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    LA PHOTO

     

    Tout récemment, j’ai participé à un week-end jeunesse. J’ai été préoccupé par les propos d’un jeune garçon concernant les musulmans. Paroles qui me semblaient être de grossiers amalgames. Je lui ai demandé s’il avait déjà rencontré un musulman ou une famille de cette religion. Il s’est justifié pour me dire que non, pour ensuite reprendre ses commentaires stéréotypés que je trouvais quant à moi désobligeants. Les gens autour ne savaient pas vraiment comment réagir. Avec tact et aisance, j’ai sorti mon téléphone cellulaire pour lui montrer une photo. Je lui ai demandé calmement ce qu’il voyait sur cette photo. Rapidement, son regard s’est fixé sur l’appareil: « c’est toute une gagne de terroristes ! » Je lui ai demandé d’être attentif à ce qu’il y avait sur la photo. Une demi-seconde plus tard il réalise que je suis aussi sur la photo!

    Je lui ai dit que je ne voyais pas la même chose que lui, que peut-être s’il rencontrait un musulman ou une famille musulmane, il comprendrait ou regarderait autrement les choses. Bon, il a essayé d’habiller cette parole du manteau de la blague, un peu comme le racisme ordinaire sait si bien le faire. Moi, j’aurais vraiment aimé qu’il montre un intérêt, en me demandant qui était cette famille sur la photo. Mais, il ne l’a pas fait! Vous comprenez qu’un échange comme cela, ça laisse un petit frette dans un groupe. Il a quitté la pièce pour un petit instant, probablement pour se remettre de ses émotions ou essayer de saisir ce qui venait de se passer.

    UNE RÉPONSE CONTRE LA PEUR En fait, on m’avait sollicité ce week-end-là pour animer un atelier qui avait pour thème : la croisade pacifique de Saint-François; un itinéraire de conversion. Personne n’est revenu sur cet évènement. Il est banal, mais il témoigne d’une réalité, celle de notre peur de l’autre. Comme je l’ai dit dans mon entretien, sans l’autre il est bien difficile de se convertir.
    Cette peur est bien présente quand nous abordons la question de la migration et de l’accueil de l’autre qu’il soit un réfugié, ou un demandeur d’asile. La même crainte ressort souvent quand il n’y a pas eu une rencontre avec cet autre qui vient, alors ce qui prend le dessus ce n’est pas la situation de la personne qui a besoin d’aide, ce sont les problèmes possibles qu’elle peut nous apporter.
    Je reviens à cette photo, car les personnes qui ont été témoins de cette petite polémique ne m’ont pas demandé, non plus, durant ce week-end, qui était cette famille. Dans cette situation particulière, cette photo est importante parce qu’elle est devenue, d’une certaine manière, ma réponse face à cette peur de l’autre. Cette peur qui réduit l’autre à des représentations et à des préjugés alors qu’il est bien plus qu’une idée que nous pouvons nous faire de lui.

    L’AUTRE A AUSSI SON HISTOIRE Sur cette photo, j’étais en compagnie d’une famille de réfugiés syriens dans un appartement en Allemagne, en banlieue de Ludwigshafen. Cette famille fait partie des 6 millions de personnes qui ont quitté leurs villes et leurs villages, parce que des bombes tombaient du haut du ciel sur leurs têtes. Certains ont trouvé refuge au Liban, d’autres en Jordanie, ou en Turquie. Certains d’entre eux ont pris le risque de prendre un minable bateau de fortune pour se rendre en Europe afin d’y trouver refuge. Plusieurs, avec le désir d’y refaire leur vie, dans une autre atmosphère que celle de la peur et de l’insécurité.


    Quand j’étais en Syrie en 2010, il faisait bon y vivre. Si je connais cette famille, c’est qu’on m’y a invité pour passer un temps dans ce petit village au sud-ouest d’Alep. Huit ans plus tard, qui se doutait que cette famille m’inviterait encore “chez eux”, ce que je nommerais pragmatiquement un chez-soi provisoire, car leur statut est précaire, même si tous leurs “besoins” sont assurés actuellement par le gouvernement allemand.
    Durant ces 10 jours, qui étaient pour nous des retrouvailles, on a beaucoup parlé, de plein de choses, de belles choses, de plus tristes et des défis bien présents qui sont les nôtres. Une amitié véritable le permettait !
    Quand la guerre a éclaté et que des intérêts étrangers ont commencé à armer les milices rebelles, mon ami syrien m’a contacté pour me demander de l’aide. Je me suis informé des programmes et de ce qu’il était possible de faire pour le parrainer. J’ai demandé de l’aide à ma paroisse de Sainte-Rose-de-Lima, à Laval.

    À ce moment, j’allais entrer chez les franciscains et je ne pouvais pas être garant pour les démarches entreprises. Entre temps, les combats dans la région d’Idleb se sont intensifiés et la famille a dû se réfugier en Turquie. Nous avons continué les démarches, mais parce qu’une grande masse de réfugiés arrivait en Turquie, l’ambassade canadienne ne traitait plus les demandes d’asile. De notre côté, nous avions engagé une démarche de parrainage privé. La paroisse a commencé à récolter des fonds, mais aussi tout le nécessaire pour meubler un appartement. La femme de mon ami était enceinte et nous espérions qu’ils puissent arriver avant la naissance de l’enfant, mais la demande fut rejetée, car les adresses ne correspondaient plus à leur lieu de résidence. Nous avons tenté d’expliquer qu’ils s’agissaient de réfugiés en mouvement. Que leur situation précaire les avait amenés à se déplacer, mais rien à faire.


    Les conditions de vie se détérioraient en Turquie alors mon ami a décidé de se rendre en Grèce, en bateau, seul. Ensuite, il a mis environ 24 jours pour se rendre en Allemagne, racontant sur son blogue où il était passé et les difficultés qui se sont présentées à lui, afin de guider ceux et celles qui avaient l’intention de s’y rendre aussi. Ensuite, successivement, des membres de sa famille ont fait le voyage pour le rejoindre, mais tous n’ont pas réussi à se rendre à destination.


    Entretemps de notre côté nous avions entamé une deuxième demande de parrainage qui était sur le point d’aboutir, mais elle s’est avérée, encore une fois, infructueuse. Car, l’ambassade canadienne à Vienne, qui traitait la demande, a rejeté, à la dernière étape, la demande, sous prétexte que la situation de la famille s’était régularisée en Allemagne. Les députés ont été mis au courant de cette situation décevante. Michel Bouchard, le prêtre de la paroisse, a fait des pressions, mais la décision des fonctionnaires avait été autre. Pourtant toutes les démarches avaient bien été conduites. La paroisse a tout de même tenu bon pour soutenir cette famille, en lui faisant parvenir une aide.


    Cette photo que j’ai montrée marque ma deuxième rencontre avec cette famille native de Al Barra. Je rends grâce à la paroisse Sainte-Rose-de-Lima qui a permis cette rencontre très profonde en contribuant malgré le refus de notre gouvernement à leur nouvelle tentative de prendre racine dans une terre qui ne leur est pas encore accordée.


    Voilà la signification de cette photo!

    Frère Mathieu Bélanger-Leduc, OFM
    Trois-Rivières

    source : Revue Missions des franciscains

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  • Commentaires

    1
    Mardi 13 Mars 2018 à 11:21

    Quel beau témoignage qui nous révèle combien il faut être persévérant dans nos démarches!

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