De la Sainteté
Nous allons bientôt célébrer la Toussaint, la fête de tous les saints, célébration instituée par l’Eglise catholique au VIIe siècle pour honorer ses martyrs. Chaque jour, dans la liturgie de l’Eglise, un saint est célébré. Souvent, sa vie et son témoignage nous sont résumés en quelques lignes en introduction aux lectures du jour dans les missels. La vie de ces saints constitue une véritable catéchèse pour les fidèles. Ces hommes et ces femmes nous sont proches par leur cheminement qui souvent ne fut pas simple ni exempt d’épreuves. Ils témoignent en leur vie en Christ, de l’amour de Dieu pour toute ses créatures.
Selon nos besoins ou l’écho qu’ils trouvent en nos cœurs, nous nous attachons à certains d’entre eux plus qu’à d’autres. Nous les prions, et nous leur demandons d’intercéder pour nous auprès du Père, auprès du Christ. Souvent nous prions tel ou tel saint selon la cause à laquelle il est associé. Pour exemple, on se tourne vers sainte Rita pour les causes désespérées, saint Antoine de Padoue pour retrouver des objets perdus, Sainte Cécile pour les maladies des yeux…. Par la suite, l’Eglise, pour honorer la mémoire des fidèles défunts, a choisi tout naturellement la date du 2 Novembre afin d’accorder un bénéfice général de prières à ceux, parmi ces défunts qui n’en avaient pas.
Cette pratique n’a rien de suspect ou d’incongrue. Le dogme dela communion des saints, établi au concile de Nicée-Constantinople, enseigne en effet dans le Credo, qu’il y a une solidarité entre les morts et les vivants. Cette communion se vit au plus près dans l’eucharistie qui rassemble chaque fidèle par l’Esprit saint en un seul corps. Un corps vivant, corps mystique du Christ, qui bien que composé à la fois de saints et de pécheurs est tout entier saint par la grâce du baptême. Une sainteté donc effective mais à acquérir.
Mais qu’est-ce que la sainteté ?
Durant des siècles, il nous a été dit, dans le monde religieux aussi bien que laïc, que seul est saint, celui qui est parfait : seul l’homme paré de toutes les vertus est saint. Challenge si impossible à relever que beaucoup l’ont laissé être le lot d’âmes singulières, particulièrement élevées. Quantaux téméraires qui ont exprimé le désir et l’ambition de s’y essayer, on les a souvent raillés en les traitant au mieux de fou, au pire d’orgueilleux.
Il n’en est pas de même aujourd’hui. Depuis Vatican II, voici ce que l’Eglise nous dit de la sainteté :
« Elle caractérise en premier la nature de Dieu et par extension l’état de vie de ceux qui par leur exemple et leur union au Christ sont des modèles pour les autres. La sainteté c’est union au Christ à laquelle tous les baptisés sont appelés. C’est la charité vécue pleinement, c’est-à-dire l’amour de Dieu par-dessus toute chose et l’amour du prochain. Elle est un caractère essentiel de ceux qui veulent être des témoins de Dieu aujourd’hui. L’appel universel à la sainteté fut rappelé par le Concile Vatican II (Lumen gentium 40) »
Quand dit la Bible, à savoir la Torah « le Pentateuque ». Qu’en disent les fils d’Israël, ceux que l’Eglise nomme « frère aîné dans la foi ».
Il est écrit dans le livre du Lévitique : « Soyez saints, car Je suis saint, moi, l’Eternel votre Dieu. »(Lv 19,2). Injonction qui fut clairement adressée par Dieu à tout un chacun : homme, femme, enfant, sans acception de personne. Dans le judaïsme être « saint » ce n’est pas être « parfait » tam, en hébreu ni « vertueux ou juste » tsadiq en hébreu. C’est être qadosh seul mot qui signifie « saint » en hébreu.
Dans la Bible, Dieu, Israël à savoir le peuple et la terre, le coh en sont qualifiés de qadosh, saints. Par cette injonction : « soyez saint ! » chacun d’entre nous est invité, c’est-à-dire qu’il le peut, ce n’est pas réservé à une élite, à le devenir.
Le mot qadosh a plusieurs sens : « sanctifier », « consacrer », « séparer ».
Séparer : pour quoi faire ?
Tout simplement pour une « mise à part », « une mise à distance » de la communauté des hommes, non pas pour s’en exclure, la négliger ou la mépriser mais pour mieux revenir à elle, après avoir rencontré dans la solitude, le silence et la prière, celui qui habite au milieu de nous, dans l’intime de notre intime. Une « mise à part », pour révéler l’étincelle divine unique que Dieu a mise en moi qui fait de moi un être unique : cette couleur, cette forme, cette vibration, cette note singulière. Je me dois dela dévoiler, de la déployer pour l’offrir à mes frères et sœurs en humanité, car elle est une facette de Son amour, un de Ses visages à incarner en mon visage, dans ce monde.
Il s’agit de délivrer de sa gaine le « je serai » qui vit au dedans de moi ; le « Je serai qui Je serai », Son Nom, en devenir en chacun de nous, à advenir, à mettre au monde, christ-messie, en nous : c'est cela la sainteté.
« Je serai » est un des noms que Dieu a donné à Moïse au buisson ardent.( Exode3,14).
C’est ainsi qu’ont procédé ceux que l’on appelle des saints. Ce n’étaient pas des êtres parfais mais des hommes et des femmes qui ont tous dévoilé, mus par un fervent amour de Dieu, cet unique qui vivait en eux, défrichant dans la jungle de leur histoire personnelle, creusant dans leurs blessures et leurs manques, des voies nouvelles pour adorer et aimer celui qui est tout amour, construisant pour eux et pour leurs frères en humanité, ces sentiers, ces chemins qui conduisent tout droit au cœur de la Très Sainte Trinité. Voies devenues des feux lumineux clignotant sur la route de nos vies pour orienter et soutenir ici-bas, le pèlerin en marche que nous sommes.
Quelle est ma sainteté ? Ma façon unique de percevoir la Trinité Une, le monde, l’autre et de l’aimer ?
Le Christ fut reconnu par ceux qu’on nomme « les disciples d’Emmaüs » à la fraction du pain. Il avait une manière qui n’appartenait qu’à lui de rompre le pain, et quel qu’ait été le visage qu’il pouvait emprunter, c’est à cela qu’on savait que c’était lui et pas un autre.
De la même manière quand un être cher nous quitte, ce dont on se souvient ce n’est pas tant ce qu’il disait mais la manière unique qu’il avait de s’assoir, de tenir sa tasse de thé, de marcher, de poser sa main sur notre épaule, ou tout autre attitude.
Sanctifier : c’est quoi ? C’est « Sanctifier Son Nom », le mettre à part, l’exalter, lui donner du « poids », kavod , en hébreu, mot qui signifie aussi « honorer ». Donner du poids à Dieu, c’est le faire exister dans le monde par nos actions, nos louanges : témoigner de Sa présence en étant canal de cette présence. C’est ainsi que dans le même temps, on se sanctifie :"Soyez saints car je suis Saint moi l’Éternel votre Dieu" (Lv 19).
Consacrer : comment ? Ce mot signifie : « se donner », « se vouer à ». La plus belle consécration n’est-ce pas celle des noces ? Le « mariage » se dit qidouchim, en hébreu, même racine que le mot qadosh. L’être humain a une vocation d’épouse, il est convié, qu’il soit homme qu’il soit femme, aux noces mystiques divines. Dieu est saint, Il est même trois fois saint nous dit le prophète Isaïe. C’est Sa nature. Comme il y a une nature minérale, végétale, animale, humaine, il y a une nature divine et nous savons que seules les créatures de même nature peuvent s'unir, c'est pourquoi, Il nous demande de changer notre nature pour que cette union soit possible.
Elisabeth Smadja