• Le texte franciscain du mois – 7 - Éditions franciscaines

    En collaborration avec les Editions franciscaines nous publierons Le texte franciscain du mois, nous sommes maintenant à jour dans la mise En Ligne de ces articles. Merci aux  Editions franciscaines de nous donner un apperçu du contenu du nouveau TOTUM.(le rédacteur  L'Auteur des articles

     

     

    Le texte franciscain du mois – Juin 2011

     

     

    Le texte : saint Bonaventure, Légende mineure de François d’Assise, chap. VI, lectures 1-3

    Ces trois « lectures », au sens liturgique du terme, étaient lues durant
    l’office des vigiles, le sixième jour suivant la fête de saint François.

     

    TAU TRACE PAR FRANCOIS (FONTE COLOMBO)Lecture 1  […] François, deux ans avant de rendre son esprit au ciel, avait entrepris un jeûne de quarante jours en l’honneur de l’archange Michel à l’écart sur un lieu très élevé[1] qui est appelé le mont Alverne ; submergé plus abondamment qu’à l’ordinaire par la douceur de la contemplation d’en haut et embrasé par une flamme plus ardente des désirs célestes, il commença de sentir plus pleinement les dons des irruptions d’en haut. Tandis donc qu’il était élevé vers Dieu par les ardeurs séraphiques de ses désirs et qu’il était transformé par la tendre compassion de son affection en Celui auquel complut, en son extrême charité[2], d’être crucifié, priant un matin à flanc de montagne aux environs de la fête de l’exaltation de la sainte Croix, il vit comme l’image d’un séraphin, ayant six ailes aussi éclatantes qu’enflammées, descendre du plus haut des cieux. Parvenant d’un vol très rapide au lieu de l’air le plus proche de l’homme de Dieu, il apparut non seulement ailé, mais encore crucifié : il avait les mains et les pieds étendus et fixés à une croix, les ailes merveilleusement disposées de part et d’autre, de telle sorte qu’il en dressait deux au-dessus de sa tête, en étendait deux pour voler et des deux autres voilait, en l’enveloppant, tout le corps.

    Lecture 2  Voyant cela, il fut fortement frappé de stupeur et son esprit connut une joie mêlée de douleur, tandis qu’il concevait une joie excessive particulière à la vue obligeante du Christ lui apparaissant d’une manière aussi merveilleuse que familière, et que la terrible transfixion de la croix sous son regard transperçait son âme du glaive[3] d’une douleur compatissante. Certes il comprit – car l’enseignait intérieurement Celui qui apparaissait aussi extérieurement – […  qu’] une telle vision avait […] été offerte à ses regards afin que l’ami du Christ connût lui-même à l’avance qu’il devait être tout entier transformé, non par le martyre de la chair, mais par l’incendie de son esprit à la ressemblance expresse de Jésus Christ crucifié. Disparaissant donc après un entretien secret et familier, la vision enflamma intérieurement son esprit d’une ardeur séraphique, mais elle marqua extérieurement sa chair d’une effigie conforme au Crucifié, comme si l’impression d’un sceau avait fait suite à la vertu liquéfiante préalable du feu.

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    [1] Voir Mt 17, 1.
    [2] Voir Ep 2, 4.
    [3] Lc 2, 35

    Traduction de M. Ozilou in François d’Assise, Écrits, Vies,
    témoignages
    , J. Dalarun dir., Paris, 2010, vol. 2, p. 2189-2191

     

     

    © Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2011

    Lecture 3  Aussitôt en effet, en ses mains et ses pieds commencèrent à apparaître les marques des clous : leurs têtes apparaissaient dans la partie intérieure des mains et la partie supérieure des pieds, et leurs pointes ressortaient de l’autre côté. Les têtes des clous dans les mains et les pieds étaient rondes et noires, mais leurs pointes oblongues étaient tordues et recourbées, elles qui, surgissant de la chair elle-même, dépassaient le reste de la chair […], ainsi que je l’ai moi-même appris de ceux qui l’ont vu de leurs propres yeux. Son côté droit aussi, comme transpercé par une lance, était recouvert d’une cicatrice rouge ; répandant souvent son sang sacré, il aspergeait si abondamment tunique et caleçons que les frères compagnons, les lavant par la suite pour un temps, constataient à n’en pas douter que, comme en ses mains et ses pieds, à son côté aussi le serviteur du Seigneur avait ainsi expressément imprimé la ressemblance du Crucifié.

     

     

    Le contexte

    Bonaventure de Bagnoregio est, avec son exact contemporain Thomas d’Aquin, l’un des deux plus grands théologiens du XIIIe siècle. En 1257, à l’âge de quarante ans, il est devenu ministre général de l’Ordre des Frères mineurs, à une époque où celui-ci comptait près de 30.000 membres. Il a exercé cette lourde charge jusqu’en 1274, année de sa mort.

    Le « Docteur séraphique » – tel est le titre décerné à Bonaventure, tout comme Thomas d’Aquin a reçu celui de « Docteur angélique » – a gouverné la Fraternité mineure pendant une période difficile. Sur le plan interne, la rapide cléricalisation de l’Ordre et l’investissement massif des frères dans la prédication et les études théologiques avaient engendré de fortes tensions. Sur le plan externe, les nombreux privilèges que les ordres dominicain et franciscain avaient reçus du Saint-Siège, la place croissante qu’ils occupaient dans les universités et leur manque de solidarité avec le reste du corps enseignant avaient suscité l’hostilité d’une partie des maîtres séculiers de l’université de Paris et de certains évêques. Bonaventure s’est employé à défendre l’Ordre mineur face à ses adversaires extérieurs, avec succès, et à apaiser les dissensions entre ses membres, avec nettement moins de réussite.

    La contestation au sein de la Fraternité mineure était avivée par le fait qu’y circulaient bon nombre de biographies de François d’Assise et de recueils de souvenirs le concernant, qui offraient de lui des images divergentes et parfois opposées. La première Vie de Thomas de Celano, qui était la légende [1] officielle de François, ayant été rédigée dans un contexte révolu et faisant l’objet de critiques, ne pouvait servir de base à un consensus. C’est pourquoi, en 1260, le chapitre général de Narbonne chargea Bonaventure d’écrire une nouvelle légende de chœur[2]– ce sera la Légende mineure – et une nouvelle Vie officielle – ce sera la Légende majeure – du petit Pauvre. Ces deux textes furent approuvés par le chapitre général de Pise, en 1263. Ils mettent en avant l’exceptionnelle sainteté de François mais passent sous silence, logiquement, sa souffrance et sa réprobation face à l’évolution de l’Ordre mineur.

    François d’Assise fut l’un des tout premiers stigmatisés [3] de l’histoire de l’Église, et le seul dont l’authenticité des plaies ait été officiellement attestée par plusieurs papes. Ce fait a profondément marqué les esprits et les Frères mineurs y ont vu la preuve de la supériorité spirituelle du petit Pauvre sur les autres fondateurs d’ordre. C’est en septembre 1224, vers la fin d’une retraite effectuée sur le mont Alverne (province d’Arezzo, Toscane), que François reçut les stigmates de la passion du Christ. De son vivant, il prit grand soin de les tenir cachés et seuls ses compagnons les plus proches en eurent connaissance ; à sa mort, en revanche, comme il demeura couché nu sur la terre nue pendant un assez long moment, ses stigmates furent observés par plusieurs dizaines de témoins.

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    [1] Au Moyen Âge, une légende (legenda) ne désignait pas un récit merveilleux, mais une vie de saint rédigée en vue de sa lecture publique.
    [2] Une légende de chœur était destinée à être lue pendant les lectures de l’office des vigiles, au long des neuf jours (la solennité et son octave) de la fête du grand saint dont elle retraçait la vie.
    [3] La stigmatisation désigne un phénomène mystique caractérisé par le fait que le stigmatisé devient porteur, en ses mains, ses pieds et son côté, des plaies de la passion de Jésus Christ.

     

    Le commentaire

    Les stigmates représentent, pour Bonaventure, le sceau authentifiant l’extraordinaire sainteté du fondateur de l’Ordre mineur et le caractère unique de son intimité avec le Crucifié. Citant saint Paul, il n’hésite pas à affirmer que François était fixé à la croix avec le Christ [1] et il l’identifie à l’ange du sixième sceau de l’Apocalypse, qui tient le sceau du Dieu vivant.[2] Aussi n’est-il pas étonnant qu’il ait apporté un soin particulier à relater la stigmatisation de François, ainsi qu’en témoignent la précision du vocabulaire et l’ampleur du style des trois « lectures » composant le texte de ce mois.

    Historiquement, la première mention de la stigmatisation est à mettre au compte de frère Élie, dans la Lettre encyclique envoyée aux ministres provinciaux pour leur annoncer le décès de François, en octobre 1226. Élie ne dit rien des circonstances de l’épisode et se contente d’indiquer que, peu avant sa mort, François « apparut crucifié, portant dans son corps les cinq plaies qui sont les vrais stigmates du Christ[3] », qu’il décrit comme des perforations de ses mains, de ses pieds et de son côté. En 1229, la première Vie de Thomas de Celano expose le contexte de la stigmatisation : deux ans avant la mort de François, lors d’un séjour sur le mont Alverne, au cours d’une vision où le petit Pauvre vit « un homme, ayant six ailes comme un séraphin, qui se tenait au-dessus de lui, les mains étendues et les pieds réunis, fixé à une croix [4] ». Celano souligne l’incompréhension de François, la joie que lui causent le regard de bonté et la beauté du séraphin, la douleur qu’il ressent en constatant sa souffrance. Il explique que c’est l’impression de cette vision en son cœur qui déclenche, de l’intérieur, l’apparition des stigmates. Enfin, il corrige la description que fait Élie des plaies des mains et des pieds, en affirmant que des excroissances de chair figurant la tête et la pointe des clous se sont formées au-dessus et au-dessous de chacune d’elles[5]. En 1246, la Légende des trois compagnons signale que l’événement s’est produit aux alentours de la fête de l’exaltation de la sainte Croix (14 septembre) et insiste sur l’ardent amour qui habitait François avant et, plus encore, après la vision. Son auteur déclare que le personnage qui lui apparaît est un séraphin – et non un homme semblable à un séraphin – porteur de l’image du Christ : « voici que lui apparut un séraphin : il avait six ailes et, entre les ailes, il portait l’image d’un très bel homme crucifié, ayant les mains et les pieds étendus en forme de croix et présentant très clairement l’effigie du Seigneur Jésus[6] ». À la même époque, frère Léon précise que ce séjour sur l’Alverne était un carême de quarante jours effectué en l’honneur de saint Michel [7]

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    [1] Voir Ga 2, 19 et Lm VII, 1.
    [2] Voir Ap 7, 2-3 et Lm VII, 1.
    [3] EncEl 5.
    [4] 1C 94.
    [5] Voir 1C 95.
    [6] 3S 69.
    [7] Voir CA 118, qui évoque uniquement l’apparition du séraphin, sans mentionner les stigmates. Voir également la rubrique manuscrite ajoutée après coup par l'intéressé au manuscrit autographe de la Bénédiction à frère Léon.

    Bonaventure hérite de toute cette tradition, que la Légende mineure enrichit de deux nouveautés significatives. D’une part, le personnage que contemple François est identifié au Christ, ayant revêtu les traits d’un séraphin, et non plus à un homme ou à un ange : « il vit comme l’image d’un séraphin » ; « à la vue… du Christ lui apparaissant d’une manière aussi merveilleuse que familière ». D’autre part, cette vision s’accompagne d’un enseignement que le Christ dispense à François : « car l’enseignait intérieurement Celui qui apparaissait aussi extérieurement [8] ». Ces deux faits, imaginés par Bonaventure, polarisent encore plus le récit sur la relation unissant François au Christ. Thomas de Celano souligne qu’ « avec un amour étonnant, il portait et conservait toujours en son cœur le Christ Jésus et le Christ crucifié [9] ». L’expérience vécue sur le mont Alverne pousse cet amour à l’extrême, puisqu’en marquant la chair de François d’ « une effigie conforme au Crucifié », elle le transforme réellement « à la ressemblance expresse de Jésus Christ crucifié ». Une telle expérience mystique est rendue possible par l’intensité du désir qui consume le cœur de François, que Bonaventure décrit en recourant au champ lexical du feu : le petit Pauvre est « embrasé par une flamme plus ardente des désirs célestes », « l’incendie de son esprit » le transforme à la ressemblance du Crucifié, la vision « enflamme intérieurement son esprit », etc. La métaphore du feu est souvent utilisée pour exprimer le désir et la figure du séraphin incite à l’employer ; pourtant, Bonaventure est le premier à en avoir usé pour décrire la stigmatisation de François.

    La description des stigmates est empruntée littéralement à Thomas de Celano. L’unique originalité de Bonaventure est son insistance sur la courbure des excroissances de chair sous les pieds, qui empêchent François de marcher. Ce qui est dit du saignement du côté renvoie à Jn 19, 34, où il est dit que du sang et de l’eau sortirent du flanc de Jésus, sur la croix, après le coup de lance du soldat romain. On connaît quelques dizaines de stigmatisés dans l’histoire du christianisme mais, à notre connaissance, aucun autre que François d’Assise n’a présenté des répliques de chair des clous de la passion du Christ. Il y a donc quelque chose de vraiment unique dans l’expérience vécue par le petit Pauvre sur le mont Alverne.
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    [8] On notera que la Légende majeure identifie ce personnage d’abord à un séraphin puis au Christ, mais ne dit nulle part que ce dernier a enseigné François (voir LM XIII, 3).
    [9] 1C 115 ; la citation de l’Écriture provient de 1Co 2, 2.

    Le texte de Bonaventure foisonne de symboles. Tout d’abord, le mont Alverne est décrit comme très élevé ; or, dans la Bible, c’est habituellement sur une haute montagne que Dieu se manifeste (voir, par exemple, l’épisode du buisson ardent et la transfiguration de Jésus). Ceci renforce l’idée que l’apparition du séraphin et la stigmatisation de François sont d’origine divine. Vient ensuite la référence à saint Michel. François avait une grande dévotion à cet archange, chef de l’armée céleste, qu’il mentionne plusieurs fois dans ses écrits [10]. Dans la Vita secunda, Thomas de Celano dit à ce sujet : « Quant au bienheureux Michel, du fait qu’il avait pour fonction de présenter les âmes, [François] disait souvent qu’il fallait l’honorer de façon plus excellente. Ainsi, en l’honneur de saint Michel entre la fête de l’Assomption et sa fête, jeûnait-il… pendant une quarantaine de jours [11]. » François a donc probablement effectué d’autres « carêmes » de ce type. La portée symbolique de la mention de la fête de l’exaltation de la sainte Croix est claire ; on notera juste que cette donnée, ignorée de Celano, n’advient qu’avec la Légende des trois compagnons. Enfin, il convient de s’arrêter sur le symbolisme du séraphin. Le mot hébreu « seraphim » signifie « brûlants » ; il est peu usité dans la Bible mais apparaît dans la grandiose vision qui ouvre le récit de la vocation du prophète Isaïe :

    « L’année de la mort du roi Ozias, je vis le Seigneur assis sur un trône haut et élevé. Sa traîne emplissait le sanctuaire. Des séraphins se tenaient au-dessus de lui, ayant chacun six ailes : deux pour se couvrir la face, deux pour se couvrir les pieds, deux pour voler. Ils se criaient l’un à l’autre : “Saint, saint, saint, Yahvé Sabaoth, toute la terre est pleine de sa gloire !”[12] »

    Les séraphins sont donc des esprits célestes qui se tiennent devant Dieu et célèbrent sans cesse sa louange. Leur nom indique qu’ils sont brûlants d’amour pour Lui. On peut ajouter que le Moyen Âge distinguait neuf chœurs de créatures purement spirituelles – séraphins, chérubins, trônes, dominations, vertus, puissances, principautés, archanges, anges –, au sein desquelles les séraphins constituaient l’ordre le plus élevé.

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    [10] Voir 1Reg 18, 1 ; ExhLD ; PsMAnt.
    [11] 2C 197 ; traduction de D. Poirel in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1698.
    [12] Is 6, 1-3 ; traduction de la Bible de Jérusalem, modifiée

     

     

    Pour nous, aujourd’hui

     

    Ce récit de la stigmatisation de François est un magnifique exemple de littérature spirituelle, dans lequel transparaît tout l’art de Bonaventure. Il est difficile, à première vue, d’en tirer concrètement un enseignement pour nos vies ; en revanche, il nous offre une bonne occasion de réfléchir à la sainteté et à la teneur que nous lui conférons. 

    Le concile Vatican II a rappelé avec force que tous les membres de l’Église sont appelés par Dieu à la sainteté [1]. C’est dire que celle-ci ne consiste pas en une ascèse hors du commun ni en des dons mystiques exceptionnels, tels les stigmates, mais en une ouverture de notre cœur à la grâce. Comme le montre Bonaventure, qui enracine l’expérience des stigmates dans l’ardeur du désir de Dieu et la contemplation de Jésus crucifié, la sainteté n’est pas une affaire de pureté mais de désir et d’amour ! 

    Le second point qu’il convient de préciser est que la sainteté est une réalité foncièrement dynamique. L’important est moins le point où je me situe à l’heure actuelle que la trajectoire qui est la mienne : suis-je en train de progresser dans l’amour de Dieu et des autres, suis-je de plus en plus attaché au Christ et au bien des personnes que je côtoie ? Ou bien suis-je en train de me replier égoïstement sur moi-même et de régresser spirituellement ? Le meilleur critère, en ce domaine, est probablement la paix et la joie intérieures qui habitent le cœur de ceux qui cherchent de Dieu et œuvrent en faveur de leurs frères.

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    1] Voir constitution Lumen gentium, chap. V.

     

    Le prochain « Texte franciscain du mois » sera celui d’octobre 2011

       © Éditions franciscaines, 2011 

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