Septembre - Octobre
Commentaire franciscain
L’avenir des fragiles
Le Chapitre 23 de la Première Règle est avec la Lettre à tous les fidèles un texte central pour comprendre le fond de la démarche spirituelle proposée par le mouvement franciscain sous la conduite de François et des premiers frères. Il s’agit d’un programme qui concerne le développement de la vocation de toute personne à la communion avec le Dieu d’amour qui est venu participer à notre histoire pour la conduire à son achèvement bienheureux. L’horizon de ce texte baigne dans la lumière de l’espérance plus que jamais nécessaire pour mobiliser nos énergies et nous ouvrir à l’épanouissement de notre vocation divine au coeur même de l’expérience que nous pouvons faire de la fragilité de notre condition humaine.
La fragilité est comme la teinte de notre contingence : nous expérimentons en effet que nous ne sommes pas la source de notre être, que nous sommes là par décision de ceux qui nous ont ouverts à l’existence et que notre vouloir-vivre est insuffisant à nous assurer d’un avenir qui reste toujours hypothétique compte tenu de l’horizon de nos vies, à première vue limité par une fin programmée et inéluctable. Nous savons que nous avons commencé et que nous sommes appelés à finir selon notre condition naturelle. Comment au coeur d’une telle expérience ne pas se demander quel sens peut bien avoir le temps qui nous est imparti au travers de notre insertion dans le vaste monde qui nous entoure et dont nous faisons partie.
Dès le début de ce chapitre final de la Première Règle, nous sommes surpris par la tonalité du message porté par le groupe fraternel constitué autour de François pour se laisser façonner par une authentique réponse à l’amour bienveillant de Dieu. Cela tient au regard de foi, d’espérance et de charité qui soutient leur récapitulation du dessein de Dieu à l’oeuvre dans l’histoire de notre monde. C’est la grandiose et unique histoire de l’humanité qui est développée et récapitulée en diverses actions de grâce rendues à celui qui nous a appelés à l’existence pour partager sa vie d’amour, qui est resté fidèle à son amour malgré notre choix de nous éloigner de lui, et qui est même venu à notre rencontre en partageant notre vie, pour nous offrir de participer pour toujours à la sienne, nous ouvrant ainsi le chemin d’un accomplissement effectif et durable.
C’est un manteau d’amour qui nous est offert pour affronter les intempéries et les aléas de nos existences fragiles et agitées. La prégnance scripturaire de cette vision nous montre que les Frères mettent en oeuvre ce que François a, dans la Première Admonition, rappelé comme chemin d’accès au mystère de la vie divine : voir l’humanité de Jésus et par la foi, reconnaître en lui le Fils bien-aimé du Père. La porte d’entrée est celle de l’accueil du mystère à la fois proche et inaccessible si la foi ne nous fait pas aller de ce qui est vu et perçu à ce qui est cru parce qu’offert dans la présence cachée de Dieu en son Fils inséré dans notre humanité. La contemplation de la vie de Jésus, portée par la lecture assidue de
l’Evangile, conduit à prendre conscience de l’essentiel : une vie d’homme peut être l’expression limitée mais pertinente d’une vie authentique de Fils de Dieu. Le chemin ne sera donc pas de quitter notre humanité, mais de l’habiter en plénitude en l’accueillant comme le lieu de notre divin enfantement rendu possible par notre communion au mystère du Christ.
Les versets 10 et 11 de ce chapitre 23 dessinent le profil d’une existence pleinement chrétienne, parce que reprenant en chacun de nous l’accomplissement du dessein divin qui est de faire partager le bonheur de sa vie divine à tous ceux qu’il appelle à l’existence. Ils nous proposent une totale réorientation. Compte tenu de notre fragilité, de nos indécisions et de nos tergiversations, il importe de clarifier l’intention mobilisatrice nécessaire à l’accomplissement de nos vies : que rien nous arrête, que rien ne nous sépare, que rien ne s’interpose, voilà le chemin pour suivre Jésus dans l’offrande totale de lui-même au Père et à ses frères. La suite de Jésus suppose de ne rien garder pour soi afin que nous reçoive tout entier celui qui s’est donné à nous tout entier. C’est ainsi que s’incarne une pauvreté amoureuse. Cette radicalité de l’offrande va se manifester par une concentration de notre vie autour d’une authentique communion à la source de celle-ci. C’est l’intégralité de notre existence qui est unifiée en tout lieu, à toute heure et en tout temps, chaque jour et continuellement par une mise en oeuvre de notre foi vraie et humble. Il s’agit dans la foi, d’une communion d’amour. Cela suppose que notre coeur devienne le temple où vient habiter le très haut et souverain Dieu éternel, qu’il s’agit d’aimer de tout notre être, ce qui implique de déployer la large panoplie des comportements qui structurent la vie du croyant : aimons, honorons, adorons, servons, louons et bénissons, glorifions et exaltons au-dessus de tout, magnifions et rendons grâce…
Quel appel à laisser fleurir en nos vies ce qu’elles recèlent de possibilités souvent inexploitées parce que non orientées vers leur fin naturelle qui n’est autre que la reconnaissance et l’accueil de Celui qui nous fait vivre en plénitude par lui, avec lui et en lui. Quel enracinement dans une expérience historiquement fondée d’un Dieu d’amour à l’oeuvre en ce monde : Un Dieu qui dépasse l’un et le multiple dans une communion personnelle ineffable, lui qui est Trine et Un, Père et Fils et Esprit Saint, et qui n’est pas replié sur lui-même mais qui se donne, fondement et accomplissement de tout, en tant que créateur de toutes choses, Sauveur de tous ceux qui croient et espèrent en lui et qui l’aiment.
Quelle ouverture sur une communion qui nous introduit en un « pays » inconnu de nous et que nous ne pouvons qualifier qu’en faisant sauter les limites de notre propre environnement : sans commencement et sans fin, immuable, invisible, inénarrable, ineffable, incompréhensible, insondable. Notre Dieu échappe aux prises habituelles de nos expériences qui nous renvoient pourtant au tout Autre qui les fonde en leur donnant d’exister de manière créée c’est-à-dire dépendante et limitée.
Quel rappel que nul ne peut mettre la main sur Dieu, celui qui nous dépasse de toutes les manières : sublime, élevé, suave, aimable, délectable. Quel rappel aussi qu’il ne peut y avoir de bonheur profond pour nous, sans que notre être tout entier ne soit en ouverture vers lui parce que notre accomplissement n’est possible qu’en lui, tout entier et par-dessus tout désirable. Ne nous a-t-il pas appelés à partager à jamais sa propre vie ?
Quel ravissement pour finir que ces quelques versets nous rappellent que Dieu est premier dans nos vies, que celles-ci sont appelées à le louer avec toute l’Église, au ciel et sur terre, s’enracinent et s’épanouissent dans la mise en oeuvre de la foi, de l’espérance et de la charité, et que ce programme n’est pas réservé à un petit nombre, mais offert à tous.
Une belle invitation à le vivre avec confiance comme proposition d’avenir.
Fr André Ménard, ofm cap
pour infos et abonnement à la Revue MESSAGE
============================
Autres dossiers