• TRANSMUER LA SOUFFRANCE - art 54 Suzanne

    TRANSMUER LA SOUFFRANCE

     

     

    Qui cherche la vérité de l’homme doit

    s’emparer de sa douleur,

    par un prodige de compassion,

    et qu’importe d’en connaître ou non

    la force impure.

                            Georges Bernanos

      Arbre automne2

     

    Sous l’effet du malheur et de la souffrance, d’une injustice ou d’un affront subis, la violence éclate presque toujours en nous. Cette attitude peut paraître légitime, justifiable, il est en effet « naturel », très humain, de se révolter et d’exiger réparation lorsqu’on est victime d’injustices flagrantes, d’outrages, de calomnies ou de trahison, de vol ou encore d’agression physique. Victime de la méchanceté des autres, victime du mal. Mais le malheur qui s’abat sur nous peut également être dû à la maladie, à un accident, à des catastrophes dites naturelles. La liste des désastres est sans limite.

    Il est rare que le malheur purifie, ennoblisse, sanctifie les êtres. Si aucune réparation n’est obtenue, aucune consolation dispensée, le sentiment d’injustice s’accroît, s’exaspère jusqu’à devenir désir de vengeance, obsession de vengeance même. Le malheur, en nous dépouillant de tout, en nous privant de tout appui, de tout repère, nous laisse nus et infiniment vulnérables. Il nous confronte à notre vide intérieur et cette découverte nous donne vertige. « Le malheur contraint à reconnaître comme réel ce qu’on ne croit pas possible »[1] Nous tombons sous le joug d’une réalité absolument contraire à nos désirs, à nos rêves, à notre volonté ; une réalité qui bafoue nos valeurs et met en grand péril notre conscience et notre foi si nous sommes croyants.

    Faute de remède, nous choisissons le désespoir, nous projetons hors de nous la souffrance qui nous est imposée, nous la transformons en violence, nous transférons notre malheur sur les autres dans une tentative de libération. Mais peut-on échapper aux ténèbres en répandant la nuit autour de soi ? Peut-on échapper à la pesanteur en chargeant les autres de nos maux ? Non, nous nous y engluons davantage, nous sommes victimes d’une illusion car, tout vide non accepté produit de la haine, de l’amertume, de la rancune. Le mal qu’on imagine et qu’on souhaite à ce qu’on hait, ne rétablit pas l’équilibre.

    Que faire alors de notre misère mise à vif par le malheur si nous refusons l’exutoire de la violence et sa panoplie de représailles ?

    Refouler ou recouvrir la violence n’est pas une solution car alors, elle nous ronge de l’intérieur, en secret. Même si son champ d’action est restreint, son poison demeure mortel car elle entraîne inévitablement une dégradation tant physique que psychique qui finit par pétrifier la victime dans son malheur.

    Renoncer en toute lucidité et d’une manière réfléchie à la violence, à la revanche, à la recherche éperdue d’un bouc émissaire ? Cela demande une grande lucidité  sur nous-mêmes, une capacité d’évaluer notre propre capacité de violence et de nuisance car, même lorsqu’on se veut pacifiste, il est impossible de ne pas éprouver des flambées de colère ou de vindicte dès que l’on est victime ou même témoin impuissant d’un excès de souffrance. Ce choc de retour est inévitable et il nous confronte à notre fragilité, à notre misère et à notre difficulté pour essayer d’en contenir la force d’impact.

    En arriver à renier l’idée même de Dieu comme s’il était responsable de nos maux ?

    Une autre voie nous est offerte. Quand on parvient à contempler l’étendue de son propre malheur de victime sans auto-apitoiement, sans rancune ni fureur, sans maudire les hommes et Dieu, on peut alors s’acheminer vers ces terres intérieures dont, avant l’irruption du malheur, on ne soupçonnait pas la présence en nous et l’ampleur extraordinaire. Des terres célestes, nues et arides mais luminescentes. En ces lieux, la violence peut être métamorphosée en souffrance pure, et la souffrance transmuée en lumière.

    Tel est l’envers de la souffrance. Tel est son retournement, son renversement qui nous fait saisir le mal par le revers pour mieux le rejeter, pour passer du ressentiment ou de la haine, à la purification du cœur, pour transfigurer « l’ici-bas en Ici-Haut. »

    La profondeur, l’excès même de ta douleur te donnent la mesure exacte des possibilités de joie et de Résurrection qui dorment en toi. Beati qui lugetis. Le pire mal n’est pas la souffrance, mais l’insensibilité. Les larmes sont une promesse. Dieu brise les cœurs qu’Il veut emplir, les autres, Il les endurcit.

    Bienheureux ceux qui souffrent et qui savent se plaindre, car ils seront consolés par les hommes. Mais plus heureux encore ceux qui souffrent en vérité et en silence, car ils finiront par être consolés par Dieu. » (Gustave Thibon, Le Pain de chaque jour. Monaco, 1945, p. 76)

    Dans son très beau Traité des larmes, Catherine Chalier demande : « De quelle vérité sur la chair humaine l’eau des larmes, issue du plus invisible en elle, est-elle donc l’annonciatrice ? […] Les larmes libéreraient les étincelles de lumière captives de la matérialité. Elles feraient découvrir un puits d’eau vive là où, sous l’effet de la vilence et de la peur, l’œil ne percevait plus qu’un puits à jamais comblé. […] Les larmes seraient le signe, sur le visage humain, d’un éveil au plus haut secret qui habite chacun. »[2]

     

    Suzanne Giuseppi Testut  -  ofs

     

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    [1] S. Weil, La Pesanteur et la grâce, Plon, 1988, p. 97.

    [2] C. Chalier, Traité des larmes. Fragilité de Dieu, fragilité de l’âme, Albin Michel, 2003, p. 16, 47.

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