Méditation : La graine de moutarde ou l'infini des cieux
Texte de l'évangile « La graine a poussé, elle est devenue un arbre » (Luc 13, 18-21)
L'enseignement de Jésus aujourd'hui est sur le règne de Dieu
ou le royaume des cieux. Il nous rappelle notre responsabilité dans son édification : « Il est comparable à une graine de moutarde qu’un homme a prise
et jetée dans son jardin ». Le Royaume ne survient que si,
comme une graine de moutarde, nous le prenons et le jetons dans notre jardin.
Disons d'abord que ce jardin est notre être, et plus particulièrement notre cœur,
car chacun-e de nous est la terre sacrée de Dieu.
C'est en nous que le royaume doit croître.
Mais tout ce que fait Dieu, Lui l'infiniment grand,
se réalise uniquement et continuellement dans l'infiniment petit,
dans le quotidien de nos vies, dans ce qui n'a pas à première vue de grandeur :
une graine de moutarde (qui mesure à peine 1 mm).
Comment faire en sorte que la gloire de Dieu, l'immensité de Dieu, entre en nous ? Que nous ayons « prise » sur lui pour le « jeter » en notre jardin ?
Il y a d'abord la foi, et la foi n'est pas ce que nous pensons au premier abord.
La foi n'est pas un oui à Dieu fait une fois pour tout,
si bien qu'une fois prononcé tout est accompli.
Non la foi est une ouverture de notre être qui se répète mille fois par jour.
C'est un oui fragile et intime qui se dit quand nous croisons et saluons
une personne mais qui ne répond pas à notre salut.
Voilà une scène toute simple où en nous, subtilement, notre cœur se ferme
et nous nous sentons blessés. Monte alors en nous une voix trop souvent entendue qui nous dit que nous ne valons rien ou que nous méritons ce silence.
Nous donnons alors foi en ce que nous ne sommes pas,
une foi née du mal qui nous a été fait et qui nous réduit.
Une foi qui répand en nous les ténèbres de la mort.
C'est là, à cet instant, que notre acte de foi en Dieu,
et tout autant en nous-mêmes, doit être prononcé.
Allons-nous, en cet instant, continuer à donner « emprise » en nous
à cette vision complètement blessée et déformée de nous-mêmes (et de Dieu),
à savoir que nous ne valons rien, ou allons-nous donner « prise »
au regard de Dieu sur nous, à sa foi en nous, qui nous dit :
« tu comptes beaucoup à mes yeux, tu as du prix » (Is 43, 4)
et « si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit » (Jean 4, 10).
Peut-être allons-nous à la messe tous les dimanches
et nous y disons « Je crois en Dieu le Père tout-puissant... »
mais, si dans le quotidien de notre existence, dans ces instants fugaces
où notre être se referme, où l'accès à notre jardin devient clôt
et où nous ne croyons pas à ce que Dieu croit de nous,
alors notre profession de foi du dimanche n'a aucun sens.
Si nous ne croyons pas que nous sommes la fille ou le fils bien-aimé du Père,
nous ne croyons, alors, ni au Père, ni au Fils ni à l'Esprit.
Comme le disait Maurice Zundel, « croire en Dieu, c'est croire en l'humain ».
De fait, la mesure de notre foi en Dieu tient à la mesure
de notre foi en nous-mêmes.
Nous comprenons alors que notre foi est peut-être encore plus petite
que cette graine de moutarde. Comme nous avons de la difficulté,
au long des jours, à donner foi à la beauté, à la grandeur et à la dignité
de qui nous sommes et, de là, à croire à la dignité et à la grandeur
de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui croisent notre route.
Nous pourrions regarder ces moments qui se multiplient chaque jour
non seulement en nous questionnant sur notre foi
mais en regardant avec quel amour et avec quelle espérance nous les vivons.
Est-ce que le mot déplacé d'une personne à notre égard
nous plonge dans le désarroi intérieur au point que nous sommes subitement convaincus que nous ne sommes pas aimés et que notre vie porte peu d'espérance ? Tous ces moments, je vais vous surprendre, sont pourtant des instants de grâce.
Ces moments sont des instants de grâce, car ils peuvent devenir
des graines de moutarde, des semences de vie,
où nous posons intérieurement un acte de foi.
Nous disons alors à Dieu : « Je ne veux plus croire aux mensonges du mal sur moi mais je veux donner foi à l'être unique que je suis, au don de Dieu que je suis,
et, ainsi, donner foi en toi, toi qui m'a « voulu un peu moindre qu'un dieu » (Ps 8, 6).
Cette graine de moutarde, qui nous est offert mille fois par jour, porte également, gratuitement, l'infini de l'Amour de Dieu.
Au lieu de glisser dans le non-amour de notre blessure,
nous sommes invités à laisser l'Amour de Dieu entrer dans notre jardin
et à le féconder. Et, comme chacun-e de nous portons une blessure d'amour,
cet acte d'Amour envers Dieu (et envers nous-mêmes),
ce moment fragile où nous « prendrons cet amour et le jetterons dans notre jardin », guérira notre blessure d'Amour.
Et si, depuis des années, nous croyons que notre vie ne sert à rien,
que nous ne faisons rien de bon et que nous n'apporterons jamais rien en ce monde, si nous osons accueillir l'espérance que Dieu a en nous
et la mission qu'il veut à chacun-e nous confier
et par laquelle il veut soulever ce monde,
alors nous retrouverons notre pouvoir d'engendrer, celui de Dieu en nous.
Chaque jour, des milliers de graines de moutarde nous sont offerts
et nous sommes les seuls à pouvoir les accueillir.
Seuls la foi, l'amour et l'espérance en la Vie qu'elles contiennent
vaincront progressivement la mort qui nous habite
et nous donneront de naître à nous-mêmes en Dieu
et à permettre à Dieu de naître en nous.
Notre foi, notre amour et notre espérance en la mort reculeront alors en nous
et disparaîtront avec le temps.
Nous deviendrons alors vraiment des filles et des fils de Dieu dans le Fils,
des filles et des fils aimant du Père et des filles et des fils
traversés par l'Esprit d'Amour, de Vérité et de Vie du Père et du Fils.
Alors seulement, le « règne de Dieu », s'établira en nous
et notre être sera semblable à « un arbre, et les oiseaux du ciel (feront) leur nid
dans ses branches ».
Et nous entendrons Dieu nous dire, comme à Abraham,
« ta descendance deviendra nombreuse comme la poussière du sol,
tu déborderas à l'occident et à l'orient, au septentrion et au midi » (Genèse 28, 14). Le jardin de notre être deviendra une terre pour toutes et tous
et la Vie de Dieu y débordera de toute part et nous entraînera
dans cette grande communion des saintes et des saints.
Et tout cela sera parti de toutes les graines de moutarde
que nous aurons osé « prendre et jeter » tous les jours dans notre jardin.
Ne négligeons pas le petit, car l'infiniment Grand a voulu s'y cacher...
Stéfan Thériault, directeur du Centre« Le Pèlerin »
stheriault@lepelerin.org (www.lepelerin.org)27 octobre 2020
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