• Y-A-T-IL UNE VIE AVANT LA MORT ? art 55 - Suzanne

    Y-A-T-IL UNE VIE AVANT LA MORT ?[1]

     

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    (image: lapoesiedemarie.com)

    Maurice Zundel a été particulièrement sensible à la difficulté, voire l’incapacité de la majorité des humains à être « vivants avant la mort ». Comme il l’a noté, « la plupart des vies, malheureusement, sont des cadavres d’humanité. […] La plupart des hommes meurent avant de vivre. Et c’est cela précisément la vraie mort : celle qui se situe avant la mort dans cette identification passive avec la biologie. […] Nous existons très rarement. Le plus souvent, nous sommes en attente, en capacité d’existence : nous n’existons pas ».

    L’enfer.

    Cette carence de vie avant la mort n’affecte pas que les miséreux, elle frappe tout autant les nantis comme en a témoigné Fritz Zorn dans son livre Mars. « Il a été élevé dans un enfer douillet, très calme et lisse – l’enfer d’une bourgeoisie qui s’ingénie à esquiver toute question, à nier avec une égale opiniâtreté les drames, la souffrance, les désirs, la vie même, à éluder le présent, à tuer le temps de bout en bout en attendant une mort discrète, bienséante. L’enfer d’une exclusion de luxe, aux antipodes de celle des indigents mais finalement aussi funeste, qui consiste à s’exclure de tout et à s’en glorifier. L’enfer d’un mépris très raffiné de la vie, l’enfer du mensonge ».

    Or, le mensonge engendre sournoisement le malheur, il secrète des « larmes rentrées » qui finissent par se condenser en tumeur maligne. « La faculté d’être heureux est détruite en moi.[…] Je ne peux pas rire parce que ça ne rit pas en moi. […] ça ne rit pas, tout simplement, ça reste mort. »

    « ça » ?

    La pensée, le désir, les sentiments, l’amour, la sexualité etc. Tout cela est en friche, passé sous silence, tenu au cachot

    « ça » ?

    La vie, considérée comme suspecte, grossière, importune au plus petit sursaut. Et Dieu, bien sûr, n’échappe pas à ce grand mépris, lui aussi est chose encombrante et la foi considérée comme ridicule. En un mot, on répugne autant à la vie terrestre qu’à la vie éternelle, à tout ce qui invite à sortir de soi, à se risquer dans l’inconnu. Monde frileux qui ne traverse l’épreuve du temps qu’en s’accrochant comme à des béquilles, à la rigidité de ses certitudes.

    Béquilles de l’alcool ou de la drogue pour les marginaux, les désespérés et les révoltés ; béquilles dorées des convenances et des préjugés pour les fortunés ; béquilles du jeu, de la télévision, du divertissement en tout genre pour les passifs ordinaires. La panoplie des cannes et des prothèses est variée, l’art de la fuite est multiple, chacun choisit sa défense selon ses moyens contre la peur, l’ennui ou le dégoût que la vie lui inspire.

    Pour Zundel aussi, la grande question n’est pas celle de savoir s’il y a une vie après la mort, mais si nous sommes, serons, aurons été vivants avant la mort. L’urgence est là, maintenant, à chaque instant ; le souci de vivre se forge à chaque aujourd’hui, la vie ne doit pas être ajournée, repoussée dans quelque au-delà de consolation – le véritable au-delà se situant d’ailleurs au-dedans, au plus intime de la personne humaine. Et de même, l’ « en-deça » se trouve au-dedans de chacun, l’enfer aussi est une intimité – « Il est en nous, écrit Zundel, quand Dieu n’est plus en nous. […] L’enfer, c’est l’échec de Dieu en nous. » C’est l’échec de toute altérité en nous, par voie d’écrasement, ou par voie d’absence.

    Nous vivons tous sous l’emprise de forces venues de l’extérieur, entre passivité et remous passionnels et souvent dans le refus de toute véritable altérité et en premier, l’altérité par excellence : celle du Tout-Autre, de Dieu.

     L’enfer, il est en nous, quand Dieu n’y est pas. 

    L’enfer, c’est quant le Seigneur n’est plus en nous, qu’il n’a plus accès à notre conscience, à nos pensées, à notre cœur que sous une forme négative où se mélangent en un poison confus la méfiance, le ressentiment, la hargne, la douleur et le dégoût ; c’est quand toute dimension d’altérité est perdue – tant celle de Dieu que celle des autres, mes semblables, mes « prochains » devenus terriblement lointains, étrangers et même hostiles.

    L’enfer c’est quand il n’y a plus que « moi », un moi solitaire, indifférent, révolté, stérile, en totale déshérence. L’enfer, c’est quand il n’y a plus personne, ni autour de soi, ni au-dessus de soi, ni à l’intérieur de soi. Personne. Trou noir qui absorbe toute la lumière.

    L’enfer, c’est un goût de mort avant la mort, une privation de vie dans le courant de la vie même. Cela touche aussi bien les « fous d’exclusion » que les gens ordinaires et les favorisés, d’une manière plus sournoise, c’est-à-dire quand ils sont évidés d’amour, qu’ils ont fourvoyé leurs désirs en envies, en caprices, qu’ils sont repus de divertissements, de rancoeur, et finalement d’ennui.

    L’enfer, c’est le refus de l’offre de délivrance déposée au seuil de notre finitude.

    C’est le refus de la lumière dans l’opacité du moi. C’est le refus de la liberté. Mais cette liberté-là, tout intérieure, exige un travail de renoncement, de dépouillement, de silence et d’oblation qui effraie. La grande liberté fait peur. Le travail de délivrance est dérangeant, car il demande un surcroît d’effort dans nos vies déjà bien suffisamment mises à l’épreuve. Nous préférons nous bricoler des radeaux de sauvetage aux heures de grande tourmente. Quant aux multiples liens, nœuds et poids qui nous entravent et nous retiennent au creux de nos petits enfers, à force d’habitude et de soins dispensés pour les rendre à peu près supportables, ils deviennent tellement douillets que nous ne voulons plus les déranger.

    Il y a une vie possible avant la mort.

    La vie d’après, c’est sur cette terre, au fil des jours, qu’elle s’engendre.

    C’est alors que Dieu dit à Abraham « Lève les yeux, et, du lieu où tu es, regarde au nord, au sud, à l’est et à l’ouest : Tout le pays est à toi » (G, 13. 14) 

    Le Seigneur dit à Abraham : « Regarde vers le ciel et compte les étoiles si tu peux les compter … Telle sera ta postérité. » (Gn 15. 5)

    Il ne nous est  pas demandé de recouvrir les difficultés, de les ignorer ou de les fuir mais de tourner notre regard vers Celui qui est au-dessus de toutes circonstances et qui Lui, a d’autres ressources. Dieu nous encourage à ne pas nous laisser emprisonner par nos problèmes ni à renoncer en disant : « Je ne m’en sortirai jamais ». En fait le Seigneur nous demande, dans un acte de foi, de toujours regarder vers Lui et dans la direction qu’Il nous indique car le meilleur vient de Lui.

     

    Suzanne Giuseppi Testut  -  ofs



    [1] D’après le livre Les Naufragés de Patrick Declerck, consacré aux clochards de Paris.

     

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