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LA VIOLENCE ? CONNAIS PAS ! - RMF

LA VIOLENCE ? CONNAIS PAS ! - RMF

 

LA VIOLENCE ? CONNAIS PAS !

Pour quelqu’un qui suit peu l’actualité, « Connais pas! » est une affirmation légitime. Surtout si la personne se croit non violente. Notre réalité est tout autre. Il suffit de tendre l’oreille, « d’écouter pour voir » : la violence existe plus que jamais. L’encyclique Fratelli Tutti, sur l’urgence de la fraternité universelle et l’amitié sociale, martèle ce constat à cause des déviations humaines. On fréquente la violence chaque jour presque, même si on a l’impression d’être une personne douce, aimable. Sans hausse de voix ni de coup de poing. Et surtout, en ces mois de pandémie.


Notre vision idyllique d’un monde harmonieux existe mais se bute à la réalité de la violence, telle qu’on la définit: agir avec force et démesure. Cette force non maîtrisée s’impose aux êtres humains soit par la nature ou par les événements, soit par l’action malveillante d’autres êtres humains. Elle agresse, brutalise, intimide au détriment de la volonté et de la liberté de l’autre. Qu’elle soit physique, verbale, morale, sociale, ou armée… la violence prend l’attaque comme outil, et souvent, la mort comme porte de sortie.


La Bible, un livre violent?


Il ne faut pas se le cacher, la Bible foisonne de pages de guerres, de harcèlement et de viols, de défenses territoriales et de cruautés. Le premier crime de l’humanité surgit d’une rivalité entre deux frères. Le reproche de Dieu à Caïn, assassin d’Abel, ne passe pas inaperçu : « La voix du sang de ton frère crie de la terre vers moi! ». On n’étouffe pas le cri des victimes de la violence devant Dieu. On prête à Dieu nos attitudes humaines cruelles; il assume pourtant l’instinct meurtrier des hommes dans son dessein de salut. Dieu n’est pas violent. Il laisse son Fils devenir le Serviteur souffrant annoncé, pour montrer jusqu’où doit mener sa Passion pour l’humanité. Des prophètes hausseront le ton pour rabrouer l’humanité belliqueuse. Des Psaumes transposeront leur désarroi sur Dieu, vengeur de son Peuple ou réducteur de l’ennemi en poussière. Ce faisant, la Bible accuse plutôt notre incapacité d’entretenir des liens d’égalité, sans rivalités.
Fratelli tutti, un cri d’alarme pour restaurer la fraternité en péril!


L’encyclique dénonce ce qui empoisonne nos rapports et compromet la fraternité universelle. Le pape François fustige « l’arrogance des plus forts, les conflits d’intérêts » qui détruisent l’autre, « les injustices alimentées par le profit » et le pouvoir : enfin, tout ce qui brime la dignité des personnes et les droits des communautés. « Les guerres, les persécutions pour des raisons raciales et religieuses » sont vues sous la loupe d’intérêts économiques tordus. À ce rythme, on avance vers une « 3e Guerre mondiale en morceaux ». Le péché d’un frère contre son frère est un péché contre Dieu. Même le péché de l’indifférence donne accès à une violence qui nie à l’autre ses besoins et ses droits. La Déclaration du pape et du Grand Imam Ahmad Al-Tayed (Abou Dabi, février 2019) prend la parole au nom des sans voix. Dans leur litanie des miséreux de la terre, ils mentionnent plusieurs cibles de la violence : « les victimes des guerres, des persécutions et des injustices », « ceux qui vivent dans la peur », « les prisonniers de guerre, les torturés en toute partie du monde », « les peuples qui ont perdu leur sécurité, la paix et la coexistence commune », « les victimes des destructions et des ruines. » La Déclaration accuse nos politiques et nos systèmes axés sur le gain et la haine, ouvrant la voie à la violence.


Et la violence pandémique?


Nous essayons toujours de guérir des méfaits de la pandémie après un an. Nous avons éprouvé de fortes réactions légitimes : l’anxiété et la peur, le découragement et la dépression appuyée sur l’aide psychologique et les antidépresseurs, la morosité et la résilience devant le retard des vaccins, l’irritabilité devant la durée du confinement, l’exaspération à cause des restrictions du culte, et le désarroi devant le vieillissement accéléré des gens laissés à eux-mêmes. Petit à petit, on a vu monter des formes débridées de violence : impatiences dans les files d’attente, invectives en public, rage au volant, agressions physiques aux femmes, excès de défoulement, violences conjugales, et divorces mais pas à l’amiable. De sorte que n’importe qui a pu voir se déchaîner un volcan dans ses paroles et son action. Devant la violence, on perd ses moyens ou on réagit de façon disproportionnée. On capitule ou explose par après. La violence subie blesse le cœur à jamais. La violence qu’on fait subir abîme l’autre longtemps.


Contrer la violence comme Jésus!


Jésus critique radicalement la violence. Étant lui-même non violent, il dénonce non sans fermeté les abus de pouvoir et le viol des consciences, surtout chez les spécialistes de la religion. Il s’en prend à ceux qui ferment le Royaume aux gens. Il maudit ceux qui font du prosélytisme pour leur intérêt et donnent priorité à l’argent plutôt qu’à l’adoration en vérité. Sa colère face aux vendeurs du Temple en fait preuve. Il condamne ceux qui font passer la dîme avant la justice, la miséricorde et la fidélité. Il s’en prend aux rituels extérieurs au lieu de convertir l’intérieur. En Matthieu, il semonce les bien-pensants avec leur religion de façade et d’oppression. La non-violence qu’il propose aux disciples passe par le pardon patient et le service désintéressé. La scène du lavement des pieds est une école de fraternité, à travers l’amour de service. Non violent, il ne se prive pas pour autant d’apostropher les hypocrites et les exploiteurs des faibles. Suivre Jésus dans son parcours missionnaire c’est accepter de passer par sa manière de faire.


Heureux les doux?


Qui sont ces doux qui « recevront la terre en héritage » dans les Béatitudes? Certainement pas les doux par tempérament, mais les doux par la dure nécessité de leur condition sociale et religieuse; ils restent patients dans l’attente. Ils ne cherchent pas à faire violence à Dieu ni au prochain. Leur force se trouve dans leur persévérance. Ils portent des récriminations comme tout le monde, mais s’adressent directement à Dieu pour les faire entendre et non mettre Dieu en procès. Ils savent que Dieu ne peut pas être écarté de la question de la violence. Ils la font passer en Dieu, la déposent en Lui. Nous savons d’expérience qu’il n’y a rien de plus désarmant dans un conflit relationnel que de garder son calme. C’est la sagesse évangélique du « tendre l’autre joue »: arrêter la violence où elle explose, quand c’est possible. Ne pas donner suite à la brutalité, malgré notre instinct de défense. Faire mourir en soi la violence de l’autre. C’est sans doute un des défis relationnels les plus difficiles à réaliser. Notre instinct premier rétorque, se défend, et sort ses griffes. Jésus, devant ceux qui le moquent en croix, a tout ce qu’il faut pour crier à l’injustice, et mourir en athée (« Père, pourquoi m’as-tu abandonné? »), mais il montre sa douceur en persévérant dans la foi. Violenté, il meurt comme un croyant.

Nous avons peu de prise sur la violence à grande échelle qui sévit dans le monde. Pensons aux génocides récents et aux dernières actions terroristes. Ce sur quoi nous avons prise, c’est notre manière d’étouffer la violence qui veut sortir dans nos paroles et nos gestes. Elle ne renverse pas la douceur évangélique qui arrête le Mal là où il s’impose. À chacun sa responsabilité devant l’autre. Il faut éviter l’indifférence de Caïn avec son reproche à Dieu : « Suis-je le gardien de mon frère? ». Quelque part, au quotidien, on doit prendre soin de son frère ou de sa sœur, non par philanthropie, mais par simple bonté, celle que Dieu nous apprend. La suppression de la violence de nos structures sociales commence à petite échelle. En un sens, notre bonté peut devenir missionnaire, prendre la route du prochain et devenir contagieuse pour les autres. Voilà un point de conversion permanente pour chacun, en arriver à considérer l’autre avec les yeux de Dieu.

Pierre Brunette, OFM

Tiré de : Revue Missions des Franciscains, Été 2021, Vol. 99, no.2
Autorisation de reproduction : Richard Chartier, rédacteur en chef.

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