• Un visage africain pour l'Eglise au Ghana

    Un visage africain pour l'Eglise au Ghana
    Interview de l’archevêque de Accra

    http://www.camerounlink.net/newspics/44484b.gifROME, Dimanche 16 mai 2010 (ZENIT.org) - L'Eglise catholique du Ghana, qui a un peu plus de 125 ans, est en train d'opérer la transition entre une Eglise missionnaire et une Eglise véritablement ghanéenne, qui utilise les langues locales pour la Bible et le culte. Ce processus est déjà bien engagé, mais il reste encore de nombreux défis à affronter.

    Dans cette interview accordée à l'émission de télévision « Là où Dieu pleure » du Catholic Radio and Television Network (CRTN) en coopération avec l'Aide à l'Eglise en détresse (AED), Mgr Gabriel Palmer-Buckle, archevêque de Accra, au Ghana, considère les progrès réalisés et le travail qui reste à faire.

    Q : Votre Excellence, le refrain des missionnaires était : « L'Afrique doit être évangélisée par les Africains ». Est-ce le cas aujourd'hui, au Ghana ?

    Mgr Palmer-Buckle : En fait, c'est le pape Paul VI qui, un jour de 1969, lors de la création du Symposium des conférences épiscopales d'Afrique et de Madagascar, comme nous l'appelons, a déclaré : « Vous pouvez et devez avoir un christianisme africain ».

    Q : Et c'est ce qui se passe au Ghana ?

    Mgr Palmer-Buckle : En grande partie oui, tout à fait. Nous avons aujourd'hui 19 diocèses au Ghana, et tous les évêques sont ghanéens. Il y a, en effet, des diocèses au Ghana qui, depuis quatre générations, ont un évêque ghanéen. Le dernier évêque étranger a quitté les côtes du Ghana au début, je crois, des années 70.

    Q : Quelle a été l'importance de ces premiers missionnaires pour l'Eglise du Ghana ?

    Mgr Palmer-Buckle : Nous devons rendre grâces à Dieu pour eux. Les pères de la Société des missions africaines (SMA) ont commencé à œuvrer en 1880. Ils ont été les premiers à arriver dans le sud, à Elmina près de Cape Coast, sur la côte, et ont amorcé une évangélisation progressive le long de la côte, jusqu'au nord.

    Q : Au prix sans doute de grandes souffrances physiques... je veux dire par là, pour ces Européens qui débarquaient au Ghana, non ?

    Mgr Palmer-Buckle : Effectivement, le Ghana était alors appelé le « cimetière de l'homme blanc », car beaucoup mouraient du paludisme dans les six à huit semaines suivant leur arrivée dans le pays. Mais nous devons rendre grâces à Dieu pour leur ténacité, leur persévérance ... Les missionnaires continuaient à affluer. Les hommes sont venus, les femmes sont venues, les Sœurs de Notre-Dame des apôtres, la branche féminine de la SMA. Elles sont arrivées aussi en 1882 et ont accompagné les missionnaires, pour évangéliser progressivement le sud du pays. Au nord, il y avait les SMA qui, descendues à l'époque de Ouagadougou (Haute-Volta, actuellement le Burkina Faso), s'étaient établies en 1906 à Navrongo, pour commencer l'évangélisation de la partie nord et, petit à petit, descendre dans la région centrale du pays. Aujourd'hui, selon les statistiques du Ghana, il doit y avoir quelque 1 400 prêtres, dont environ un millier sont Ghanéens, natifs du pays.

    Q : Une bonne base donc ?

    Mgr Palmer-Buckle : Excellente. Nous avons environ 800 sœurs religieuses, dont la moitié ou plus sont ghanéennes. Nous avons quelque 600 frères religieux, dont plus de la moitié sont également ghanéens.

    Q : Il y a donc une grande espérance pour l'Eglise locale ?

    Mgr Palmer-Buckle : Oui, une très grande espérance, en fait beaucoup plus de défis du fait des gens ... le pays compte une population de quelque 22 millions d'habitants, dont un peu moins de 20% sont catholiques. Les protestants - anglicans, méthodistes, presbytériens, baptistes et autres - représentent environ 18% de la population, légèrement plus que les catholiques  ; les musulmans environ 16%, les pentecôtistes sont encore plus nombreux aujourd'hui. Or ils ne sont arrivés qu'en 1929.

    Q : Mais ils progressent très vite ?

    Mgr Palmer-Buckle : Très vite ; ils représentent aujourd'hui 24% de la population. Ainsi le Ghana peut se vanter de compter 68% de population chrétienne.

    Q : Le peuple ghanéen a un grand amour pour la Parole de Dieu. On sait que si quelqu'un vient au marché et se met à prêcher, tous s'arrêteront pour l'écouter parce qu'il s'agit de la Parole de Dieu. D'où leur vient cet amour pour la Parole de Dieu ?

    Mgr Palmer-Buckle : La Parole de Dieu, ils ne la prêchent pas seulement, vous la trouverez même sur les véhicules ; vous verrez écrit sur les voitures des versets de l'Exode 14 :14 ou Matthieu 7 :7 : « Demandez et vous recevrez », et les gens connaissent parfaitement les Ecritures. Je voudrais dire que nous devons beaucoup aux Eglises protestantes, et en particulier aux pentecôtistes, pour avoir contribué à renforcer l'amour de la Parole de Dieu, des Ecritures, de la Bible  ; mais j'ajoute aussi que nous œuvrons ensemble dans un cadre oecuménique. Par exemple : l'année dernière, quand le Ghana a célébré le 50e anniversaire de l'indépendance du pays, un des projets du Conseil chrétien et de la Conférence des évêques du Ghana avait pour objectif de distribuer un million de Bibles aux jeunes des écoles secondaires. Nous en avons déjà distribué environ 250 000 - pas seulement l'Eglise catholique, [mais] toute la famille chrétienne, et nous continuons à en distribuer d'autres, car les gens aiment lire les Ecritures. Ils aiment se référer à la Bible.

    Q : Le Ghana n'est pas que chrétien, il y a encore beaucoup de religions traditionnelles. Quelles sont les différentes expressions des religions traditionnelles présentes, aujourd'hui encore, dans le pays ?

    Mgr Palmer-Buckle : D'après notre dernier recensement, qui a eu lieu en l'an 2000, seulement 8% environ de la population adhèrent encore fermement à la religion traditionnelle.

    Q : La religion animiste ? De quel type de religion s'agit-il ?

    Mgr Palmer-Buckle : Bien, le mot « animisme » n'est guère plus utilisé, puisque animisme signifie croyance en des esprits. Nous croyons en l'Esprit Saint, mais sommes-nous animistes ? La différence est qu'ils croient que la forêt a un esprit, les eaux ont des esprits, les rochers ont des esprits ; vous savez, toute la création a un esprit, et ils vivent encore avec ces choses. Et ce que nous admirons en eux, c'est leur respect de la création, leur respect de l'écologie pour laquelle, malheureusement nous chrétiens n'avons qu'un intérêt mitigé, et c'est regrettable. Aussi, c'est un aspect sur lequel nous nous penchons maintenant : la protection de la Création, la préservation de l'environnement, que nous avons appris d'eux. Nous mettons l'accent sur cet aspect, et il semble y avoir une bonne résonance avec la religion traditionnelle.

    Une autre chose que nous devons leur reconnaître, c'est qu'ils ont maintenu notre structure de gouvernement et d'organisation traditionnelle : la plupart de nos chefs célèbrent des rituels, qui cadrent avec leur culture religieuse, et qu'il ont conservés. Ils ont préservé l'unité de la famille, le respect dans la famille entre père, mère, parents et enfants ; ils ont maintenu beaucoup de cela, et nous commençons à voir que le christianisme, à un moment donné, a mis davantage l'accent sur le salut individuel, et moins sur la perspective communautaire, sociale, de la communauté dans l'histoire du salut. Nous apprenons également cela d'eux, et nous nous concentrons sur cet aspect.

    Q : Devenir chrétien signifie parfois devoir abandonner un ou plusieurs de ces aspects traditionnels. Où et comment l'Eglise essaie-t-elle de trouver un équilibre sur ce point ?

    Mgr Palmer-Buckle : Nous avons dû admettre que, depuis plus ou moins 1880 jusqu'à Vatican II, la mentalité était que tout ce qui était traditionnel était païen, démoniaque, et n'était pas bien. Grâce à Vatican II, l'Eglise nous a permis d'apprécier les valeurs dans notre culture. Nous commençons maintenant à réaliser qu'il y a de nombreuses similitudes, par exemple, avec les rites de notre peuple. Je viens de Accra ; ils ont un rite qui consiste à porter le nouveau-né à l'extérieur pour l'exposer. Ils l'exposent le huitième jour...

    Q : Qu'est-ce que cela signifie ?

    Mgr Palmer-Buckle : Cela signifie lui donner un nom. On porte l'enfant à l'extérieur et on le présente à la communauté. On lui donne un nom, généralement celui de l'un ou l'autre ancêtre qui a mené une bonne vie, car on croit que l'ancêtre protègera l'enfant. Celui-ci devient ainsi la propriété non plus de son ou ses parents seulement, mais de la tribu tout entière, et la tribu assume la responsabilité de l'enfant. C'est un beau rite. En effet, j'ai fait ma thèse de doctorat sur ce thème, pour montrer la similitude avec notre baptême, par lequel un enfant naît à nouveau dans la famille de Dieu, et on lui donne alors le nom, qui l'identifie dans le christianisme.

    Q : Alors, le baptême est intégré dans le rituel traditionnel ?

    Mgr Palmer-Buckle : Dans beaucoup d'endroits, ils le font : le rituel traditionnel a lieu très tôt le matin, parce qu'il doit être célébré avant le lever du soleil, et ensuite on fait le baptême, dans l'après-midi du samedi.

    Q : Il y a des éléments de la religion traditionnelle que l'Eglise doit corriger, comme la polygamie. Quelle est l'attitude de l'Eglise par rapport aux coutumes locales et traditionnelles dans ces cas ?

    Mgr Palmer-Buckle : Pas seulement la polygamie, nous avons aussi des rites très violents liés au veuvage et autres que nous essayons de traiter...

    Q : Pourriez-vous nous donner des exemples ?

    Mgr Palmer-Buckle : Quand le mari mourait, sa femme était maltraitée, et soumise parfois à des formes de cruauté, chassée même de sa maison dans certains cas...

    Q : Parce qu'on pensait que, d'une façon ou d'une autre, elle était responsable de la mort de son mari ?

    Mgr Palmer-Buckle : Dans certains cas, effectivement, on le pensait, par ignorance ; d'autres fois, il s'agissait d'une sorte de thérapie de choc pour aider la femme à surmonter la douleur de perdre son mari. Il y a là des aspects très positifs et d'autres négatifs - du fait de la faiblesse humaine, les aspects négatifs ont éclipsé parfois les positifs, dans la polygamie par exemple. Quand un homme a été marié à deux ou trois femmes et a des enfants, ils travaillent tous à la ferme avec lui. Ils ont acquis le bien ensemble. Les enfants font plus ou moins partie de la main d'œuvre. Or, la difficulté du christianisme est de devoir dire à l'homme : chasse deux de tes femmes, chasse tes enfants...

    Q : Que faire ?

    Mgr Palmer-Buckle : Que faire ? Peut-être ce que fit Abraham, dans le Livre de la Genèse, qui chassa Hagar et son fils Ismaël. Si on regarde en arrière aujourd'hui, force est d'admettre que certains des problèmes actuels remontent à ceux qui ont leur origine en Isaac et en Ismaël. C'est très triste. Nous dans l'Eglise, nous savons comment traiter ce genre de situation particulière.

    Q : Concrètement, un homme vient vous trouver : « Je veux devenir chrétien, Je veux devenir baptiste, je suis dans une situation de polygamie, j'ai quatre femmes ». Quelle est la réponse de l'Eglise dans ce genre de situation ?

    Mgr Palmer-Buckle : Officiellement, nous disons ce que dit l'Eglise : un homme, une femme. Normalement, nous conseillons à l'homme de choisir la femme la plus âgée, celle avec qui il est. Mais nous essayons de les aider à prendre soin des enfants et des femmes, sans nécessairement faire valoir ce que nous appelons les devoirs conjugaux qui offensent la moralité chrétienne, dans l'adultère etc. Dans certains cas, la progéniture de ces femmes, et l'homme lui-même, ont reproché à l'Eglise d'avoir ruiné leur système familial, car dans de nombreux endroits, ils cohabitaient pacifiquement : les enfants identifiaient les trois femmes comme étant leurs mères  ; en l'absence de leur père, les femmes s'occupaient de tous les enfants. Une situation idéale, naturellement. Mais d'autres situations étaient tout sauf idéales, avec beaucoup de rivalités entre les mères et leurs enfants, et cela créait beaucoup de souffrance.

    Aussi, ce que nous essayons de faire, c'est de les accompagner dans leur croissance. Une fois qu'ils ont accepté le Christ, vous devez les accompagner pour qu'ils grandissent dans leur foi, et à mesure qu'ils grandissent dans la connaissance de leur foi, par la grâce de Dieu, ceux qui ont été baptisés renoncent à ce que nous appelons les résidus condamnables du péché, par exemple, de la polygamie ou des rites de veuvage ou autres, qui ne sont peut-être pas conformes à leur foi catholique ou chrétienne.

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    Propos recueillis par Mark Riedemann, pour l'émission télévisée « La où Dieu pleure », conduite par la Catholic Radio and Television Network (CRTN), en collaboration avec l'association Aide à l'Eglise en Détresse (AED).

    Sur le Net :

    - Aide à l'Eglise en détresse France  
    www.aed-france.org

    - Aide à l'Eglise en détresse Belgique

    www.kerkinnood.be

    - Aide à l'Eglise en détresse Canada  
    www.acn-aed-ca.org

    - Aide à l'Eglise en détresse Suisse 
    www.aide-eglise-en-detresse.ch


    Source www.zenit.org


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