Gabriel-Mathieu Lacerte est le second plus jeune frère Franciscain au Canada. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)
|12 août 2023
À 40 ans, Gabriel-Mathieu Lacerte est probablement l’un des plus jeunes Franciscains au Canada. Le second plus jeune, en réalité. Natif de Trois-Rivières, rien ne le destinait nécessairement à devenir frère, sinon cette forte volonté qu’il a toujours eue d’aider les autres, de travailler avec ceux qui sont dans la rue, qui en arrachent.
Avant d’avoir l’appel de cet engagement ultime, cependant, il a roulé sa bosse un peu partout. Magasinier chez Marmen, puis étudiant en cuisine à Bel-Avenir, avant de travailler dans plusieurs hôtels et restaurants de Montréal, et même au club de golf de Céline Dion. Au tournant des années 2010, il est revenu en Mauricie faire la cuisine pour les résidents du CHSLD Louis-Denoncourt, là où il eût une rencontre marquante dans sa vie, avec le prêtre missionnaire Claude Lacaille, qui agissait comme accompagnateur spirituel dans l’établissement.
En dehors de son engagement religieux, Gabriel-Mathieu Lacerte oeuvre aussi comme travailleur social à Montréal. (Stéphane Lessard/Le Nouvelliste)
«Quand j’étais jeune, j’étais zéro religion, zéro messe. Mais pour moi, l’image du prêtre ou du frère demeurait quand même l’image ultime du don de soi», raconte celui qui, cette année-là, après s’être séparé de sa copine de l’époque, a fait son entrée au Grand Séminaire de Québec. À peine quelque temps avant que l’on procède à l’ouverture de la Porte Sainte de Notre-Dame-de-Québec. Un autre moment marquant pour lui, mais pas pour les mêmes raisons.
«Je me souviens qu’il y avait l’un des célébrants ce jour-là, dans ses grands habits et qui s’agenouillait sur des coussins de satin et de tissus de grand luxe. Je n’en revenais pas de tout le fla-fla, ça ne me rejoignait pas du tout. Un peu plus loin, il y avait un Capucin, dans des habits très modestes. Ça me parlait plus que l’apparat», considère celui qui a finalement fait le choix d’entrer en communauté.
Mais hors de question d’opter pour une communauté cloîtrée, Gabriel-Mathieu avait besoin de donner un sens à tout ça. Pour lui, ce sens, il existe seulement en pouvant être avec les autres, en travaillant à aider ceux qui en ont le plus besoin. C’est ce qu’il a trouvé chez les Franciscains, où on lui a toujours permis de pousser plus loin ses études et de s’engager dans une carrière qui répondrait à ses valeurs. Le parfait équilibre entre la foi et l’engagement social.
Un engagement qui n’a pas été sans causer une certaine surprise chez ses proches et ses amis, mais sans jamais que personne ne vienne se mettre en travers de cette voie qui s’ouvrait à lui.
«Les gens qui me connaissent savent que j’ai toujours voulu m’engager pour les autres, donner aux autres. Oui, peut-être qu’il y a un petit côté radical là-dedans, mais ça a toujours eu du sens pour moi»
— Gabriel-Mathieu Lacerte
C’est à Edmonton qu’il a complété son baccalauréat en travail social, et y a travaillé quelque temps avant de revenir à Montréal il y a quelques mois. Oeuvrant comme travailleur social dans les Centres jeunesse auprès des adolescents vivant de la dépression, de l’anxiété et des troubles alimentaires, il a depuis peu fait son entrée aussi auprès des clientèles adultes en santé mentale en suivi intensif dans leur milieu.
Dans son travail, il n’est pas rare qu’il ait à distribuer des condoms, des seringues ou des pipes à crack. Tout pour alimenter cette image si contradictoire avec l’Église, et pourtant tellement ancrée dans la société de 2023.
«J’ai conscience que je dégage une image plus jeune, plus extravagante. Sur le terrain, je le constate chaque jour que, surtout chez les jeunes, il y a une quête de sens. Beaucoup d’entre eux vont s’identifier à des influenceurs par exemple, à un moment de leur vie où ils cherchent qui ils sont, où ils développent leurs intérêts et leurs valeurs. Moi, j’en vois de plus en plus qui viennent aussi à nos célébrations, qui s’intéressent à la foi», constate le frère qui dit porter une plus grande importance aux valeurs enseignées par la bible qu’aux bâtiments représentant l’Église.
«Si on devait célébrer dans un parc ou au fond d’une ruelle, ce serait la même chose pour moi. Je ne suis pas attaché à la bâtisse, mais bien au culte et aux sacrements», croit celui qui, en entrant chez les Franciscains à l’âge de 30 ans, a fait voeu de pauvreté, d’obéissance et de chasteté.
Ainsi, tout son salaire gagné comme travailleur social est reversé à la communauté. Il n’a pas de carte de crédit, pas de compte en banque à son nom. La communauté se charge de subvenir à ses besoins. Pour lui, c’est une véritable liberté qu’apporte ce détachement aux choses matérielles. «Si, demain, mon emploi ne répond plus à mes aspirations, je vais changer de travail et c’est tout. Je ne suis pas attaché à un salaire, à un fonds de pension par exemple. J’ai la liberté de pouvoir faire ce qui a de la valeur et du sens pour moi. Ma vie de prière est très influencée par mon engagement social. Ces gens avec qui je travaille, ils nourrissent ma prière», explique celui qui rappelle à quel point les Franciscains prônent les études. Il entamera d’ailleurs une maîtrise en travail social à l’Université McGill au cours des prochaines semaines.
Impossible de passer à côté de tous ces scandales qui ont éclaboussé l’Église catholique au cours des dernières années, allant des abus de personnes mineures aux pensionnats autochtones. Gabriel-Mathieu ne refera pas l’histoire à lui tout seul, et ne voit pas dans son engagement une nécessaire réparation, mais croit qu’à sa mesure, il peut amener le bien.
«J’ai toujours fait appel à la dénonciation, peu importe qui a commis le geste. Jamais je ne protégerais quelqu’un qui commet un abus. Mon engagement va au-delà des fautes du passé. Elles ne m’empêcheront pas non plus de me mettre au service des gens. C’est à moi de démontrer qu’on peut bien agir»
— Gabriel-Mathieu Lacerte
Sur sa page Facebook, il faisait cette semaine un clin d’oeil à Sinéad O’Connor, la chanteuse irlandaise récemment décédée, en la remerciant d’avoir été l’une des premières à dénoncer les abus commis par certains prêtres. Sans compter une petite blague de Chuck Norris, et une photo de profil de son dernier voyage entre amis au baseball à Toronto. Parce que la vie ne s’arrête pas qu’à la prière et au chapelet.
Pour lui, tout est une question d’équilibre, et de sens.
Voilà pourquoi il s’est présenté, il y a quelques mois, à une rencontre œcuménique qui visait à mieux accueillir les personnes de la communauté LGBTQ+ dans les célébrations au sein de l’Église. Une ouverture qui répond à ses valeurs profondes, mais qui, selon lui, fait aussi écho à l’un des principaux messages de la bible: aimez-vous les uns les autres.
Un message à véhiculer sans retenue. Toutefois, il faudrait se retenir de mêler État et politique, martèle Gabriel-Mathieu, qui est pour une séparation complète de la politique et de la religion. «C’est le seul moyen d’éviter des dérives, d’éviter d’en arriver à l’imposition de lois radicales, comme on peut en voir trop souvent», se contentera-t-il de dire.
Entre sa bure de Franciscain et sa casquette des Padres, difficile de demeurer insensible à la qualité de ses propos, mais aussi à cette image rafraîchissante de jeunesse et d’ouverture qu’il souhaite apporter à l’Église. Là où il passe, il fait du bi
Paule Vermot-Desroches est journaliste au Nouvelliste depuis 2001. Elle agit à titre de chroniqueuse d'actualités depuis 2020.
Source https://www.lenouvelliste.ca/
----------------------------------