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    Un sandwich à la Marc

    La fille de Jaïre                           La résurrection de la fille de Jaïre par Ilya Repine (1871)

                    Guérison d'une hémorroïsse et résurrection de la fille de Jaïre : Marc 5, 21-43

        Autres lectures : Sagesse 1, 13-15; 2, 23-24; Psaume 29(30); 2 Corinthiens 8, 7.9.13-15

                     
    L’extrait de l’Évangile selon Marc proposé par la liturgie de ce dimanche nous offre deux guérisons pour le prix d’un : la fille de Jaïre et la femme hémorragique. Ces récits sont présentés dans un style que j’aime appeler : sandwichs à la Marc. Souvent, l’Évangile selon Marc utilise une technique ressemblant à un sandwich : une première histoire est racontée (le premier pain), puis, avant qu’elle ne soit terminée, vient un deuxième récit (la viande) et finalement, il retourne à la première histoire pour la terminer (l’autre pain).

        A : vv. 21-24 : Jaïre implore Jésus pour sa fille

            B : vv. 25-34 : La femme est guérie par Jésus

        A’ : vv. 35-43 : Jésus répond à la demande de Jaïre

         Cette façon d’écrire a un effet sur la personne qui lit ou entend ce texte. Naturellement, elle va voir quels sont les points communs entre les deux récits. Il y a certainement des raisons pour que Marc choisisse de faire une seule histoire, un seul sandwich, avec deux récits. À nous de trouver ce qui les relie.

    Scandale des femmes impures!

         Les deux femmes de ces récits sont marquées par une double exclusion. D’abord, comme femmes dans cette société, elles ne peuvent que difficilement prendre la parole en public. D’ailleurs, avec les lois de pureté juives, un homme ne pouvait toucher une femme qu’il ne connaissait pas de peur qu’elle ait ses règles et lui transmette son impureté (Lévitique 15, 19). Puisque le sang était symbole de vie, il faisait l’objet d’un tabou important. Ensuite, ces femmes étaient malades. La femme souffrant d’une hémorragie depuis douze ans était considérée comme constamment impure. En raison de sa condition, elle était rejetée de la communauté. Depuis 12 ans, personne n’avait le droit de la toucher sans qu’elle lui transmette son impureté. De son côté, la fille de Jaïre semblait morte. Le fait de toucher un cadavre était aussi source d’impureté (Nombres 19, 13). En plus, dans cette culture, la maladie en générale était vue comme une conséquence du péché (Jean 9, 2-3). Donc, les deux récits sont centrés autour de femmes impures et donc exclues de la société.  

    Une touche féminine

         Les deux récits racontent la guérison d’une femme. Au temps de Jésus, une femme ne pouvait pas interagir de la même façon que les hommes sur la place publique. Dans le premier récit, c’est un homme qui interpelle Jésus par la parole pour qu’il vienne aider sa fille. Dans le deuxième, c’est une femme qui doit elle-même faire sa place pour interpeller Jésus. Elle ne le fait pas d’abord par la parole, mais bien par le toucher. Les femmes ne pouvaient adresser directement un homme sur la place publique. Dans ce récit, cette femme impure ose toucher à un homme Jésus pour qu’il s’occupe d’elle. Normalement, Jésus aurait dû être considéré comme impur à son tour, mais sa pureté est si grande que le contact donne le résultat inverse. C’est Jésus qui transmet sa pureté à la femme. Après une première réaction forte, Jésus se laisse toucher par la foi de cette femme. Jésus a certainement participé à la guérison, mais il affirme que c’est la foi de cette femme qui l’a sauvé, qui l’a guéri. L’action de cette femme est caractérisée de façon positive.

    Une touche masculine

         La guérison de la fille de Jaïre passe aussi par le toucher et par la foi. Mais, cette fois, ce sont des hommes qui vont avoir foi et toucher. La foi est bien l’attitude de Jaïre qui va vers Jésus pour lui demander de guérir sa fille. Lui qui est chef d’une synagogue vient voir Jésus pour avoir son aide avec la confiance qu’il puisse redonner vie à sa fille mourante. Le toucher sera le geste de Jésus qui prend l’initiative mise en œuvre par la femme dans l’autre récit. En entrant dans la chambre de la fille, il lui prend la main et lui dit de se lever. Rappelons-nous qu’au début, son père avait justement demandé à Jésus de lui imposer les mains. Le toucher est important et s’avère un moyen efficace.

    Un chiffre symbolique

         Un détail commun aux deux récits est le chiffre douze. La femme vit avec une hémorragie depuis douze ans et la fille de Jaïre est âgée de douze ans. Ce chiffre n’est pas aléatoire. Dans la tradition biblique, il représente l’ensemble d’Israël qui était séparé en douze tribus. Ce détail donne une saveur juive à ces deux histoires. D’ailleurs, le cadre du récit précise dès le départ qu’on se retrouve du côté juif de la mer de Galilée. Puis, Jaïre est décrit comme le chef d’une synagogue. Avec tous ces indices, on peut même dire que les femmes qualifiées par le chiffre douze représentent symboliquement l’ensemble d’Israël. Leur guérison par Jésus n’est pas qu’un acte opéré sur deux individus, mais représente la guérison et le salut apporté par Jésus pour l’ensemble de son peuple.

    Ma fille

         Un détail insolite vient aussi relier les deux récits. Puisque la femme subit une hémorragie depuis douze ans, elle est certainement de l’âge adulte. Or, Jésus lui dit : Ma fille... Pourtant, ils ont probablement un âge similaire. Pourquoi ce terme? D’une part, en utilisant le même mot pour les deux personnages, Jésus donne à cette femme anonyme la même dignité que celle de la fille de Jaïre. Cette femme qui était isolée et exclue devient « fille ». Elle a maintenant quelqu’un, Jésus, qui s’occupe d’elle comme Jaïre qui s’occupe de sa fille. D’autre part, quelques chapitres plus tôt dans l’Évangile de Marc, Jésus avait affirmé que contrairement à sa famille biologique, ce sont ceux et celles qui font la volonté de Dieu qui forme sa vraie famille. La femme guérie qui a agi avec foi fait maintenant partie de la famille de Jésus. Il l’a fait sortir de son exclusion sociale et religieuse pour l’intégrer à la nouvelle famille de Jésus qui unit les croyants du même Père.

    Guérison et salut

         Un dernier élément commun est que la guérison de ces deux femmes est aussi présentée en termes de salut. Jaïre demande à Jésus de sauver sa fille (v. 23) et la femme sait que si elle le touche, elle sera sauvée (v. 28). Le verbe « sauver » dans le grec des évangiles indique la guérison, mais il va aussi plus loin. Pour la communauté chrétienne, le salut est une réalité plus grande que la guérison. Ces miracles peuvent être interprétés comme des signes du salut par la foi. Ultimement, les lecteurs et les lectrices de l’évangile peuvent aussi être sauvés par la foi au Christ. D’ailleurs, la lecture du récit de la fille de Jaïre indique aux lecteurs/lectrices que ce qu’on pense être la mort, lorsque le Seigneur vient, n’est plus la mort, mais un sommeil duquel nous pouvons nous réveiller. Bien sûr, le récit de la mort/résurrection de Jésus n’est pas encore raconté, mais la confiance de Jaïre dans l’éveil de sa fille est montrée en exemple pour que les lecteurs/lectrices puissent croire qu’ils pourront aussi un jour être ressuscités.


    Le client a toujours raison

         Au final, ce sandwich à la Marc peut être compris soit comme un récit autour de la réintégration à la société de deux femmes exclues, soit comme un récit au sujet de la guérison d’Israël, soit comme un récit pour montrer la puissance salvifique de Jésus qui a même le pouvoir sur la mort. Et vous, lecteur, lectrice de l’Évangile de Marc, laquelle de ces interprétations vous semble la plus importante pour ce passage? Quelle est la saveur dominante de ce sandwich sur votre palais?
     

    Sébastien Doane, bibliste

     Source : Le Feuillet biblique, no 2453. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

    source www.interbible.com

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