés et s’avère incapable de leur ménager une place au sein de la société. Si un citoyen d’Assise entre dans une relation de cœur à cœur avec eux, sa situation deviendra vite intenable et il devra rentrer dans le rang ou bien sortir de l’enceinte de la cité et aller partager leur existence, devenant lui-même un marginal… François choisira la seconde voie.

     

    Ce passage du Testament constitue l’arrière-plan des deux plus anciens récits relatant la démarche de miséricorde de François envers les lépreux : 1C 17  [3] et 3S 11, lesquels s’attachent à en expliciter les circonstances concrètes. Contrairement aux deux autres textes, 1C 17 situe (à tort) l’événement après la renonciation de François à tous ses biens devant l’évêque d’Assise et l’interprète en un sens ascétique. La phrase de 3S 11 : « À partir de ce moment, il se mit à se mépriser de plus en plus, jusqu’à parvenir à une parfaite victoire sur lui-même par la grâce de Dieu. » lui est empruntée quasiment à la lettre. La Légende des trois compagnons offre une narration mieux construite et plus détaillée de l’épisode et, davantage encore que Test 1-3, insiste sur la transformation des sentiments intérieurs de François et le retournement de ses valeurs. 1C 17 et 3S 11 s’accordent, en revanche, pour faire découler son engagement auprès des lépreux de sa rencontre avec l’un d’eux sur une route, ce dont le Testament ne dit mot. Thomas de Celano déclare simplement que le petit Pauvre embrasse ce lépreux, mais la Légende des trois compagnons précise qu’il lui baise la main et reçoit de lui, en retour, un baiser de paix. Cette précision est d’une grande portée symbolique car, à l’époque féodale, le baiser des mains et le baiser de paix constituent deux éléments de la cérémonie de l’hommage vassalique. Le premier, donné par le vassal alors qu’il est à genoux, exprime son allégeance envers son seigneur ; le second, donné par le seigneur sur la bouche de son vassal juste après l’avoir relevé, est un signe d’accueil et d’égalité. 3S 11 indique donc implicitement, mais très clairement, que François considère le lépreux comme son seigneur. Il ne s’agit pas là – ou du moins pas seulement – d’une de ces exagérations dont François est coutumier. Le XIIe siècle a vu se répandre, en effet, la dévotion à l’humanité de Jésus et l'idée que le pauvre était l'image du Christ souffrant. C'est cette dernière thématique que la Légende des trois compagnons reprend et pousse à l’extrême : dans le lépreux, qu’il ose enfin dévisager, François voit une image, et peut-être même une personnification de son Seigneur, le Christ en croix.

     

    Une autre caractéristique de 3S 11, par comparaison avec Test 1-3 et 1C 17, est la place que tient l’argent dans ce récit : François donne un denier au lépreux rencontré sur la route et lorsqu’il se rend à la maladrerie, dans les jours qui suivent, il octroie une généreuse aumône à tous ceux qui y résident. Est-ce à dire qu’il se situe dans l’agir, et non dans l’être, et qu’il ne sait se positionner que comme celui qui donne, et non comme celui qui reçoit ? Cette question comporte probablement une part de vrai car François, à cette époque, est encore au début de son itinéraire spirituel et, malgré la victoire qu’il vient de remporter sur lui-même, il ne s’est pas totalement libéré de l’esprit du monde. Cependant, la profonde compassion qu’il éprouve envers les lépreux lui fait déjà dépasser ce stade. Bientôt, ainsi que le rapporte la Compilation d’Assise[4], qui rassemble les souvenirs de Léon, il nommera les lépreux ses « frères chrétiens ». L’usage du terme « chrétien » pour désigner les lépreux est attesté depuis le début du XIe et n’a rien d’original. L’apport propre de François est de l’employer comme adjectif, et non comme substantif, et de le faire précéder du mot « frère ». Ainsi le lépreux est-il, à ses yeux, fondamentalement et d’abord un frère, et accidentellement et secondairement une personne atteinte de la lèpre.

     

    La constatation que Test 1-3 ne mentionne pas la rencontre et l’embrassade du lépreux a été invoquée pour expliquer que ce récit était une pieuse invention de Thomas de Celano, reprise par la Légende des trois compagnons, mais l’argument n’est guère convaincant. D’une part, la sobriété de 1C 17 et la vraisemblance de cet épisode – au vu du caractère entier de François et du dégoût que lui inspiraient les lépreux, une victoire inopinée et décisive sur lui-même est fort crédible – militent en faveur de son historicité. D’autre part, le Testament est un texte synthétique, qui se concentre sur l’essentiel. Or l’important, aux yeux de François, n’est pas la façon dont il a surmonté sa répugnance envers les lépreux mais le fait que cette victoire est le fruit d’une initiative divine et, surtout, qu'elle l’a conduit à s’engager durablement à leur service. Au moins jusqu’à son départ pour l’Orient, en 1219, le service des lépreux restera un élément constitutif de la vocation de Frère mineur. La Compilation d’Assise offre un précieux témoignage à ce sujet : « au début de la religion, après que les frères commencèrent à se multiplier, il voulut que les frères demeurent dans les hôpitaux des lépreux pour les servir ; c’est pourquoi, en ce temps où venaient à la religion nobles et non nobles, entre autres choses qui leur étaient annoncées, on leur disait qu’il leur faudrait servir les lépreux et demeurer en leurs maisons[5] ».

     

     

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    [1] Test 1-3 ; traduction de J.-F. Godet Calogeras in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 308.

    [2) Il doit s’agir de l’hôpital San Lazzaro dell’Arte, situé non loin de Saint-Damien ; lorsqu’ils s’établiront à la Portioncule, François et ses frères fréquenteront aussi l’hôpital Saint-Sauveur-des-murs, tenu par les Croisiers.

    [3] VJS 12 ne doit pas être pris en compte, car ce texte reproduit presque mot pour mot 1C 17.

    [4] Voir CA 64 [LP 22]

    [5 CA 9 [LP 102] ; traduction de F. Delmas-Goyon in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1218-1219. Voir également CA 64 [LP 22].

     

     

     

     

    Pour nous, aujourd’hui

     

    Au temps de François d’Assise, les lépreux représentaient la catégorie sociale la plus rejetée et la plus marginale, du fait du risque de contagion. Le petit Pauvre est allé parmi eux, leur a fait l’aumône et les a soignés. Qu’en est-il de notre propre attitude vis-à-vis des exclus et des indigents ? Cédons-nous à l’indifférence et à la peur, ou bien pratiquons-nous le partage avec eux, en particulier par le biais des organismes caritatifs ? Et, si nous en avons le temps, osons-nous fraterniser avec eux et lutter à leurs côtés pour le respect de leurs droits et de leur dignité ? Du point de vue franciscain et chrétien, nous ne sommes jamais les propriétaires absolus des biens dont nous disposons, car c’est à Dieu qu’ils appartiennent ultimement. Nous en sommes juste les intendants et avons le devoir de faire don, au minimum, de notre superflu à ceux qui en ont le plus besoin.

     

    François a répondu avec fougue et générosité à la grâce divine. Le texte de ce mois nous interroge aussi sur notre propre réponse à la grâce et, par voie de conséquence, sur la qualité de notre foi en Dieu, le Père de Jésus Christ. Celle-ci est-elle fervente et irrigue-t-elle toute notre existence, ou bien n’en constitue-t-elle qu’un ornement, une simple « cerise sur le gâteau » ? De même, le Christ est-il vraiment pour nous « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), ou bien juste une grande figure du passé, dont nous nous inspirons… à condition que cela n’entraîne aucun changement notable dans notre mode de vie ?

     

     © Éditions franciscaines, 2011 

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    Le texte franciscain du mois – Mars 2011

     

     

    Le texte : frère Jean, Du Commencement de l’Ordre, § 5-7a

     

    5a Le temps passant, il arriva à ce bienheureux homme une chose étonnante qu’il serait à mon sens indigne de passer sous silence. Une nuit donc qu’il dormait dans son lit, lui apparut quelqu’un qui, l’appelant par son nom[1] , le conduisit dans un palais d’un charme et d’une beauté indicibles, plein d’armes chevaleresques, y compris de resplendissants boucliers marqués de la croix pendant aux murs tout autour. 

     

    5b Comme il demandait à qui étaient ces armes étincelant d’un tel éclat et ce palais si charmant, il reçut cette réponse de celui qui le guidait : « Toutes ces armes et le palais sont à toi et à tes chevaliers. » 

     

    5c À son réveil, il se mit à réfléchir en homme de ce monde, comme quelqu’un qui n’avait pas encore pleinement goûté l’Esprit de Dieu, et à déduire qu’il devait devenir un prince magnifique. Pensant et repensant la chose, il résolut de se faire chevalier afin qu’une fois chevalier, lui soit offert un tel principat. S’étant donc fait préparer des vêtements d’étoffes aussi précieuses qu’il put, il se disposa à partir pour la Pouille[2] auprès d’un noble comte[3] [3 - suite] pour être fait par lui chevalier. 

     

    5d Rendu par cela plus allègre qu’à l’ordinaire, il était regardé par tous avec étonnement. Et à ceux qui l’interrogeaient sur la raison de cette nouvelle allégresse, il répondait : « Je sais que je vais devenir un grand prince. » 

     

    6a Après avoir engagé un écuyer, montant sur son cheval, il chevauchait vers la Pouille. 

     

    6b Or il était parvenu à Spolète[4], préoccupé de son voyage ; et à la nuit tombée, il avait mis pied à terre pour dormir. Il entendit alors dans son demi-sommeil une voix qui lui demandait où il voulait aller. Point par point, il lui révéla tout son projet. Et la voix de nouveau : « Qui peut te faire plus de bien, le seigneur ou le serviteur ? » Il répondit : « Le seigneur. » – « Pourquoi donc délaisses-tu le seigneur pour le serviteur et le prince pour le vassal ? » François lui demanda : « Seigneur, que veux-tu que je fasse [5] ? » – « Retourne, dit la voix, dans ton pays [6] pour faire ce que le Seigneur te révélera. » 

     

    6c Soudain, lui semblait-il, il fut changé en un autre homme par la grâce divine. 

     

    7a Le matin venu, il retourne donc chez lui comme il lui avait été commandé. 

    Traduction de J. Dalarun in François d’Assise, Écrits, Vies,
    témoignages
    , J. Dalarun dir., Paris, 2010, vol. 1, p. 990-991

     

     


    [1] Voir Gn 4, 17.
    [2] Pouille, région d’Italie méridionale longeant la mer Adriatique.
    [3] « Ad comitem gentilem » : il ne s’agit probablement pas d’un nom propre, mais de l’expression « gentil comte », courante dans les chansons de geste. Dans la bouche des troubadours qui parcouraient l’Italie au temps de la jeunesse de François, l’expression « gentil comte » était devenue le surnom du comte Gauthier de Brienne : la magnificence de sa cour et ses exploits guerriers en Pouille en avaient fait le type même du « gentil » chevalier.

    [4] Spolète, province de Pérouse, Ombrie.
    [5] Ac 9, 6.

    [6] Gn 32, 9.

    © Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2011

    Le contexte

     

    Le texte dont provient ce récit a longtemps été appelé l’ « Anonyme de Pérouse » car son auteur ne décline nulle part son identité. Il nous est pourtant connu : il s’agit d’un frère prêtre dénommé Jean, qui fut le confesseur et confident de frère Gilles, le troisième compagnon de François d’Assise. C’est pourquoi on désigne désormais cet écrit par ses premiers mots : Du Commencement de l’Ordre. Très probablement rédigé entre mars 1240 et août 1241, il traite de la conversion de François et des débuts de la Fraternité mineure, qu’il fait suivre d’un aperçu de l’expansion de celle-ci et du récit de la canonisation du petit Pauvre. Son héros est moins François que le groupe des premiers frères[1]. En plusieurs occasions, frère Jean corrige la Vie du bienheureux François de Thomas de Celano, dont l’information concernant la jeunesse du saint et les premières années de la Fraternité est incomplète et très approximative. 

     

    Les deux épisodes relatés ci-dessus se situent à la fin du printemps 1205. Ils marquent le début du processus de conversion qui conduira François, environ neuf mois plus tard – le temps d’un enfantement ? –, à renoncer à tous ses biens et à se consacrer totalement à Dieu devant l’évêque d’Assise. Pour l’heure, le jeune Francesco di Bernardone, marchand drapier de son état, a résolu de partir guerroyer dans la Pouille, où, depuis 1201, le comte Gauthier de Brienne affronte les troupes impériales. L’enjeu de cette guerre est le trône de Sicile[2], qui est échu à l’empereur d’Allemagne en 1194, mais sur lequel l’épouse de Gauthier peut faire valoir quelques droits. Soucieux d’éviter l’encerclement de son territoire par les possessions impériales, le pape Innocent III a accordé son soutien à Gauthier, permettant à celui-ci et à ses chevaliers d’arborer le signe de la croix sur leurs armes. À la tête d’à peine quelques centaines de combattants, Gauthier remporte deux victoires en 1201, à Capoue puis à Cannes, mais finit par être vaincu et tué à la bataille de Sarno, en juin 1205. 

     

    C’est avant tout en raison du renom de Gauthier que François part combattre à ses côtés, mais probablement aussi parce que, sur le plan politique, sa famille est partisane du pape et adversaire de l’empereur.


    [1] Voir l’introduction de J. Dalarun à Du Commencement de l’Ordre in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages,
    vol. 1, p. 978-981.
    [2] À l’époque de François, le royaume de Sicile comprend, outre l’île elle-même, tout le sud de la péninsule italienne, jusqu’au domaine pontifical.

    © Éditions franciscaines, 2011

     

    © Éditions franciscaines, 2010

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     François donne son manteau à un chevalier pauvre

    Le commentaire

     

    AP 5-7a occupe une position médiane dans la fixation de la mémoire des événements qu’il relate : d’une part, le projet de partir dans la Pouille et la « vision des armes » ont déjà été rapportés par Thomas de Celano[1] ; d’autre part, le récit de frère Jean sera repris et rectifié par l’auteur de la Légende des trois compagnons[2], rédigée quelques années plus tard. Du Commencement de l’Ordre corrige le texte célanien sur trois points. Premièrement, il précise que ce n’est pas dans sa maison mais dans un magnifique palais que François voit les armes et que celles-ci sont marquées de la croix. Deuxièmement, il renforce la logique de l’épisode en faisant de cette vision la raison du choix soudain, par François, de la carrière des armes. Troisièmement, il articule à cette vision le récit du « songe de Spolète », dont il offre le plus ancien témoignage, qui permet d’expliquer pourquoi le jeune marchand renonce à son projet guerrier. 3S 5-6, dont l’auteur est manifestement un habitant d’Assise bien au courant des faits, reprend AP 5-7a et corrige lui aussi sa source. Alors que frère Jean faisait de la « vision du palais et des armes » le motif du projet de François de partir combattre dans la Pouille et présentait ce dernier comme une initiative individuelle, la Légende des trois compagnons restitue le véritable contexte de l’événement : avant cette vision, François a déjà décidé de rejoindre Gauthier de Brienne pour être adoubé chevalier et, loin de partir seul, il a intégré une petite troupe constituée par un noble d’Assise[3]. Ensuite, selon la Légende, le facteur qui a déclenché la « vision du palais et des armes » est le don par François de ses habits à un chevalier pauvre, vraisemblablement membre, lui aussi, de l’expédition assisiate : 

     

    « Cependant, le jour précédant immédiatement la vision, s’était d’abord manifesté en lui un signe de grande courtoisie et noblesse, signe dont on croit qu’il ne constitua pas la moindre raison de cette vision. En effet, tout son habillement bizarre et cher qu’il s’était fait faire à neuf, ce jour-là il l’avait donné à un pauvre chevalier[4]. » 

     

    Enfin, la Légende précise que lorsque le groupe atteint Spolète, au terme d’une journée de chevauchée, François commence « à être un peu malade[5] ». Elle reprend mot pour mot le dialogue entre la voix et François transcrit par Du Commencement de l’Ordre, mais ajoute cette ultime phrase : « Car cette vision que tu as eue, il te faut la comprendre autrement[6]. » 

     

    La compréhension médiévale des rêves diffère fortement de la nôtre. Pour les hommes des XIIe-XIIIe siècles, « le rêve n’est pas une activité psychique de l’individu, mais la mise en rapport immédiate, dans le sommeil, du sujet avec les puissances de l’au-delà[7] ». Dans le cadre d’un récit de conversion, comme ici, le rêve ou le songe « donne accès immédiatement – sans la médiation d’un autre, d’un clerc, d’un directeur spirituel, d’un confesseur – à la source divine de la vérité, où se trouve le sens du destin de chacun, placé sous le regard de Dieu[8] ». Cela dit, le lecteur contemporain est habitué à poser la question de l’authenticité des faits qui lui sont rapportés. Les récits hagiographiques ayant tendance à accroître la part du surnaturel dans la vie de leur héros, il est peu probable que François ait réellement eu une vision ou entendu une voix, ce qui n’ôte rien à la valeur de l’expérience spirituelle qu’il a vécue. Nous disposons, en outre, d’une explication historique plausible pour l’épisode de Spolète. Gauthier de Brienne a été tué le 11 juin 1205, à la bataille de Sarno, et la nouvelle de sa mort s’est vite propagée. Si l’expédition dont faisait partie François a quitté Assise dans les jours qui ont suivi cette date, ce qui est très possible, c’est en arrivant à Spolète, première cité importante sur leur route, que ses membres ont appris la mort de Gauthier. Comme cette nouvelle sonnait le glas du projet du futur saint, celui-ci a dû en être fortement ébranlé. Rien d’étonnant à ce qu’il se soit senti « un peu malade » et que la nuit suivante ait été le théâtre d’une radicale mise en cause des objectifs qu’il s’était fixés, l’amenant à constater la futilité de la gloire mondaine. Cette interprétation présente l’avantage d’expliquer la facilité avec laquelle François s’en retourne à Assise : non pas comme un fanfaron ayant lâché pied à l’approche du danger mais comme un homme assumant la tête haute un coup du sort. 

     

    Ces clarifications ayant été apportées, nous pouvons tourner notre attention vers le texte proposé. Quels enseignements tirer de ces deux épisodes ? Ils nous livrent, pour commencer, de précieuses informations concernant le tempérament de François et l’ambition qui l’habite. Tout marchand habile est un opportuniste ; apprenant qu’un noble Assisiate recherche des compagnons pour aller combattre aux côtés de Gauthier de Brienne, François y voit une occasion inespérée de devenir chevalier et d’intégrer, ainsi, les rangs de l’aristocratie. Sa décision de se joindre à l’expédition indique qu’il prend délibérément le risque de tuer et d’être tué pour s’élever socialement. Cependant, son cœur est animé par un profond désir de vérité. En offrant à un chevalier authentique, quoique pauvre, l’habit – et probablement aussi l’équipement – coûteux qu’il vient d’acquérir, le simple bourgeois qu’est François assume sa condition actuelle et refuse de s’enfermer dans le paraître. Il ne renonce pas à son ambition de devenir chevalier, bien au contraire, mais il veut l’être réellement. C’est une vraie grandeur et non un simple prestige fondé sur l’apparence qu’il désire. Si son projet d’être adoubé chevalier se réalise, alors sa condition extérieure sera le reflet de sa noblesse intérieure. On peut ajouter que François n’est pas seulement ambitieux et généreux, mais aussi enthousiaste : le lendemain de la « vision du palais et des armes », qu’il interprète comme un signe que son expédition en Pouille sera couronnée de succès, il se montre débordant d’allégresse. 

     

    En donnant ses habits à un chevalier pauvre, François a fait le choix, sans qu’il en ait clairement conscience, de situer sa vie dans la lumière de la vérité et d’exposer son cœur à l’action de la grâce. L’Esprit Saint saisit l’occasion et entame aussitôt une opération de recadrage et de purification de son désir. La pédagogie qu’il met en œuvre, dans le récit de frère Jean, est remarquable. Dans la « vision du palais et des armes », la voix appelle François par son nom, mais l’attitude de celui-ci demeure passive : il se contente de regarder et, à la fin, de poser une question concernant la propriété des armes et du palais qui lui sont montrés. À son réveil, il interprète cette vision selon les valeurs mondaines qui ont toujours, jusque-là, été les siennes et n’effectue aucune avancée significative. Ceci est normal car ce premier épisode avait pour unique objectif d’attiser le désir du futur saint et de disposer son esprit à l’écoute. Dans le « songe de Spolète », en revanche, la voix interroge François sur ses projets personnels et un vrai dialogue s’instaure entre eux. François ouvre son cœur et accepte de remettre radicalement en question ses choix de vie. La voix se montre fine psychologue. Loin de demander à François de renoncer à ses rêves de gloire, elle en prend acte et, s’appuyant sur eux – elle n’hésite pas à jouer sur les deux acceptions du mot « dominus » : le seigneur dans le système féodo-vassalique et Dieu –, elle l’amène à constater que l’on reçoit davantage du seigneur que du vassal et qu’il vaut mieux se mettre au service du premier que du second. Ce message est très parlant pour François, qui l’accueille sans réticence car il a bien compris que le seigneur que la voix l’invite à servir est, en fait, le Dieu de la foi chrétienne. En renonçant à son projet d’expédition en Pouille, il pose un premier acte d’obéissance libre à l’Esprit Saint et accepte de se déposséder, dans une certaine mesure, de la maîtrise de son existence. L’identité que revêt Dieu dans ce récit mérite d’être soulignée : « Celui qui te fait plus de bien », car, comme en témoignent ses écrits, François est le saint qui insiste le plus sur le fait que Dieu est le Bien suprême et que tout bien vient de lui[9].


    [1] Voir 1C 4-5.

    [2] Voir 3S 5-6.

    [3] Voir 3S 5.

    [4] 3S 6 ; traduction de J. Dalarun in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1088.

    [5] Ibid.

    [6] Ibid., p. 1089. La vision en question est celle « du palais et des armes ».

    [7] Jean-Claude Schmitt, « Récits et images de rêves au Moyen Âge » in Ethnologie française, t. XXIII (2003), p. 553.

    [8] Ibid., p. 555.

    [9] Voir TFM de janvier 2011, « Le commentaire ».

     

    © Éditions franciscaines, 2011

     

     

    Pour nous, aujourd’hui

     

    Il est bon d’avoir des projets et, surtout lorsqu’on est jeune, de nourrir des rêves. Mais nous devons nous interroger sur leur qualité et leur motivation profonde. Les projets que nous formons sont-ils au service du bien commun et du vivre ensemble ? Et, en cas de réponse positive, sommes-nous sûrs que ce service constitue le principal motif de notre agir… ou bien la véritable raison, cachée, de nos actes est-elle de nous permettre d’acquérir du pouvoir, du profit ou de la reconnaissance ? Le fait d’être des créatures libres ne signifie pas que nous soyons, pour autant, les maîtres absolus de nos vies. Mener une existence authentiquement humaine, et a fortiori chrétienne, exige d’être capable de renoncer – temporairement ou définitivement – à certains projets qui nous tiennent à cœur, soit parce qu’ils sont irréalisables soit parce que leur réalisation s’avérerait néfastes pour nous-mêmes ou pour d’autres. 

    Une autre question posée par ce texte est : sommes-nous attentifs aux sollicitations que nous adresse l’Esprit Saint ? Et, si oui, de quelle manière y répondons-nous ? Il est sans nul doute préférable que ce soit avec enthousiasme plutôt qu’en bougonnant, mais l’essentiel est que nous lui ouvrions effectivement notre cœur. Dans la parabole des deux fils, celui qui accomplit la volonté du père n’est pas celui qui annonce qu’il ira travailler à la vigne et n’y va pas, mais celui qui s’y rend effectivement (voir Mt 21, 28-32).

     © Éditions franciscaines, 2011


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  • ciofs logoPRÉSIDENCE DU CONSEIL INTERNATIONAL OFS

     

    PROGRAMME  DE FORMATION CONTINUE

     

    DOSSIER MENSUEL

     

    MAI 2011. 2ème Année N° 17

     

    SECTION II: SPIRITUALITÉ ET DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE

    Dimanche de la Miséricorde divine, béatification du Pape Jean-Paul II

     Réflexion, extraits et questions par Fr. Amando Trujillo Cano, TOR

    Le 1er mai 2011 restera dans la mémoire de tous les Catholiques et de bien d'autres encore- car c'est le jour ou  en la basilique Saint Pierre de Rome, le pape Benoit VI, proclama bienheureux son prédécesseur Jean Paul II, qui avait exercé son remarquable ministère apostolique durant 26 années et 168 jours. Au cours de cette période, ce Pape d'heureuse mémoire a visité 129 pays en 104 voyages internationaux, et s'était déplacé en 259 villes et villes d'Italie en 146 voyages, soit un parcours totalisant l'équivalant de 29 fois le tour du monde!. La date choisie pour cette proclamation est le "Dimanche de la Miséricorde divine" (II dimanche de Pâques), que le même Jean-Paul étendit à l'Église universelle le 30 avril 2000, à l'ocassion de la canonisation de la soeur polonaise Maria Faustina Kowalska. Dans son homélie de circonstance, le Pape, maintenant "vénérable", fait remarquer que la liturgie de ce jour, le dernier dans l'Octave de Pâques, désigne le chemin de la miséricorde, Il a naturellement, aussi fait référence à l'expérience spirituelle extraordinaire de sainte Faustina. Voici quelques mots de cette homélie:

    4. Il est important que nous recevions entièrement le message qui provient de la Parole de Dieu en ce deuxième Dimanche de Pâques, qui dorénavant, dans toute l'Eglise, prendra le nom de "Dimanche de la Miséricorde divine". Dans les diverses lectures, la liturgie semble désigner le chemin de la miséricorde qui, tandis qu'elle reconstruit le rapport de chacun avec Dieu, suscite également parmi les hommes de nouveaux rapports de solidarité fraternelle. Le Christ nous a enseigné que "l'homme non seulement reçoit et expérimente la miséricorde de Dieu, mais aussi qu'il est appelé à "faire miséricorde" aux autres: "Bienheureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde" (Mt 5, 7)" (Dives in misericordia, n. 14). Il nous a ensuite indiqué les multiples voies de la miséricorde, qui ne pardonne pas seulement les péchés, mais répond également à toutes les nécessités de l'homme. Jésus s'incline sur toute forme de pauvreté humaine, matérielle et spirituelle. Son message de miséricorde continue de nous atteindre à travers le geste de ses mains tendues vers l'homme qui souffre. C'est ainsi que l'a vu et l'a annoncé aux hommes de tous les continents Soeur Faustyna, qui, cachée dans son couvent de Lagiewniki, à Cracovie, a fait de son existence un chant à la miséricorde: Misericordias Domini in aeternum cantabo.

    Jean-Paul II, Karol Józef Wojtyla (18/05/1920-2/04/2005) a un tel renom dans des domaines si divers qu'il est impossible de le décrire en entier dans une brève réflexion comme celle-ci. Le dossier de ce mois devant marquer l'influence de la spiritualité chrétienne sur l'engagement social des Franciscains Séculiers, nous nous bornerons à rappeler la contribution indélébile du Pape à la Doctrine Sociale de l'Église et les quelques messages qu'il adressa au Conseil international de l'OFS.

    Dans sa contribution a l'enseignement social catholique, il faut mentionner ses encycliques sociales, devenues des jalons dans un tel processus.. Sa première encyclique sociale "Laborem Exercens" ("le travail humain") a été publiée en 1981. Marquant le 90e anniversaire de l'encyclique "Rerum novarum" de Léon XIII elle traite des droits des travailleurs et de leur dignité. Sa deuxième encyclique sociale "Sollicitudo Rei Socialis" ("l''intérèt actif à la question sociale") a été publiée en 1987. Elle marquait le 20e anniversaire de l'encyclique sociale "Populorum Progressio" du Pape Paul VI." La troisième encyclique sociale fut "Centesimus Annus" ("La centièmes année") qui, publiée en 1991, et marquant le 100e anniversaire de "Rerum Novarum", analysait la situation sociale à la lumière de la chute du communisme. Il faut aussi noter dans un domaine proche la onzième encyclique , "Evangelium Vitae", ("L'Évangile de vie") publiée en 1995. Le pape y a traité des questions tel que: l'avortement, l'euthanasie, les expériences sur embryons et d'autres menaces sur la vie humaine, mais aussi la sacralité et la dignité de celle-çi.

    http://ekladata.com/vf_AP6J39krnqAHiaspCvUEVPZM.jpg Ses messages à l'OFS à l'occasion de ses rencontres avec les responsables internationnaux constituent aussin des références importantes pour l'accomplissement d'une vocation franciscaine séculière dans le monde et dans l'Église du temps présent. Voici son adresse aux membres du Chapitre Général OFS de 1982:

    Puis, à côté des valeurs évangéliques, mais aussi inhérents à elles, émergeant de la même Règle, de façon incisive, les valeurs humaines pour lesquelles vous assumez, comme citoyens de la ville terrestre et, en même temps, comme chrétiens, des engagements temporels et sociaux, voulant ainsi être un ferment dans les réalités terrestres en lesquelles vous sentez, par vocation profonde, chez vous, dans votre domaine natif et propre. Reconnaissants qu'en vous, par le baptême, il y a une prêtrise royale, vous croyez avec certitude que personne ne peut vous interdire l'entrée en chaque réalité terrestre, sociale, humaine et, en étant vraiment vous, chargés de donner une âme chrétienne et humaine à toutes ces choses. Acceptez donc l'invitation que je fais à tous les hommes de bonne volonté, pour que sois reconnue la dignité qu'a devant Dieu le travail humain et pour que, dans les graves circonstances présentes, soit accordé à chaque homme de se réaliser et de pouvoir collaborer sereinement à l'œuvre de la création et au bien de la société par un travail digne de l'homme. (Laborem Exercens, 24).

    Enfin, rappelons-nous son exhortation aux Capitulaires de 2002:

    L'Eglise attend de l'Ordre franciscain séculier, un et unique, qu'il accomplisse un service important à la cause du Royaume de Dieu dans le monde d'aujourd'hui. Elle désire que votre Ordre soit un modèle d'union organique, structurelle et charismatique à tous les niveaux, afin de se présenter au monde comme "communauté d'amour" (Règle OFS 26). L'Eglise attend de vous, Franciscains séculiers, un témoignage courageux et cohérent de vie chrétienne et franciscaine, visant à la construction d'un monde plus fraternel et évangélique pour la réalisation du Royaume de Dieu. Si vous êtes vraiment poussés par l'Esprit à atteindre la perfection de la charité dans votre état séculier, "ce serait un contresens que de se contenter d'une vie médiocre, vécue sous le signe d'une éthique minimaliste et d'une religiosité superficielle" (Novo millennio ineunte, 31). Il faut s'engager avec conviction dans ce ""haut degré" de la vie chrétienne ordinaire", auquel j'ai invité les fidèles au terme du grand Jubilé de l'An 2000

    Spiritualité du fidèle laïque

    (Abrégé de la Doctrine Sociale de l'Église, n. 545-548)

    Ce dossier continue la présentation de section II, Chapitre 12 du Compendium de la doctrine sociale de l'Eglise intitulée: Doctrine sociale et engagement du fidèle laïc. Nous nous centrons cette fois sur les paragraphes 545 à 548, comprenant les sujets: Spiritualité du fidèle laïc et Agir avec prudence. Ces thèmes complètent parfaitement ce que nous venons de rappeler de l'héritage de Jean-Paul II dans les enseignements sociaux de l'Église et dans quelques-unes de ses exhortations à l'OFS. Il accorda magistralement foi et réalités terrestres, valeurs évangéliques et valeurs humaines, prêtrise royale et mission sociale. Par de profondes réflexions théologiques et une fine analyse sociale, il mit en place ce que le Compendium appelle une spiritualité laïque authentique. Son engagement pour la  paix, la vie humaine, la famille, la solidarité, la liberté et la justice sociale enracinées dans les valeurs du Royaume de Dieu représente un témoignage irrésistible de son désir ardent de laisser le Christ entrer totalement dans les vies des croyants, dans l'Église et dans le monde.

    b. Spiritualité du fidèle laïque

    545. Les fidèles laïcs sont appelés à cultiver une authentique spiritualité laïque, qui les régénère en hommes et femmes nouveaux, immergés dans le mystère de Dieu et insérés dans la société, saints et sanctificateurs. Une telle spiritualité édifie le monde selon l'Esprit de Jésus: elle rend capable de regarder au-delà de l'histoire, sans s'en éloigner; de cultiver un amour passionné pour Dieu, sans détourner le regard des frères, que l'on perçoit, au contraire, tels que les voit le Seigneur et que l'on aime comme il les aime. C'est une spiritualité qui est étrangère aussi bien au spiritualisme intimiste qu'à l'activisme social et qui sait s'exprimer en une synthèse vitale qui confère unité, sens et espérance à l'existence, si contradictoire et fragmentée pour bien des raisons. Animés de cette spiritualité, les fidèles laïcs peuvent contribuer, « comme du dedans à la sanctification du monde, à la façon d'un ferment, en exerçant leurs propres charges sous la conduite de l'esprit évangélique, et (...) manifester le Christ aux autres avant tout par le témoignage de leur vie ». " [Lumen gentium, 31].

    546. Les fidèles laïcs doivent fortifier leur vie spirituelle et morale, en faisant mûrir les compétences requises pour l'accomplissement de leurs devoirs sociaux.L'approfondissement des motivations intérieures et l'acquisition du style approprié à l'engagement dans le domaine social et politique sont le fruit d'un parcours dynamique et permanent de formation, visant avant tout à réaliser une harmonie entre la vie, dans sa complexité, et la foi. Dans l'expérience du croyant, en effet, « il ne peut y avoir deux vies parallèles: d'un côté, la vie qu'on nomme “spirituelle” avec ses valeurs et ses exigences; et de l'autre, la vie dite “séculière”, c'est-à-dire la vie de famille, de travail, de rapports sociaux, d'engagement politique, d'activités culturelles ».

    La synthèse entre foi et vie requiert un cheminement savamment rythmé par les éléments qui qualifient l'itinéraire chrétien: la référence à la Parole de Dieu; la célébration liturgique du mystère chrétien; la prière personnelle; l'expérience ecclésiale authentique, qu'enrichit le service particulier de formation assuré par de sages guides spirituels; l'exercice des vertus sociales et l'effort soutenu de formation culturelle et professionnelle.

    c. Agir avec prudence

    547 Le fidèle laïc doit agir selon les exigences dictées par la prudence: c'est la vertu qui dispose à discerner en toute circonstance le vrai bien et à choisir les moyens adéquats pour l'accomplir. Grâce à elle, les principes moraux s'appliquent correctement aux cas particuliers. La prudence comporte trois temps: elle clarifie la situation et l'évalue, elle inspire la décision et elle donne l'impulsion à l'action. Le premier moment est caractérisé par la réflexion et la consultation pour étudier le sujet en se prévalant des avis nécessaires; le deuxième est le moment d'évaluation de l'analyse et du jugement sur la réalité à la lumière du projet de Dieu; le troisième moment est celui de la décision et se base sur les phases précédentes, qui rendent possible le discernement entre les actions à accomplir.

    548 La prudence rend capable de prendre des décisions cohérentes, avec réalisme et sens de responsabilité quant aux conséquences de ses actions. La vision très répandue qui identifie la prudence à l'astuce, au calcul utilitariste, à la méfiance, ou encore à la crainte et à l'indécision, est très éloignée de la juste conception de cette vertu caractéristique de la raison pratique, qui aide à décider avec sagesse et courage des actions à accomplir, en devenant la mesure des autres vertus. La prudence affirme le bien comme devoir et montre la façon par laquelle la personne se détermine à l'accomplir. En définitive, c'est une vertu qui exige l'exercice mûr de la pensée et de la responsabilité, dans la connaissance objective de la situation et avec la volonté droite qui conduit à la décision.

    Questions pour réflexion et discussion en Fraternité

    1.    Comment intégrez-vous la miséricorde dans votre vie de Franciscain Séculier?

    2.    Qu'est-ce qui vous impressionne le plus dans  l'appel de Jean-Paul  II à être un ferment dans les réalités terrestres ?

    Comment décririez-vous une spiritualité laïque authentique?

    Source http://www.ciofs.org/fr.htm


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  • Le texte franciscain du mois – 3 - Éditions franciscaines

    En collaboration avec les Éditions franciscaines nous publierons Le texte franciscain du mois, étant en retard, vous recevrez aux deux semaines les 5 premiers et par la suite, un par mois. Merci aux  Éditions franciscaines de nous donner un aperçu du contenu du nouveau TOTUM.  L'Auteur des articles

     

    Le texte franciscain du mois – Février 2011

     

     

    http://ekladata.com/6on0DCVySC8ZhNL-jYZJeeJgf-g.jpgLe texte

     

    Entre-temps, tandis que de nombreux hommes […] s’étaient joints aux frères, le très bienheureux père François faisait route à travers la vallée de Spolète. Il parvint à un endroit, près de Bevagna[1], où se trouvait assemblée une très grande multitude d’oiseaux d’espèces diverses : colombes, corneilles et d’autres qu’on appelle ordinairement des moineaux.

     

    En les voyant, le très bienheureux serviteur de Dieu François, en homme d’une très grande ferveur et qui portait un grand sentiment de piété et de douceur même aux créatures inférieures et privées de raison, courut vers eux avec allégresse, laissant ses compagnons sur le chemin. Une fois qu’il fut assez près, voyant que les oiseaux l’attendaient, il les salua à sa manière habituelle. Mais voyant non sans étonnement que les oiseaux ne prenaient pas la fuite comme ils le font d’ordinaire, il fut rempli d’une joie immense et les pria humblement, disant qu’ils devaient entendre la parole de Dieu. Parmi les nombreuses choses qu’il leur dit, il ajouta encore celles-ci : « Mes frères les oiseaux, vous devez beaucoup louer votre Créateur et l’aimer toujours, lui qui vous a donné des plumes pour vous revêtir, des pennes pour voler et tout ce dont vous avez eu besoin. Dieu vous a rendus nobles parmi ses créatures et il vous a accordé d’habiter dans la pureté de l’air ; car comme vous ne semez ni ne moissonnez, lui-même ne vous en protège et gouverne pas moins, sans que vous vous en souciiez le moins du monde[2]. » À ces paroles, les petits oiseaux – à ce qu’il disait, lui et les frères qui s’étaient trouvés avec lui – exultèrent de façon étonnante, selon leur nature : ils commencèrent à allonger le cou, à étendre leurs ailes, à ouvrir le bec et à regarder vers lui. Mais lui, passant au milieu d’eux, allait[3] et revenait, touchant leurs têtes et leurs corps de sa tunique. Enfin il les bénit et, après avoir fait un signe de croix, il leur donna congé de s’envoler pour aller dans un autre lieu. Quant au bienheureux père, il allait avec ses compagnons, se réjouissant sur son chemin[4], et il rendait grâces à Dieu[5], que toutes les créatures vénèrent par une confession suppliante[6].

     

    Comme il était déjà simple, par grâce et non par nature, il commença à s’accuser de négligence pour ne pas avoir prêché autrefois aux oiseaux, après qu’ils eurent écouté avec une si grande révérence la parole de Dieu. Il se produisit ainsi que, de ce jour, il exhortait avec sollicitude tous les volatiles, tous les animaux, tous les reptiles et toutes les créatures privées de sensibilité à la louange et à l’amour du Créateur, car chaque jour, après avoir invoqué le nom du Sauveur[7], il apprenait à connaître leur obéissance par sa propre expérience. 

     

    Le contexte

     

    Avec ce texte, nous quittons les sources franciscaines primaires, c’est-à-dire les écrits de François d’Assise, pour les sources secondaires, à savoir les biographies, témoignages et recueils de « dits » et de faits consacrés au petit Pauvre. La Vie du bienheureux François écrite par Thomas de Celano constitue la première légende[1] [1-suite] officielle du saint. Elle fut rédigée dans le sillage de sa canonisation – qui eut lieu le 16 juillet 1228, moins de deux ans après sa mort – et fut achevée au début de l’année 1229.

     

    Bien que le récit de la « Prédication aux oiseaux » apparaisse sept fois dans les sources franciscaines, aucune de celles-ci ne date l’événement, aussi est-on contraint de procéder par recoupements. 1C 57 traite de la tentative de François de se rendre en Syrie, en 1211, puis de son séjour à Damiette, en 1219 ; l’emploi du terme « entre-temps » comme premier mot de 1C 58 laisse clairement entendre que la prédication aux oiseaux a eu lieu dans l’intervalle. La précision : « tandis que de nombreux hommes s’étaient joints aux frères » confère une forte probabilité à la période 1215-1219.

     

    La seconde moitié des années 1210 est un temps de maturation du charisme franciscain, où François et ses frères partagent encore tous le même idéal. La pauvreté radicale, l’humilité et l’authenticité évangélique de la vie des Frères mineurs, désormais répandus dans toute la péninsule italienne, leur valent l’amitié de la population et l’estime de la plupart des autorités ecclésiastiques. Une lettre de l’évêque Jacques de Vitry, datant de 1216, témoigne que « le seigneur pape et les cardinaux les tiennent en grande révérence » et que, « par la grâce de Dieu, ils ont déjà produit un grand fruit et gagné de nombreuses personnes[2] ».

     

     

     

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    [1] Au Moyen Âge, une légende ne désigne pas une histoire merveilleuse mais un écrit destiné à être lu en public (legenda provient de « legere », « lire »). Le fait qu’en 1247, Thomas de Celano ait rédigé une seconde Vie de François explique pourquoi celle dont est extrait notre récit est habituellement appelée : « Première Vie ».

     

    [2] TM 3a (Jacques de Vitry, Lettre 1) ; traduction de M.-A. Polo de Beaulieu in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 2, p. 3022-3023.

      Francois-nature-copie-1.jpg

    © Éditions franciscaines, 2010

     

       Le commentaire

     

     

    Dans le § 58 de la Vie du bienheureux François (1C 58), Thomas de Celano offre la plus ancienne version de la « Prédication aux oiseaux », qui a servi de source et de modèle à toutes les autres. Dans la mesure où son texte est à la fois le plus sobre et le plus fiable, c’est sur elle seule que nous focaliserons notre attention.

     

    La structure du récit est claire. Il comporte 1/ une situation initiale : François et quelques frères font route à travers la vallée de Spolète ; 2/ un événement déclencheur : une multitude d’oiseaux d’espèces diverses s’est rassemblée en un endroit proche du chemin ; 3/ trois actions consécutives de François : a/ il s’avance vers les oiseaux et les salue ; b/ puis, comme ceux-ci ne s’enfuient pas, il leur adresse une prédication ; c/ enfin, il les bénit et les congédie ; 4/ une situation finale : François et ses frères reprennent leur route dans la joie ; 5/ l’annonce d’un changement : le petit Pauvre décide de prêcher dorénavant la louange et l’amour de Dieu à toutes les créatures et il met cette résolution en pratique.

     

    Le texte insiste sur l’ardeur de la foi qui habite le cœur de François. Celui-ci est présenté comme un « homme d’une très grande ferveur » et, lorsqu’il voit que les oiseaux ne prennent pas la fuite, sa réaction immédiate est de leur annoncer la parole de Dieu. Cette observation permet de saisir combien le regard que pose François sur le monde qui l’entoure est toujours d’emblée un regard de foi. Le petit Pauvre ne voit jamais l’univers et les êtres qui le peuplent comme des réalités simplement naturelles, mais toujours comme des réalités créées. Tel que le contemple François, le monde rayonne de la gloire du Créateur et bruisse de sa présence. Qu’il s’agisse d’un animal, d’un végétal, d’un minéral ou d’un corps céleste, toute créature est, à ses yeux, aimée par Dieu et appelée à chanter sa louange et à lui rendre grâces. C’est pour cela qu’il considère les oiseaux, et plus généralement toutes les créatures, comme des frères et des sœurs. François éprouve, sans nul doute, une très grande affection pour les fleurs et les animaux, mais le motif profond de sa fraternité avec eux est qu’ils sont créés par le Dieu Trinité et que, comme lui, ils sortent des « mains » du Père.

     

    L’amour et la tendresse de François envers ses sœurs les créatures sont célèbres. 1C 58 affirme qu’il « portait un grand sentiment de piété et de douceur même aux créatures inférieures et privées de raison » et les « Sources franciscaines » rapportent des dizaines d’épisodes dans lesquels on le voit apprivoiser des mammifères, des oiseaux, des insectes… et jusqu’à un élément inanimé tel que le feu. « Même à l’égard des vers de terre, écrit Thomas de Celano, il brûlait d’un immense amour, car il avait lu cette parole exprimée au sujet du Sauveur : Moi, je suis un ver et non un homme (Ps 21 [22], 7) ; pour cette raison il les ramassait sur la route et les cachait dans un lieu sûr, pour qu’ils ne soient pas écrasés sous les pas des passants[1]. » À la phrase suivante, le même auteur explique que François faisait apporter du miel ou du vin aux abeilles, pour que le froid ne les fasse pas défaillir[2].

     

    Le secret de la familiarité de François avec les créatures et de l’obéissance qu’elles lui témoignent réside dans son attitude à leur égard, qui présente quatre traits caractéristiques. Premièrement, François n’éprouve aucune peur envers les créatures, mais bien plutôt une confiance lucide, nourrie par sa foi en la providence divine. L’épisode suivant, rapporté par la Passion de saint Verecondo, manifeste clairement cette confiance :

     

     

     

    « Et comme un soir, à la nuit tombée, il passait avec un frère compagnon par la route de San Verecondo chevauchant [un] ânon, les épaules et le dos couverts d’un rude sac, des travailleurs des champs l’appelèrent en disant : “Frère François, reste ici avec nous et ne va pas plus loin, car des loups sauvages rôdent par ici : ils vont dévorer ton âne et vous blesser.” Alors le bienheureux François dit : “Je n’ai jamais fait de mal à frère Loup pour qu’il ose dévorer notre frère Âne. Adieu, fils, et craignez Dieu !” C’est ainsi que frère François poursuivit son chemin sain et sauf.»[3]

     

    Deuxièmement, François refuse de profiter de son ascendant sur les autres créatures pour exercer une quelconque domination sur elles ou, simplement, pour les accaparer. Si Dieu les a créées libres, ce n’est certainement pas pour que lui, François, attente à leur liberté. Ce respect de l’autonomie des créatures apparaît deux fois dans la « Prédication aux oiseaux » : lorsqu’il est dit que François « pria humblement » ses frères ailés d’entendre la parole de Dieu et lorsque, après avoir béni les oiseaux, « il leur donna congé de s’envoler pour aller dans un autre lieu ». D’autres passages des « Sources franciscaines » mettent en évidence ce souci du petit Pauvre de restituer leur liberté aux animaux qui se sont attachés à lui. Ainsi, ayant apprivoisé une cigale, il dit au bout de huit jours à ses compagnons : « Donnons la permission à sœur Cigale de s’en aller où elle voudra, car elle nous a suffisamment consolés[4]. »

     

    Troisièmement, le regard de foi que pose le fondateur de la Fraternité mineure sur les créatures a pour effet que leur relation est, en réalité, toujours une relation à trois : François, les créatures et Dieu, leur Créateur commun. C’est dans cette perspective qu’il faut considérer l’obéissance des créatures envers le petit Pauvre, en distinguant le véritable destinataire (Dieu) du bénéficiaire (François) de cette obéissance. Thomas de Celano prend garde de préciser que c’est « après avoir invoqué le nom du Sauveur » que François apprenait à connaître, par sa propre expérience, l’obéissance des créatures. De même que, pour François, l’obéissance religieuse est fondamentalement une obéissance à l’Esprit Saint[5], c’est ultimement à Dieu, le Créateur et le Maître de l’histoire, et non à un homme que les créatures obéissent.

     

    Quatrièmement, François considère que, tout comme les êtres humains, les créatures dénuées de raison sont tenues de louer le Créateur et de lui rendre grâces. Dieu, en effet, est le Bien souverain, de qui vient tout bien et à qui appartient tout bien[6]. Non seulement les hommes, mais tous les animaux et végétaux reçoivent de lui la vie, les facultés qui sont les leurs et la nourriture qu’ils consomment. Les créatures inanimées, pour leur part, lui doivent l’existence et leur beauté. C’est pourquoi, quand il s’adresse aux créatures, François les exhorte, chacune à sa mesure, à la louange et à l’amour du Créateur. Le point de départ de cette pratique est justement l’épisode que nous étudions, où, pour la première fois semble-t-il, François invite expressément des créatures à louer Dieu et à l’aimer.

     

    Il importe de souligner que, dans la « Prédication aux oiseaux », François ne loue pas le Créateur pour les créatures mais convie celles-ci à louer Dieu : « Mes frères les oiseaux, vous devez beaucoup louer votre Créateur et l’aimer toujours… ». De fait, l’auteur de la louange n’est pas le petit Pauvre mais les volatiles eux-mêmes : « À ces paroles, les petits oiseaux […] exultèrent de façon étonnante, selon leur nature : ils commencèrent à allonger le cou, à étendre leurs ailes, à ouvrir le bec et à regarder vers lui. » On retrouve cette inspiration dans le Cantique de frère Soleil, rédigé en 1225. La où l’on traduisait auparavant : « Loué sois-tu, mon Seigneur, pour sœur lune et les étoiles… ; pour frère vent… ; pour sœur eau… », la nouvelle traduction des « Sources franciscaines » invite à lire : « Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur lune et les étoiles… ; par frère vent… ; par sœur eau… »[7]. Le sens « pour » n’est pas rejeté, mais, conformément à la signification de la préposition « per » en dialecte ombrien, il est présenté comme second comparé au sens « par ». François ne cesse de rendre grâces à Dieu pour les biens qu’il nous donne, mais il croit aussi les créatures capables de louer Dieu par elles-mêmes ; c’est pourquoi, dans la « Prédication aux oiseaux » et le Cantique de frère Soleil, il les incite à louer leur Créateur.

     

     

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    [1] 1C 80.

     

    [2] Voir ibid.

     

    [3] TM 25 (Passion de saint Verecondo) ; traduction de M.-A. Polo de Beaulieu in op. cit., p. 3076. Comme dans la Bible, l’expression « craignez Dieu » signifie « reconnaissez la grandeur de Dieu et vénérez-le ».

     

    [4] CA 110 [LP 84]. Le terme latin traduit par « permission » est « licentia », qui signifie également « liberté ».

     

    [5] Voir TFM de janvier 2011, « Le commentaire ».

     

    [6] Voir ibid.

     

    [7] François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 173-174.

     

    © Éditions franciscaines, 2010

     

     

     

    Pour nous, aujourd’hui

     

    Ce texte nous renvoie plusieurs questions concernant notre rapport à la création et aux créatures. La première, probablement la plus essentielle, est : quel regard posons-nous sur le monde et sur les êtres qui le peuplent ? Est-ce un regard calculateur et hostile ou, au contraire, émerveillé et fraternel ? C’est de l’émerveillement que jaillit la louange franciscaine.

     

    La deuxième question est : dans notre rapport au monde, aux créatures et à notre propre nature, sommes-nous sûrs de ne pas être habités par des peurs en partie inavouées ? Il faut une forte dose de confiance en Dieu et de désappropriation pour assumer sereinement les séquelles de notre finitude : la maladie, le vieillissement et la mort. Or, on ne peut être pleinement en communion avec la création que si l’on est réconcilié avec soi-même et avec elle.

     

    La troisième question est : respectons-nous vraiment la liberté des créatures et nous abstenons-nous de chercher à leur imposer notre domination ? Le livre de la Genèse nous enseigne que nous ne sommes pas propriétaires, mais gardiens et intendants du monde qui nous entoure (Gn 2, 15). C’est autour de ce troisième point que se joue la rencontre de la spiritualité franciscaine avec le mouvement écologique, et autour du premier point – le regard posé sur le monde et les créatures – que se situe l’apport spécifique de la famille franciscaine dans le domaine de l’écologie.

     

     

      © Éditions franciscaines, 2010

     

     


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  • ciofs logoPRÉSIDENCE DU CONSEIL INTERNATIONAL OFS

     

    PROGRAMME  DE FORMATION CONTINUE

     

    DOSSIER MENSUEL

     

    MAI 2011. 2ème Année N° 17

     

     


    SECTION I : LE THÈME DU MOIS

    5/12: Qu'est-ce qu'évangéliser? (EN n.17-23) 

    Commentaires, extraits et questions par Ewald Kreuzer, OFS

    Dans son Exhortation Apostolique " Evangelii nuntiandi " (1975), sa sainteté le pape Paul VI développe un concept clair de l'évangélisation dont il donne les éléments et les aspects importants. Cet enseignement suit les directives  du Concile Vatican II (1962 -65) reprises dans " Lumen gentium, " “ Gaudium et spes" 'et dans “Ad Gentes." Il est donc fort utile d'étudier encore ces documents et les comparer avec le contenu de " Evangelii nuntiandi."

    17. Complexité de l'action évangélisatrice. Dans l’action évangélisatrice de l’Eglise, il y a certainement des éléments et des aspects à retenir. Certains sont tellement importants que l’on aura tendance à les identifier simplement avec l’évangélisation. L’on a pu ainsi définir l’évangélisation en termes d’annonce du Christ à ceux qui l’ignorent, de prédication, de catéchèse, de baptême et d’autres sacrements à conférer. Aucune définition partielle et fragmentaire ne donne raison de la réalité riche, complexe et dynamique qu’est l’évangélisation, sinon au risque de l’appauvrir et même de la mutiler. Il est impossible de la saisir si l’on ne cherche pas à embrasser du regard tous ses éléments essentiels.
    Ces éléments fortement soulignés au cours de Synode, on les approfondit souvent encore, ces temps-ci, sous l’influence du travail synodal. Nous nous réjouissons de ce qu’ils se situent, au fond, dans la ligne de ceux que le Concile Vatican II nous a transmis, surtout dans les Constitutions Lumen gentium, Gaudium et spes et dans le Décret Ad gentes.

    18. Renouvellement de l'humanité... Evangéliser, pour l’Eglise, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans, rendre neuve l’humanité elle-même : “ Voici que je fais l’univers nouveau ! ”[Apo. 21,5; cf. 2 Co 5,17; Ga 6,15] Mais il n’y a pas d’humanité nouvelle s’il n’y a pas d’abord d’hommes nouveaux, de la nouveauté du baptême [cf.Rm 6,4] et de la vie selon l’Evangile [cf .Ep 4, 23-24; Col 3,9-10]. Le but de l’évangélisation est donc bien ce changement intérieur et, s’il fallait le traduire d’un mot, le plus juste serait de dire que l’Eglise évangélise lorsque, par la seule puissance divine du Message qu’elle proclame [Cf.Rm 1,16;1Co,18;2,4], elle cherche à convertir en même temps la conscience personnelle et collective des hommes, l’activité dans laquelle ils s’engagent, la vie et le milieu concrets qui sont les leurs.. 

    19...et des zones d'humanité. Des zones d’humanité qui se transforment : pour l’Eglise il ne s’agit pas seulement de prêcher l’Evangile dans des tranches géographiques toujours plus vastes ou à des populations toujours plus massives, mais aussi d’atteindre et comme de bouleverser par la force de l’Evangile les critères de jugement, les valeurs déterminantes, les points d’intérêt, les lignes de pensée, les sources inspiratrices et les modèles de vie de l’humanité, qui sont en contraste avec la Parole de Dieu et le dessein du salut.  

    20. Evangélisation des cultures. Nous pourrions exprimer tout cela en disant : il importe d’évangéliser — non pas de façon décorative, comme par un vernis superficiel, mais de façon vitale, en profondeur et jusque dans leurs racines — la culture et les cultures de l’homme, dans le sens riche et large que ces termes ont dans Gaudium et spes [Cf. n.53: AAS58(1966), p10755], partant toujours de la personne et revenant toujours aux rapports des personnes entre elles et avec Dieu.. L’Evangile, et donc l’évangélisation, ne s’identifient certes pas avec la culture, et sont indépendants à l’égard de toutes les cultures. Et pourtant le Règne que l’Evangile annonce est vécu par des hommes profondément liés à une culture, et la construction du Royaume ne peut pas ne pas emprunter des éléments de la culture et des cultures humaines. Indépendants à l’égard des cultures, Evangile et évangélisation ne sont pas nécessairement incompatibles avec elles, mais capables de les imprégner toutes sans s’asservir à aucune. La rupture entre Evangile et culture est sans doute le drame de notre époque, comme ce fut aussi celui d’autres époques Aussi faut-il faire tous les efforts en vue d’une généreuse évangélisation de la culture, plus exactement des cultures. Elles doivent être régénérées par l’impact de la Bonne Nouvelle. Mais cet impact ne se produira pas si la Bonne Nouvelle n’est pas proclamée.

    Rome-Evangelisation.jpg21. Importance primordiale du témoignage de vie. L’Evangile doit être proclamé d’abord par un témoignage. Voici un chrétien ou un groupe de chrétiens qui, au sein de la communauté humaine dans laquelle ils vivent, manifestent leur capacité de compréhension et d’accueil, leur communion de vie et de destin avec les autres, leur solidarité dans les efforts de tous pour tout ce qui est noble et bon. Voici que, en outre, ils rayonnent, d’une façon toute simple et spontanée, leur foi en des valeurs qui sont au-delà des valeurs courantes, et leur espérance en quelque chose qu’on ne voit pas, dont on n’oserait pas rêver. Par ce témoignage sans paroles, ces chrétiens font monter, dans le cœur de ceux qui les voient vivre, des questions irrésistibles : Pourquoi sont-ils ainsi ? Pourquoi vivent-ils de la sorte ? Qu’est-ce — ou qui est-ce — qui les inspire ? Pourquoi sont-ils au milieu de nous ? Un tel témoignage est déjà proclamation silencieuse mais très forte et efficace de la Bonne Nouvelle. Il y a là un geste initial d’évangélisation. Les questions que voilà seront peut-être les premières que se poseront beaucoup de non chrétiens, qu’ils soient des gens à qui le Christ n’avait jamais été annoncé, des baptisés non pratiquants, des gens qui vivent en chrétienté mais selon des principes nullement chrétiens, ou des gens qui cherchent, non sans souffrance, quelque chose ou Quelqu’un qu’ils devinent sans pouvoir le nommer. D’autres questions surgiront, plus profondes et plus engageantes, provoquées par ce témoignage qui comporte présence, participation, solidarité, et qui est un élément essentiel, généralement le tout premier, dans l’évangélisation. A ce témoignage, tous les chrétiens sont appelés et peuvent être, sous cet aspect, de véritables évangélisateurs. Nous pensons spécialement à la responsabilité qui revient aux migrants dans les pays qui les reçoivent.

    22. Nécessité d'une annonce explicite. Et cependant cela reste toujours insuffisant, car le plus beau témoignage se révélera à la longue impuissant s’il n’est pas éclairé, justifié — ce que Pierre appelait donner “ les raisons de son espérance ” [1 P3,15] —, explicité par une annonce claire, sans équivoque, du Seigneur Jésus. La Bonne Nouvelle proclamée par le témoignage de vie devra donc être tôt ou tard proclamée par la parole de vie. Il n’y a pas d’évangélisation vraie si le nom, l’enseignement, la vie, les promesses, le Règne, le mystère de Jésus de Nazareth Fils de Dieu ne sont pas annoncés. L’histoire de l’Eglise, depuis le discours de Pierre le matin de Pentecôte, s’entremêle et se confond avec l’histoire de cette annonce. À chaque nouvelle étape de l’histoire humaine, l’Eglise, constamment travaillée par le désir d’évangéliser, n’a qu’une hantise : qui envoyer annoncer le mystère de Jésus ? Dans quel langage annoncer ce mystère ? Comment faire pour qu’il retentisse et arrive à tous ceux qui doivent l’écouter ? Cette annonce — kérygme, prédication ou catéchèse — prend une telle place dans l’évangélisation qu’elle en est souvent devenue synonyme. Elle n’en est cependant qu’un aspect.

    23. Pour une adhésion vitale et communautaire. L’annonce, en effet, n’acquiert toute sa dimension que lorsqu’elle est entendue, accueillie, assimilée et lorsqu’elle fait surgir dans celui qui l’a ainsi reçue une adhésion du cœur. Adhésion aux vérités que, par miséricorde, le Seigneur a révélées, oui. Mais plus encore, adhésion au programme de vie — vie désormais transformée — qu’il propose. Adhésion, en un mot, au Règne, c’est-à-dire au “ monde nouveau ”, au nouvel état de chose, à la nouvelle manière d’être, de vivre, de vivre ensemble, que l’Evangile inaugure. Une telle adhésion, qui ne peut pas demeurer abstraite et désincarnée, se révèle concrètement par une entrée palpable, visible, dans une communauté de fidèles. Ainsi donc, ceux dont la vie s’est transformée pénètrent dans une communauté qui est elle-même signe de la transformation, signe de la nouveauté de vie : c’est l’Eglise, sacrement visible du salut [Cf. Concile œcuménique Vatican II, Constitution dogmatique sur l’Eglise Lumen gentium, nn. 1, 9 et 48 : AAS 57 (1965), pp. 5, 12-14, 53-54 ; Constitution pastorale sur l’Eglise dans le monde de ce temps Gaudium et spes, nn. 42 et 45 : AAS 58 (1966), pp. 1060-1061, 1065-1066 ; Décret sur l’activité missionnaire de l’Eglise Ad gentes, nn. 1 et 5 : AAS 58 (1966), pp. 947, 951-952.53]. Mais à son tour, l’entrée dans la communauté ecclésiale s’exprimera à travers beaucoup d’autres signes qui prolongent et déploient le signe de l’Eglise. Dans le dynamisme de l’évangélisation, celui qui accueille l’Evangile comme Parole qui sauve [Cf. Rm1,16;1Co1,18] le traduit normalement en ces gestes sacramentels : adhésion à l’Eglise, accueil des sacrements qui manifestent et soutiennent cette adhésion, par la grâce qu’ils confèrent.

    Questions pour réflexion et discussion en Fraternité

    1.    Pour l'Église, que signifie "évangéliser"?
    2.    Pourquoi l'évangélisation des cultures est elle si importante? Et de quelle façon cette "enculturation" de l'Évangile peut elle se réaliser ?  
    3.    Comment nous, Franciscains Séculiers, pouvons-nous "évangéliser" ceux qui sont baptisés mais ne pratiquent pas leur foi chrétienne ou ceux qui cherchent un sens à leur vie? De quelle façon l'exemple de saint François peut-il nous inspirer?

     

    Source http://www.ciofs.org/fr.htm

     



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