Sur la route. Arcabas, 1993-1994. Premier de sept tableaux (Les pèlerins d’Emmaüs) de l’église Torre de Roveri, Bergame.
PATRICE BERGERON
L’apparition aux disciples d’Emmaüs : Luc 24,13-35
Les lectures : Actes 2,14.22b-33 ; Psaume 15(16) ; 1 Pierre 1, 17-21
Les citations bibliques sont tirées de la Traduction liturgique officielle.
Voilà la plus dynamique des apparitions de Jésus ressuscité de toutes celles que rapportent les évangiles! Unique à Luc, cette manifestation « itinérante » du Ressuscité est aussi la plus élaborée des trois qu’il relate. Contrairement à ce que rapportent les évangélistes Matthieu et Jean (et même Marc qui y allude dans sa finale courte Mc 16,7), aucune « christophanie » ne se tient en Galilée chez Luc. Tout se passe autour de Jérusalem et le même troisième jour après la crucifixion de Jésus. En effet, selon la théologie de Luc, c’est à Jérusalem que le ministère de Jésus trouve son accomplissement et c’est de la Ville Sainte que doit naître l’Église et débuter l’évangélisation devant rejoindre toutes les nations. La trame du deuxième tome de Luc, les Actes des Apôtres, respecte bien ce plan divin tel qu’il le conçoit : débutant par la Pentecôte à Jérusalem, il se termine à Rome au terme de la vie de Paul qui l’a consacrée à l’évangélisation des « nations ».
Deux disciples, par ailleurs inconnus de la tradition chrétienne, s’en retournent penauds vers leur village après les évènements de la crucifixion de Jésus et, par surcroît, la découverte de son tombeau vide. Pour eux, comme pour bien d’autres de leur compatriotes, l’aventure exaltante avec Jésus – « prophète puissant en action et en parole devant Dieu et devant tout le peuple » – s’est terminée avec sa mort ignominieuse emportant, du même coup, leur espérance messianique et nationaliste. Malgré les nombreuses annonces que Jésus a pourtant faites de sa passion aux disciples, sur son chemin de Jérusalem, ils ne peuvent dépasser le scandale de la croix. De leur désarroi, ils s’ouvrent à un compagnon de route mystérieux qui les rejoint.
« Étaient empêchés ». Nous sommes devant ce qu’on appelle en exégèse un « passif divin ». Cet usage du passif évoque l’action divine sans avoir à le nommer directement. En fait, si Jésus s’était simplement réveillé de la mort, comme la fille de Jaïre (Lc 8,49-56) ou le fils de la veuve de Naïm (Lc 7,11-17), ils l’auraient reconnu sans peine. C’est que la résurrection de Jésus n’est pas que réanimation et retour à la vie normale. La résurrection de Jésus est toute autre, elle est une entrée dans le monde de Dieu, dans une condition radicalement nouvelle. C’est bien le même, l’homme de Nazareth qui a été crucifié et qui en portent les marques (Lc 24,39) et pourtant, les disciples ont du mal à le reconnaître. Il a bien un corps, le Ressuscité mange devant eux (Lc 24,41-43), pourtant on le prend pour un fantôme (Lc 24,37). Tous les témoins des manifestations du Ressuscité – de Marie Madeleine, aux Onze en passant par Cléophas et son compagnon – « sont empêchés » de le reconnaître d’emblée, non par caprice de Dieu, mais par le fait de cette frontière que Jésus a franchie en basculant dans ce monde de gloire, un certain matin du troisième jour.
Source http://www.interbible.org/
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