Eklablog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Header cover

Josué commandant au soleil.
John Martin, 1816. Huile sur toile, 150 x 231 cm. Galerie nationale
des Arts, Washington (Wikimedia). Josué ou Copernic ?
Erwan ChautyErwan Chauty | 9 décembre 2024

Un verset du livre de Josué a fait couler beaucoup d’encre, contribuant aux conflits entre foi et science, jusqu’à d’inattendus retournements récents. Alors que Josué, successeur de Moïse, guide le peuple de retour en Canaan après la traversée du Jourdain (Jos 3–4), son alliance avec Gabaon affronte une coalition de cinq rois amorites. Israël est favorisé par un miracle inattendu, dans cette bataille où Yhwh a annoncé d’avance la victoire :

Alors Josué dit en présence d’Israël : « Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Lune, sur la vallée d’Ayyalôn! » Et le Soleil s’arrêta et la Lune s’immobilisa jusqu’à ce que la nation se fût vengée de ses ennemis. […] Le Soleil s’immobilisa au milieu des cieux et il ne se hâta pas de se coucher pendant près d’un jour entier. Ni avant ni après, il n’y eut de jour comparable à ce jour où Yhwh obéit à un homme, car Yhwh combattait pour Israël. (Jos 10, 12-14 – TOB)

Ce verset va être mobilisé dans le débat sur l’héliocentrisme. Les travaux de Nicolas Copernic, publiés l’année de sa mort en 1543, révolutionnent l’observation et le calcul du mouvement des astres : au lieu de chercher à modéliser des mouvements circulaires centrés sur la Terre (géocentrisme), il considère la Terre et les autres astres en rotation autour du Soleil (héliocentrisme). Cette découverte avant tout astronomique remet en cause la compréhension de l’être humain, délogé de sa place centrale dans l’univers.

On attribue à Martin Luther un « propos de table » par lequel il serait le premier à s’être appuyé sur Josué pour contredire Copernic. Apprenant en 1539 qu’un astronome proposait que la Terre fût en mouvement autour du Soleil immobile, il aurait opposé l’argument biblique : « moi, je crois dans l’Écriture sainte, car Josué a ordonné de se tenir en repos au Soleil, et non pas à la Terre [1]. »

Le même argument sera repris par les catholiques, notamment par Nicolas Serarius en 1610, pour qui la théorie de Copernic est hérétique : « Car l’Écriture attribue toujours le repos à la Terre, et le mouvement au Soleil et à la Lune : de sorte que quand ces astres s’arrêtent, on comprend que cela se fait en vertu d’un grand miracle [2]. » — allusion claire à Jos 10,12-14.

Rendons justice à ces débats : l’opposition n’est pas entre la foi et la science, mais entre des paradigmes différents dont les ressorts sont proches. Pour Copernic comme pour ses opposants, il s’agit de construire une théorie du mouvement des planètes, conforme à une pensée rationnelle, et que l’expérimentation puisse raisonnablement confirmer. Mais les moyens d’observation sont imprécis ; les théories mathématiques comme les techniques de calcul sont insuffisantes ; tous attribuent encore aux astres des mouvements circulaires, alors que Kepler établira un siècle plus tard leur forme elliptique. Et il faudra attendre la découverte par Isaac Newton de la gravitation universelle pour disposer d’un principe expliquant ces mouvements.

Ce débat pourrait être clos depuis longtemps : la critique historique a définitivement interdit toute lecture historicisante du livre de Josué, et l’héliocentrisme n’est pas remis en cause pour notre système solaire. Mais les progrès de l’astronomie comme de la philologie biblique ont produit récemment un résultat étonnant : Vainstub, Yizhaq et Avner ont proposé en 2020 d’interpréter Josué 10 comme témoignage d’une éclipse solaire, et en ont même proposé une date [3] !

Cette piste d’interprétation est apparue dès la fin du XIXe siècle : au lieu de traduire le verbe rare dôm, que Josué adresse au Soleil (10,12), par « arrête-toi », on l’a comparé à l’akkadien dāmu, « obscurité ». On a depuis découvert des textes d’astronomie en akkadien, dans lesquels cette racine décrit une obscurité survenant en même temps qu’une illumination. Quant au verbe ‘md au verset 13, souvent traduit par « s’immobiliser », ces textes l’emploient pour la conjonction de deux corps célestes.

L’ensembles des remarques textuelles permet de proposer que le texte hébreu de Jos 10 ne parle pas d’un arrêt du Soleil et de la Lune, mais d’une « éclipse annulaire » : dans un alignement parfait du Soleil, de la Lune et de la Terre, lorsque la taille apparente de la Lune est inférieure à celle du Soleil, apparaît un anneau de lumière autour d’un disque sombre. Ces trois auteurs reprennent alors un tableau de la NASA, qui a calculé les positions et dates de toutes les éclipses depuis quelques milliers d’années grâce aux moyens modernes d’observation et de calcul. Ils retiennent une éclipse annulaire, précisément sur Gabaon, le 30 octobre 1207 av. J.-C ! Il ne faudrait pas y voir, bien sûr, la datation concordiste du récit de Josué 10, mais l’événement astronomique ayant donné lieu aux traditions textuelles finalement sédimentées dans le livre de Josué.

Erwan Chauty SJ est professeur d’exégèse biblique aux Facultés Loyola Paris (anciennement Centre Sèvres).

[1] Cité par M.-P. Lerner dans F. Beretta dir., Galilée en procès, Galilée réhabilité, Éditions Saint-Augustin, Saint-Maurice, 2005, p. 20.
[2] Ibid., p. 31.
[3] D. Vainstub, H. Yizhaq et U. Avner, « The Miracle of the Sun and Moon in Joshua 10 as a Solar Eclipse », Vetus Testamentum 70/4-5 (2020), pp. 722-751.

Source https://interbible.org/

Les plus récents

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article