• « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » Fr Pierre Brunette (1/2)

    « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » (1/2)

    Animation pour l’assemblée de l’OFS – 9 juin 2012

    (Fraternité 2012)

    Pierre Brunette, O.F.M.

     

    Fr-Pierre-Brunette-ofm.jpg Introduction

    Question qui surgit dans la Bible et dans le parcours de certains saints. Elle montre la disponibilité de la personne ou de la communauté qui la pose devant un témoignage, une prédication, une proclamation, un événement bouleversant.

     

    DANS LES PSAUMES

    « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » n’est pas formulé comme une question mais comme un désir pressant, une impatience, une inquiétude à force de chercher Dieu, ou  de subir son silence. Le priant des Psaumes s’épuise à chercher, veut savoir, veut connaître le chemin qu’il doit prendre. Et il ne se gêne pas de le rappeler. « Seigneur enseigne-moi tes voies, fais-moi connaître ta route. » (Ps 24,4). « Montre-moi ton chemin Seigneur, que je marche suivant ta vérité. » (Ps 85,11 ;  142,8 ; 26,11 ; Ps 138,24). Le priant crie son désir, son attente, son inquiétude et surtout sa fatigue: « Tout mon désir est devant toi » (Ps 37,10) ; « Que puis-je attendre ?» (Ps 38,8) ; « Inquiet, je me plains » (Ps 54,3) ; « Je m’épuise à crier » (Ps 68,4).

     

    Le Psaume 118, 33-40 témoigne du besoin que nous avons de connaître la volonté du Seigneur : Enseigne-moi, Seigneur, le chemin de tes ordres ; à les garder, j’aurai ma récompense. Montre-moi comment garder ta loi, que je l’observe de tout cœur. Guide-moi sur la voie de tes volontés, là je me plais. Incline mon cœur vers tes exigences. Détourne mes yeux des idoles : que tes chemins me fassent vivre. Vois, j’ai désiré tes préceptes : par ta justice fais-moi vivre. 

     

                « Que veux-tu que je fasse ? »

    -         Prière de Jésus adressée à son Père, à Gethsémani : Mon Père, si cette coupe ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ! (Mt 26,42)

    -         Question du jeune homme riche qui a bien pratiqué sa religion: Maître, que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? (Mt 19,16) et même : Que me manque-t-il encore ?

    -         Question du vieux Nicodème : Comment un homme peut-t-il naître étant vieux ? Peut-il une seconde fois entrer dans le sein de sa mère et naître ? » (Jn 3,4)

    -         Question de la foule à Pierre et aux Apôtres, après la Pentecôte de Jérusalem: Frères, que devons-nous faire ? (Ac 2,37)

    -         Question du gardien de prison de Paul et de Silas, après leur libération : Que dois-je faire pour être sauvé, mes seigneurs ? (Ac 16,30)

     

    -         Question que François d’Assise fait sienne durant les transformations intérieures de sa jeunesse et le reste de sa vie.

     

     

     

    « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? » : question de conversion  (désir de « retomber en amour avec Dieu »). Je suis au bord de changer quelque chose, de voir les choses autrement, d’accueillir une situation nouvelle, d’entrer dans la volonté du Seigneur, là où je vis. Il n’y a pas d’âge pour cette question, ni de situation privilégiée. Elle accompagne les tournants de ma vie.

     

    LA QUESTION BIBLIQUE PART DE LA VIE

    Jésus la pose au creux de son angoisse à Gethsémani et dans sa tentation d’éviter la souffrance. Le jeune homme riche la pose à Jésus pour aller plus loin que sa pratique religieuse et le succès de sa vie. Nicodème la pose de nuit, par curiosité spirituelle. Les gens de Jérusalem la posent à Pierre après la Pentecôte : il vient de bouger leur cœur par sa prédication de feu. François d’Assise la pose dans ses conversions de jeunesse, alors qu’il est déchiré entre sa vie facile et son désir de vivre autrement. Claire y répond indirectement quand elle encourage Agnès de Prague à regarder toujours ton commencement. (2LAg 11)

     

    // La question se pose là où nous sommes, là où nous avons les pieds et le cœur. Elle se pose dans ce que nous traversons, surtout dans les situations qui arrivent sans qu’on les ait choisies. Elle met en marche (pèlerins et étrangers), garde jeune, fait persévérer dans le temps, ramène à la source de notre foi ou de notre engagement.

     

    Elle résonne en chacun ; souvent, elle est provoquée par les autres, par ce qui se passe dans le monde et l’Église d’aujourd’hui. Elle aide à faire le point, à discerner. Elle signifie que nous sommes prêts à envisager notre vie, notre foi chrétienne, nos rapports avec les autres et avec Dieu autrement.

     

    Rappel des conversions de François d’Assise 

    Ses tentatives de réponses pour connaître la volonté du Seigneur dans sa vie. Plusieurs conversions. Il ne perçoit pas sa vocation et sa mission du premier coup : il met 7 à 8 ans à chercher la juste réponse.

     

    1.       Maladie et convalescence (1202-1203) : le corps et l’ébranlement de son moi.

    2.     Projet d’une carrière militaire (1205) : ses rêves de gloire et son idéal.

    3.      Périodes de ruptures (1205) : son besoin de prière, de solitude et l’aide de l’évêque d’Assise.

    4.      Le service des lépreux (1205-1206) : ses aumônes, son service des plus pauvres, et son changement de valeurs.

    5.      Période de restauration de chapelle (1205) : sa charité au service des églises et l’interpellation de la Croix de Saint-Damien et la rencontre du Christ.

    6.      Dépouillement devant l’évêque (1206) : son affranchissement familial et civil et son choix de vivre publiquement au service de Dieu.

    7.      L’écoute de l’évangile radical (1208) : par sa mise en pratique, son changement de vie et son début de prédication populaire comme un pénitent prédicateur.

     

    Sur la route de Spolète

    Son questionnement arrive lors d’une rechute dans sa maladie. À 24 ans, il se rend en Pouilles avec un noble d’Assise (3S4), pour combattre sous l’étendard de Gaultier de Brienne. Il vient d’avoir une vision d’un palais remplis d’armes. Son interprétation ? Ce palais est pour lui et pour ses soldats. François rêve en grand : il veut être quelqu’un, un grand prince. La veille du départ, il donne son habillement neuf à un pauvre chevalier. Puis, il prend la route vers le Sud de l’Italie.

     

    LE SONGE DE SPOLÈTE

    S’étant mis en route et arrivé à Spolète, il commença à être un peu malade. Préoccupé néanmoins de son chemin, il réussit à s’endormir, mais dans un demi-sommeil, il entendit alors quelqu’un lui demander où il désirait aller. Lorsque François lui eut raconté tout son projet, son interlocuteur lui dit : « Qui peut donc te faire le plus de bien ? le maître ou le serviteur ? » « Le maître ! » « Alors, pourquoi abandonnes-tu le maître pour le serviteur et le prince pour le vassal ? » Et François dit : « Que veux-tu que je fasse, Seigneur ? » « Retourne dans ton pays et on te dira ce que tu dois faire, car cette vision que tu as eue, il faut que tu la comprennes autrement » (3S 6).

     

    Son projet avorte, à cause de sa rechute. Ce qui le force à renoncer à son rêve de gloire. Son Moi est ébranlé : il doit rebrousser chemin sans trop savoir quoi faire. On pourrait traduire le texte « Retourne dans ton pays » par « Retourne à ton enfantement », « là où tu pourras renaître ». La suite des Légendes montre qu’il va mettre ses ambitions personnelles à servir Dieu dans le monde, petit à petit. La réussite de sa vie tient à son lien avec Dieu ; et il devra en payer le prix.

     

    DEUX EXEMPLES DE DISCERNEMENT

    POUR FRANÇOIS À PARTIR DE CETTE QUESTION !

    En 1209, la petite fraternité primitive revient de Rome avec l’approbation du pape sur leur forme de vie. Dans la vallée de Spolète, elle se pose la question à savoir : devaient-ils vivre parmi les hommes ou se retirer en des lieux solitaires ? C’est François qui tranche le dilemme : il choisit qu’on ne vivrait pas pour soi seul. Il voulait gagner à Dieu les âmes. (1C 35)

     

    Quelques années plus tard, il se pose le même dilemme pour lui : vivre parmi les hommes ou se retirer dans la solitude ? Il consulte deux contemplatifs, frère Sylvestre et Claire. Les deux ne se concertent pas mais répondent dans le même sens : il doit prêcher comme le héraut du Christ. (LM 12,2)

     

    // Souvent nous semblons voir plus clair pour les autres que pour nous-mêmes. Mais la question se pose toujours à des moments cruciaux. Comment les lire ? L’expérience de François et de la fraternité primitive montre l’importance de chercher et de prier, d’essayer d’y répondre en pratique, de consulter des « sages » ou des personnes de confiance pour connaître la volonté du Seigneur sur nous-mêmes. De traverser le temps avec patience.

     

    I - Pour la traversée de ma vie et de ma foi :

    « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »

     

    Les défis de mon humanité

    Les grandes questions de la vie

    La vie m’accule à de grandes questions, souvent sans réponse : Qui suis-je ? Pourquoi suis-je sur la terre ? Je compte pour qui ? Comment aimer et être aimé ? Pourquoi les épreuves, la souffrance, la mort ? Pourquoi l’injustice et les inégalités sociales ? Croire « kossa donne ? Après la mort, quoi ? Questions existentielles ou de foi qui varient selon les âges de la vie.

     

    Spirituels et humains

    « Nous ne sommes pas des êtres humains faisant un voyage spirituel. Nous sommes des êtres spirituels faisant un voyage humain. » (P. T. de Chardin) En d’autres mots, notre existence, sous l’Esprit de notre baptême est d’aller jusqu’au bout de notre vie humaine: apprendre à aimer, à découvrir la place de l’autre, à servir de façon désintéressée, à se dépenser pour le bien, la justice, la vérité, etc. Et il s’agit de le faire pour retourner d’où l’on vient : Dieu (cf. l’arbre dont les racines poussent au ciel).

     

    La réponse de la foi

    La foi ne règle pas les grandes questions de la vie. Elle donne de les traverser. La foi est un don, une semence pour cheminer, grandir, aller jusqu’au bout des questions, surtout les plus difficiles. Ma foi chrétienne (à la différence des valeurs humaines rencontrées dans le monde ou chez les autres) se réclame de Jésus Christ et de sa manière de vivre, son humanité sous le regard de son Père. Jésus propose une manière radicale : dépasser la loi du Talion (Œil pour œil… ) « On vous a dit, moi je vous dis), mais aimer mes ennemis, prier pour ceux qui me persécutent, annoncer et dénoncer le mal, pardonner l’impardonnable, travailler à la réconciliation.

     

    // Ces valeurs vont à contre-courant d’une mentalité séculière et mondaine centrée sur la facilité, le bonheur instantané, l’individualisme, l’exclusion des autres, le fatalisme et le désespoir, l’athéisme (s’arranger sans Dieu ; l’accuser des problèmes du monde ou l’en absoudre), etc.

     

    La manière du Christ éclaire ma foi

    C’est d’aller jusqu’au bout de son humanité, lié à son Père. À partir de son baptême et de cette découverte, il se retire pour creuser ce lien avant de partir en mission :

     

    (Rendre Dieu proche et le Royaume accessible à tous, guérir par ma présence, faire reculer le mal, toucher les cœurs par ma bonté, apporter un peu de paix, faire la vérité, me laisser accueillir et me dépenser sans rien revendiquer en retour.)

     

    //Ma réponse est une spiritualité qui se découvre en chemin. Elle ne sera définitive que sur mon lit de mort ; entre-temps, elle s’invente au jour le jour. Comment aller au bout de mon humanité ? En l’accueillant, la respectant, l’aimant, la laissant se transformer. En cheminant avec d’autres. En devenant moi-même la maison de l’Esprit.

     

    (Chacun a en soi sa façon de cheminer vers Dieu et de s’établir en Lui : sa route, son ermitage, son désert, ses places publiques, ses temples et ses maisons pour répondre à l’appel de Dieu et découvrir l’Évangile. Il n’y a aucun parcours banal ni inutile. Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père. [Jn 14,2])

      

             Croire sans voir

    La béatitude de Jésus après la rencontre de Thomas nous concerne : « Heureux ceux qui ont cru sans avoir vu. » (Jn20,29). Notre défi ? Avancer dans la foi sans voir, sans signes ni preuves autres que le courage de nous laisser visiter, dérouté, amener ailleurs. Et de croire avec d’autres.

     

    Il faut une rencontre décisive en tenant compte des expériences incontournables : les difficultés à comprendre et les lenteurs pour adhérer (Esprits sans intelligence, cœurs lents à croire), les doutes et le besoin de preuves (Thomas), les efforts pour se rappeler et partager, les attentes et mes espérances déçues, relire la Parole (Emmaüs),les pertes et l’absence (Marie de Magdala), les emballements de courtes durée et les défections (Pierre), le retour à la vie quotidienne (les apôtres au bord du lac, à la pêche), les simples gestes de la vie(la route, la table, les confidences, la fraction du pain). Ce sont des traversées évangéliques qui suggèrent les nôtres.

     

    Ce n’est qu’à partir de ces rencontres, en chemin, que le disciple peut affirmer: « Rabbouni, Maître ! » (Jn 20,16 : Marie de Magdala au Jardin), « Mon Seigneur et mon Dieu » (Jn 20,28 : Thomas au Cénacle), « C’est le Seigneur ! » (Jn 21, 7 : Pierre au bord du lac),« Nous avons vu le Seigneur ! » (Jn 20, 25 : les disciples à Thomas), « Oui, Seigneur, tu sais bien que je t’aime ! » (Jn 21,16 : Pierre après le repas au bord du lac),« C’est bien vrai ! Le Seigneur est ressuscité ! » (Lc 24,34 : les disciples d’Emmaüs aux Onze à Jérusalem).

     

    // Mes résistances légitimes

    Comme pour les disciples, je rencontre des lenteurs, des fermetures, du désarroi, du repli sur ma sécurité, de l’incompréhension. Il faut que je me laisse visiter dans ce que je vis, appeler par mon nom, renvoyer plus loin que toute situation fermée à la fraternité croyante. Le témoignage des autres : « Nous avons vu le Seigneur ! » « Va dire à mes frères ! ». Nous n’avons pas fini d’apprendre l’importance des autres pour cheminer.

     

     

     

    Rencontrer Jésus vivant. Mais où ?

    La Résurrection n’est pas quelque chose qui est arrivé à Jésus uniquement mais un événement qui arrive aux disciples et à chacun de nous. Ce n’est pas une réanimation de cadavre (souvent mêlée avec des idées de réincarnation) mais une présence du Crucifié ressuscité, vu autrement. Elle part d’un échec, d’un deuil, d’une perte physique et d’une absence. Elle déclenche une recherche pour le trouver, former son Corps, le rencontrer présent. Il se donne à voir là où nous avons besoin de le rencontrer (déroute et désarroi, larmes et deuils, peurs et surprises, découragements et rêves, replis sur soi, partage en route, séparation des autres, dos tourné à Jérusalem). Comment devenir des témoins de la vie au-delà des signes de morts ? (« Pourquoi cherchez-vous le vivant parmi les morts ? Il n’est pas ici, mais il est ressuscité ! » Lc 24,5)

     

    // Considérer nos petites et nos grandes morts.

    Ce que nous vivons devient une traversée nécessaire pour Le rencontrer. La plupart du temps, l’expérience pascale ne se comprend que par après. Cheminer sans perdre de vue qu’Il est présent sur nos routes.  

     

    Nos morts

    Physique : pépins de santé, accident, convalescence, maladie grave, perte d’autonomie ou cognitive (Alzheimer).

    Matérielle : feu, vol, vandalisme, casser maison, déménager.

    Relationnelle : séparation, divorce, deuil, départ d’un proche, querelle d’amis. Psychologique : harcèlement, dépendance, désintoxication, dépression, suicide. Professionnelle: perte d’emploi, changer de carrière, revendications (étudiante).

    Morale : réputation, scandale, jugement des autres, non-reconnaissance.

    Les âges de la vie : anniversaire, solitude, vieillissement, préparer sa retraite, placer un parent en résidence.

    Spirituelle : ténèbres, prières inexaucées, sécheresse, tiédeur, tentations.

    La nature : verglas, débordement de rivière, tremblement de terre, saisons. 

     

    // Considérer nos relèvements.

    La sortie de toutes nos morts quotidiennes (Talitha Koum : réveille-toi, lève-toi, tiens-toi debout dans la Vie : genèse du mot Résurrection). La Résurrection est à l’œuvre dans notre vie quotidienne personnelle. Les évangiles de Pâques en sont le rappel.

     

    // Retourner en Galilée et vers les « autres rives ».

    Les femmes et les disciples se font renvoyer en Galilée (chez eux, là où tout a commencer, là où tout peut recommencer, ailleurs).La rencontre avec le Ressuscité commence là où j’ai les pieds, la tête et le cœur. Là où je me démène avec ma vie, mes questions, mes découvertes, mes difficultés, mon besoin d’être réconforté, ma capacité de célébrer et de faire mémoire. Galilée : plus qu’un lieu, c’est une manière de vivre, de sortir de nos zones de confort, de devenir missionnaires.

     

    L’héritage des Béatitudes

    Avancer avec un héritage porteur de vie.  L’évangile des béatitudes est une charte de vie pour toutes situations sans issues (les tombeaux scellés). Elles sont la voie de relèvement que Jésus prend pour sa propre mission et l’annonce du Royaume : un appel à vivre debout, libre et non pas à nous résigner ou nous enfermer dans la défaite. Le message chrétien est porteur de Résurrection.

     

    TRAVERSER L’IMPOSSIBLE !

    Jésus traverse ce qu’il y a de plus deshumanisant en croyant. Au lieu de se résigner à la passivité et à la fatalité, il prend un chemin de libération. En croix, il reste le parfait croyant: surtout quand il est en croix. (BIENHEUREUX : Debout ! En marche ! Heureux !) Le Royaume est accessible à tous ceux qui s’en remettent à la grâce de Dieu pour sortir de la mort et accéder au bonheur en restant… libres.

     

    Quels pauvres ! Ceux dont les épreuves matérielles et spirituelles amènent à ne compter que sur le secours de Dieu. Quels doux ? Pas les doux par tempérament, mais ceux qui tiennent malgré leur condition sociale et religieuse. Quels inconsolables ? Pas les mélancoliques mais ceux qui attendent la Consolation définitive de l’humanité et de ses troubles. Quels assoiffés de justice ? Ceux dont l’agir chrétien porte les autres et se réclame de Dieu. Quels miséricordieux ? Ceux qui empruntent les entrailles de Dieu dans leur regard et leur présence. Quels cœurs purs ? Pas la pureté morale, mais la droiture payée par sa propre vie, les visionnaires de Dieu. Quels faiseurs de paix ? Pas les promoteurs de résolution de conflits, l’absence de guerre, mais ceux qui travaillent pour l’accomplissement, la plénitude des autres. Quels persécutés ? Ceux qui portent dans leur chair et leur existence le choix d’agir au nom du Christ.

               

     

    PAUVRES DE CŒUR

    Heureux les pauvres.

    La première disposition pour entendre la parole de Dieu, c’est la pauvreté. Il faut éviter de s’en faire une idée simpliste : matérielle. C’est aussi faux que de la réduire à une aspiration purement spirituelle. La pauvreté matérielle est une situation économique et non une vertu. La pauvreté ne mène pas nécessairement à l’amour. Mais l’amour vrai mène toujours à la pauvreté.

     

    Heureux ceux qui ont une âme de pauvre.

    Heureux ceux qui acceptent de se laisser critiquer par la parole de Dieu.

    Heureux ceux qui acceptent de remettre leurs idées en question.

    Heureux ceux qui acceptent de croire qu’ils n’ont encore rien compris.

    Heureux ceux qui savent accepter de penser que Dieu peut tout demander.

     

    Qui a une âme de pauvre ? Quand le Seigneur nous désinstalle d’une de nos positions matérielles ou spirituelles ! La pauvreté, c’est la condition première pour être perméable à Dieu. Pars ! Quitte ton pays, ta culture, tes habitudes, ton passé. Et Abraham partit ne sachant pas où il allait (He 11,8).

     

    Dieu veut que vous ne vous cramponniez à rien. Le vrai pauvre, c’est le Christ, il ne s’est cramponné à rien ![texte manuscrit trouvé dans le missel de Frère Luc, moine de Tibhirine, Algérie])

     

     

    Le Royaume déjà là, mais caché !

    Jésus propose l’expérience Dieu est accessible à tous, proche. Le Royaume est pour nous, en nous, entre nous, au milieu de nous. C’est un regard neuf sur la vie (comme un petit enfant). Ce n’est pas une place, une idée, un programme, mais une expérience commencée ici-bas avec son point d’aboutissement, toujours perceptible, visible à l’œil nu. Mais quelque chose de saisissable à partir de l’intérieur.

     

    Les images du Royaume, inventées par Jésus, renvoient à :

    o   quelque chose de caché qui mérite d’être dévoilé (un trésor enfoui dans un champ [Mt 13,44], une perle fine trouvée par un marchand [Mt 13,46])

    o   quelque chose qui grandit sans qu’on le sache (un grain de moutarde [Mc 4, 30-31], du levain dans la pâte [Lc 13,20], semence jetée en terre qui pousse la nuit et le jour [Mc 4,26])

    o   quelque chose qui demande confiance jusqu’à la fin des temps (le filet jeté à la mer dont on trie les poissons [Mt 13,47] ; du bon grain semé qui pousse parmi de l’ivraie [Mt 13,24]).

    o   une responsabilité confiée en l’absence du maître (un roi qui règle ses comptes avec ses serviteurs [Mt 18,23] ; un patron qui embauche des ouvriers pour sa vigne, à toute heure [Mt 20,1] ; un homme qui part en voyage etconfie ses biens [Mt 25,14]).

    o   une invitation adressée à tous (un roi et ses invités aux noces [Mt 22,1])

    o   une expérience à préparer (les jeunes filles et leurs lampes [Mt 25,1])

     

    Le Royaume est aussi synonyme de Bonne nouvelle et d’évangile : la porte d’entrée dans cette expérience de Dieu et d’amour des autres. L’évangile se trouve enfoui au cœur du monde comme un ferment. Il y a l’évangile d’encre et de papier et l’évangile qui appelle à être dévoilé dans la vie. Royaume et Évangile font appel à la dimension cachée, enfouie, en croissance, de responsabilité, de confiance, de vigilance et d’accès à tous.

     

    // Notre Royaume : une terre à fouler tous les jours.

    La fatigue de ne pas être encore arrivé, de toujours recommencer, de ne pas savoir ce que Dieu attend, n’empêche pas de chercher et de cheminer. Jésus saisit ce chemin pour lui-même comme un lieu visité par l’Esprit : il se sent aimé de Dieu. C’est ce qui lui donne de partir en mission. Pareil pour nous. On ne part pas sur une idée, un projet, la certitude d’un talent ou d’un rêve… mais à cause de Quelqu’un dont on découvre qu’il nous aime.

     

    Notre charte missionnaire franciscaine

    Ce qui la déclenche c’est la certitude que Dieu est bon (et l’unique bien à partager). Cette certitude nous met en route pour l’annonce. Confessez que le Seigneur est bon et exaltez-le par vos actes ; car c’est pour cela qu’il vous a envoyés dans le monde entier, pour que, par la parole et en acte, vous rendiez témoignage à sa voie et que vous fassiez savoir à tous qu’il n’y a de tout-puissant que lui. (LOrd 5-9)                     

     

    Face au monde d’aujourd’hui :

    « Seigneur, que veux-tu que je fasse ? »

    Quel monde ?

    Le Petit Robert donne plusieurs sens : l’univers (l’ensemble de tout ce qui existe, les astres, le cosmos) ; la planète-terre et ses habitants (les gens ; le genre humain) ; le monde d’ici-bas par rapport au monde de l’au-delà : le monde temporel par rapport à un ailleurs (Ma royauté n’est pas de ce monde. Si ma royauté était de ce monde, mes gardes auraient combattu pour que je ne sois pas livré au Juifs. Mais ma royauté, maintenant, n’est pas d’ici. [Jn 18, 36])

     

    Pour nous chrétiens, le monde est le lieu de notre humanité : l’univers profane et religieux. C’est le siècle, avec ses choses temporelles et sa mondanité et (naître, grandir, gagner sa vie, aimer, se reproduire, se divertir, devenir quelqu’un, se faire une place au soleil) et le lieu de notre être spirituel. Paradoxe: y rencontrer Dieu et les autres et s’en défaire progressivement pour retourner à Dieu.  (Au Moyen-Âge : mépris du siècle).Mentalité négative de quitter le monde pour fuir la Cité, la mondanité, s’enfuir au désert, donner sa vie, se retirer du trafic humain. Mentalité évangélique : la terre choisie par Dieu pour donner son Fils :

     

    Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son Fils dans le monde pour juger le monde, mais pour que le monde soit sauvé par lui.  (Jn 3, 16-17)

     

    C’est la terre de notre vie chrétienne : « Le laïc naît au monde avant de naître au christianisme. » (K. Rahner)

     

    Des mutations accélérées et radicales

    Monde et Église sont concernés

    Les deux vivent des changements radicaux et rapides, surtout depuis 50 ans. Bouleversements à plusieurs niveaux: perte de modèles et de références, éclatement des structures, rejet de toute forme d’autorité, soumission au conformisme écrasant, méfiance pour l’intelligence, diminution des liens familiaux, changement dans le rapport hommes-femmes, entre générations, etc.

     

    // Nos pertes, des passages obligés ! Des grâces ?

    Ne pas baisser les bras devant ce qui se passe (personnellement, socialement, en Église, dans le monde). Quelque chose meurt, finit, se perd, mais autre chose appelle à naître (la famille, le monde du travail, de la finance, la politique, des Églises). Ces changements peuvent devenir une grâce pour entendre résonner l’Évangile, nous convertir, nous remettre en marche comme Abraham. Éviter la démission, le cynisme, quant-à-soi, victime, etc. Nous sommes invités à entrer dans la dynamique de Pâques : nous ouvrir à la présence du Seigneur vivant, autrement.

    Crises diverses :

    o   De la parole (tout discours loin de la vie, des préoccupations séculières, des valeurs passées) ; dans le discours ecclésial (contraception, pédophilie, minorités, ministères, etc.),dans la société (scandales politiques, sondages, commissions, grèves, médias sociaux, grands empires, problèmes ethniques, etc.)

    o   De visibilité et d’efficacité (Églises, groupes sociaux, Institutions) (retrait de lieux habituels d’interventions sociales, animation populaire, monde hospitalier, etc.).

    o   Des structures : lourdeur institutionnelle et diminution d’intervenants, mais non pas diminution des besoins (Fonction publique, administration des diocèses, Chapitres généraux et provinciaux) Occasion de consolider les forces, simplifier, vigilance face au cumul des fonctions.

     

    // L’évangile reste en chantier même en temps de crise. Occasion de reprises, de nouvelle disponibilité, ouverture vers la créativité à partir de notre pauvreté (nos 5 pains et nos 2 poissons) a besoin d’ouvriers-témoins et de nouvelles rives à fréquenter.

               

    Dieu absent ou présent ?

    Le spectre de la laïcité.

    La montée de la laïcité fait peur. L’Église, la culture chrétienne ne sont plus le point de repère central pour notre société. (Laïcité : l’État n’exerce aucun pouvoir religieux et les Église n’exercent aucun pouvoir politique). Séparation Église-État aide à situer les secteurs de compétence. Impression d’une évacuation du sens de Dieu ? Plutôt une re/centration des choses de Dieu dans leur sphère. Reste un fond judéo-chrétien difficile d’évacuer (noms de villages, de ville, de rue, de lieux publics, de fêtes civiques, de pratiques juridiques, etc.). Danger possible : privatisation de l’expérience religieuse, retrait des normes. Comment faire dialoguer notre option chrétienne avec le courant laïc (dur ou accommodant) ?

     

    Exemple de rituels laïcs en quête de sens.

    (1) Baptême civil, intronisation d’un enfant dans une famille non croyante.

    (2) Mariage civil ou union libre en quête de rituels.

    (3) Maladie et dernières volontés [délégation en cas de perte d’autonomie, acharnement thérapeutique, non réanimation], débat sur euthanasie, augmentation des aidants naturels ; préparer à mourir ou divertir ?

    (4) Funérailles civiles (église, salle de concert, théâtre)

    (5) Rites funèbres en dehors des églises (sans eucharistie, liturgie de la Parole, eulogie. Récupération commerciale de la mort par les résidences funéraires.

     

    Disparition de la croix sur les murs. Méconnaissance du signe de croix et de la bénédiction. Méconnaissance des attitudes, gestes liturgiques  et du langage religieux.

     

    // Considérer le besoin de Sens et l’expression du Sacré en dehors des sentiers battus et des temples. La société n’exclue pas le sens de Dieu, elle le déplace ailleurs. La recherche du spirituel prend moins la voie confessionnelle ou institutionnelle que nous avons connue.

    Le Royaume de Dieu se bâtit en chemin. L’Esprit agit sans cesse. Le vent souffle où il veut, et tu entends sa voix mais tu ne sais ni d’où il vient ni où il va. Ainsi en est-il de quiconque est né de l’Esprit. (Jn 3,8)

     

    // Quoi faire ? Nous ouvrir aux signes des temps, élargir notre conscience, proposer nos valeurs sans juger, reconnaître la Parole de Dieu à l’œuvre dans la parole des autres, favoriser l’expérience de la rencontre, accueillir la nouveauté opérée par Dieu. Voici que je vais faire une chose nouvelle, déjà elle pointe, ne la reconnaissez-vous pas ?  (Is 43,19)  Ouvrir les yeux pour ouvrir le cœur. Apprendre à lire la nouveauté sans renier nos racines ; rester critique, discerner, sortir de nos sécurités.

     

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