• LA PRIERE DE SAINT EPHREM (le Carême) - art 62 Suzanne

    LA PRIERE DE SAINT EPHREM

     

     

     

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    Le Carême nous appelle à la conversion, à la vigilance et au combat spirituel en empruntant la voie étroite de la repentance, du jeûne, des privations mais surtout il nous appelle à nous souvenir que nous sommes véritablement enveloppés de la lumière pascale, construits par le mystère pascal du baptême. Nous mourons au vieil homme dans le sens le plus littéral du terme et, désormais, la mort – et le vieil homme, symbole du péché – sont derrière nous. Les semences de la résurrection germent déjà dans notre enveloppe terrestre et la naissance à la vie de Dieu est en cours. Le Carême peut ainsi se définir comme un temps de « Douloureuse joie », de « tristesse radieuse », en un mot, de tristesse créatrice de joie.

    La tristesse, les larmes du repentir, les souffrances et les épreuves sur notre chemin se révèlent paradoxalement comme autant de signes sensibles de l’amour infini du Père et du travail intérieur de l’Esprit qui laboure nos cœurs pour les rendre conformes et ressemblants au Christ Jésus. Ces états  nous conduisent à la joie sans mélange que Dieu nous promet.

    Durant le temps de Carême, la pratique régulière de la « Prière de Saint Ephrem » nous sera une aide précieuse. Elle contient en particulier tous les éléments qui font obstacle au repentir et nous en fournit les clés.

    « Seigneur et Maître de ma vie, l’esprit d’oisiveté, de découragement, de domination et de parole facile, éloigne de moi.

    L’esprit de pureté, d’humilité, de patience et de charité, donne à ton serviteur.

    Oui, Seigneur et Roi, donne-moi de voir mes fautes et de ne pas juger mon frère car toi seul est Saint, toi seul est Seigneur pour les siècles des siècles. Amen »

    La maladie fondamentale est la paresse. Elle est cette étrange apathie, cette passivité de tout notre être qui, toujours, nous tire plutôt vers le bas que vers le haut et qui, constamment, nous persuade qu’aucun changement n’est possible, ni par conséquent désirable. C’est en fait un cynisme profondément ancré qui, à toute invitation spirituelle, répond : « A quoi bon ?, et fait ainsi de notre vie un désert spirituel effrayant. Cette paresse est la racine de tout péché, parce qu’elle empoisonne l’énergie spirituelle à sa source même.

    La conséquence de la paresse, c’est le découragement. C’est l’état d’acédie – ou de dégoût – que tous les pères spirituels regardent comme le plus grand danger pour l’âme. L’acédie est l’impossibilité pour l’homme de reconnaître quelque chose de bon ou de positif : tout est ramené au négativisme et au pessimisme. C’est vraiment un pouvoir démoniaque en nous, car le diable est fondamentalement un menteur. Il ment à l’homme au sujet de Dieu et du monde ; il remplit la vie d’obscurité et de négation. Le découragement est le suicide de l’âme, car lorsque l’homme en est possédé, il est absolument incapable de voir la lumière et de la désirer.

    La soif de domination. Aussi étrange que cela puisse paraître, c’est précisément la paresse et le découragement qui emplissent notre vie du désir de dominer. En viciant entièrement notre attitude devant la vie, et en la rendant vide et dénuée de tout sens, ils nous obligent à chercher compensation dans une attitude radicalement fausse envers les autres.

    Si ma vie n’est pas orientée vers Dieu, ne vise pas les valeurs éternelles, inévitablement elle deviendra égoïste et centrée sur moi-même, ce qui veut dire que tous les autres deviendront des moyens au service de ma propre satisfaction. Si Dieu n’est pas le Seigneur et le Maître de ma vie, alors je deviens mon propre Seigneur et Maître, le centre absolu de mon univers, et je commence à tout évaluer en fonction de mes besoins, de mes idées, de mes désirs et de mes jugements. De cette façon, l’esprit de domination vicie à la base mes relations avec les autres ; je cherche à les soumettre. Il ne s’exprime pas nécessairement dans le besoin effectif de commander ou de dominer les autres. Il peut tout aussi bien tourner à l’indifférence ou au mépris, au manque d’intérêt, de considération et de respect. C’est bien la paresse et le découragement, mais cette fois dans leur référence aux autres ; ce qui double le suicide spirituel par un meurtre spirituel.

    Le vain bavardage. De tous les êtres créés, seul l’homme a été doté du don de la parole. Tous les Pères y voient le « sceau » de l’image divine en l’homme, car Dieu lui-même s’est révélé comme Verbe (Jn 1.1). Mais, du fait qu’il est le don suprême, le don de la parole est par là même le suprême danger. Du fait qu’il est l’expression même de l’homme, le moyen de s’accomplir lui-même, il est, pour cette raison, l’occasion de sa chute et de son autodestruction, de sa trahison et de son péché. La parole sauve et la parole tue ; la parole inspire, et la parole empoisonne. La parole est instrument de vérité, et la parole est le véhicule du mensonge diabolique. Ayant un extrême pouvoir positif, elle a, partant, un terrible pouvoir négatif. Déviée de son origine et de sa fin divine, la parole devient vaine. Elle prête main forte à la paresse, au découragement, à l’esprit de domination, et transforme la vie en enfer. Elle devient la puissance même du péché.

    Ces quatre points négatifs visés par le repentir, sont les obstacles qu’il faut éliminer. Mais seul Dieu peut le faire. D’où la première partie de la prière de Saint Ephrem : ce cri du fond de notre impuissance humaine. Puis la prière passe aux buts positifs du repentir.

    La cha            steté.  Si l’on ne réduit pas ce terme, comme on le fait souvent de façon erronée, à son acception sexuelle, la chasteté peut être considérée comme une contre partie positive de la paresse. La traduction exacte et complète du terme grec « sophrosunè » devrait être : « totale intégrité ». La paresse est avant tout dispersion, fractionnement de notre vision et de notre énergie, incapacité de voir le tout. Son contraire est alors précisément l’unité de l’être.

    Si par le terme de chasteté, nous désignons habituellement la vertu opposée à la dépravation sexuelle, c’est que le caractère brisé de notre existence n’est nulle part ailleurs plus manifeste que dans cette dépravation,  cette dissociation du corps d’avec la vie et le contrôle de l’esprit. Le Christ restaure en nous l’intégrité et il le fait en nous redonnant la vraie échelle des valeurs, en nous ramenant à Dieu.

    Le premier fruit merveilleux de cette intégrité ou chasteté est l’humilité. Elle est par-dessus tout la victoire de la vérité en nous, l’élimination de tous les mensonges dans lesquels nous vivons habituellement. Seule l’humilité est capable de vérité, capable de voir et d’accepter les choses comme elles sont et donc de voir Dieu, sa majesté, sa bonté et son amour en tout. C’est pourquoi il nous est dit que Dieu fait grâce à l’humble et résiste au superbe.

    La chasteté et l’humilité sont naturellement suivies de la patience. L’homme déchu est impatient parce que, aveugle sur lui-même, il est prompt à juger et à condamner les autres. N’ayant qu’une vision fragmentaire, incomplète et faussée de toutes choses, il juge tout à partir de ses idées et de ses goûts. Indifférent à tous, sauf à lui-même, il veut que la vie réussisse ici-même et dès maintenant. La patience, d’ailleurs, est une vertu véritablement divine.

    Dieu est patient non pas parce qu’Il est indulgent, mais parce qu’Il voit la profondeur de tout ce qui existe, parce que la réalité interne des choses que, dans notre aveuglement nous ne voyons pas, est à nu devant Lui. Plus nous approchons de Dieu, plus nous devenons patients et plus nous reflétons ce respect infini pour tous les êtres, qui est la qualité propre de Dieu.

    Enfin, la couronne et le fruit de toutes les vertus, de toute croissance et de tout effort, est la charité, cet amour qui ne peut être donné que par Dieu, ce don qui est le but de tout effort spirituel, de toute préparation et de toute ascèse.

    Tout ceci se trouve résumé et rassemblé dans la demande qui conclut la prière de Saint Ephrem et dans laquelle nous demandons « de voir nos propres fautes et de ne pas juger mon frère ». Car finalement, il n’y a qu’un danger : celui de l’orgueil. L’orgueil est la source du mal, et tout mal est orgueil. Pourtant, il ne me suffit pas de voir ou de m’accuser ostensiblement de mes propres fautes, car même cette apparente vertu peut tourner en orgueil. Les écrits spirituels sont remplis d’avertissements contre les formes subtiles d’une pseudo-piété qui souvent, sous couvert d’humilité et d’auto-accusation, peut conduire à un orgueil vraiment diabolique. Mais quand nous « voyons nos propres fautes » et « ne condamnons pas nos frères », quand, en d’autres termes, chasteté, humilité, patience et amour ne font plus qu’un en nous, alors seulement le dernier ennemi – l’orgueil – est détruit en nous.

     

    Dans la Liturgie Byzantine, après chaque demande de la prière, en signe de repentir, on se prosterne. Dans le long et difficile effort de recouvrement spirituel, l’Eglise ne sépare pas l’âme du corps et de l’esprit. L’homme tout entier, dans sa chute, s’est détourné de Dieu, l’homme tout entier devra être restauré ; c’est tout l’homme qui doit revenir à Dieu. La catastrophe du péché réside précisément dans la victoire de la chair – l’animal, l’irrationnel, la passion en nous, - sur le spirituel et le divin. Mais le corps est glorieux, le corps est saint, si saint que Dieu Lui-même « s’est fait chair ». Le salut et le repentir ne sont donc pas mépris ou négligence du corps, mais restauration de celui-ci dans sa vraie fonction en tant qu’expression de la vie de l’Esprit, en tant que temple de l’âme humaine qui n’a pas de prix. L’ascétisme chrétien est une lutte, non pas contre le corps mais pour lui. Pour cette raison, tout l’homme – corps, âme et esprit – se repent. Le corps participe à la prière de l’âme, de même que l’âme prie par et dans le corps. Les prosternements marquent ainsi les signes du repentir et de l’humilité, de l’adoration et de l’obéissance.

     

    Suzanne Giuseppi Testut  -  ofs

     

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