par Marie-Claire Landry
La raison principale pour laquelle nous avons décidé, mon conjoint et moi, d’entreprendre ce périple tient d’un hasard heureux auquel nous avons donné substance. Les stimulations engrammées tôt dans l’enfance gardent un parfum particulièrement persistant : mon prénom est Claire et, depuis ma première communion, alors que l’on m’avait offert un album illustré du récit de la vie de ma patronne, fondatrice des Clarisses, j’étais sous le charme d'Assise, cette ville moyenâgeuse où François et Claire ont vécu une destinée qui allait bouleverser la terre des hommes.
Le mode de vie franciscaine est particulièrement intéressant en ce qu’il est truffé de paradoxes forts, rigoureux et indébusquables qui peuvent alimenter une quête de sens exigeante pour n’importe quel humain.
François, fils choyé d’une famille bourgeoise cossue d’Assise, après une jeunesse particulièrement riche en valeurs d’ « avoir », telles que compétition, possession de biens en quantité, apparences, consommation excessive, gaspillage, séduction, effectue un changement de cap à 180 degrés, pour s’engager avec la même fougue dans une vie d’ « être » au service de valeurs humaines telles qu’humilité, générosité, fraternité, égalité, liberté, confiance, écologie, respect, simplicité.
Cette énergie créatrice fut mise en mouvement par une illumination, un élan de foi, une croyance en un idéal de sublimation, guidée par les valeurs de la vie d’un personnage éminemment humaniste, Jésus-Christ, racontée dans les récits inspirés de quatre Évangélistes.
François fondera une fraternité d’hommes, les Frères Mineurs, où même les hiérarchies ecclésiastiques, très prisées dans l’Église – curés, religieux, frères convers - n’auront aucun droit d’existence privilégié. Chez les Franciscains, tous sont dits Frères et Sœurs, sans qu’on sache de prime abord, si la personne a une pratique et un rôle de soins, de célébration prestigieuse (messe), d’enseignement, de travaux de subsistance, etc.
Ayant entendu François prêcher ces valeurs nouvelles dans la cathédrale sise en face de chez elle, Claire, issue d’une prestigieuse et puissante famille aristocratique d’Assise, se sentie attirée par ce mode de vie austère, déconcertant à première vue, mais authentique. Elle décida de s’y consacrer avec une ferveur et une détermination exceptionnelle, ce qui était nécessaire étant donné qu’elle confrontait, elle aussi, de forts préjugés attachés, dans son cas, à sa situation de femme, enchâssés dans les exigences très rigides de sa condition sociale. Sa beauté, son élégance et sa naissance noble la destinaient à une haute alliance matrimoniale avec une autre famille de sa classe sociale. Son engagement dans les voies de la fraternité spirituelle avec François fit donc scandale.
Elle défendait son droit à la liberté de donner un sens profondément paradoxal vis-à-vis les valeurs de son époque. Elle affirmait, en très grande humilité, sa capacité d’établir une Règle de totale pauvreté pour les femmes qui s’engageaient dans sa Fraternité. Son mode de vie en fut un de contemplation cloîtrée qui lui était imposé par les circonstances. Elle fut l’amie des Papes de son époque qui, souriant avec indulgence à ses demandes considérées extravagantes, n’en finirent pas moins par accepter de les promulguer conformément à ses exigences. La force de la fragilité… un autre paradoxe.
Pour vivre intensément sur les traces de Claire et François, le SIAF (Service intercommunautaire d’animation franciscaine) propose, une fois par deux ans, un voyage de trois semaines dans quatre villes italiennes, soit Rome, Rieti, Assise et le mont Alverne, en groupe d’une trentaine de personnes.
En mai eut lieu une journée de préparation immédiate par l’équipe franciscaine qui nous accompagnait. Laurent et Pierre (ofm) et Marie (sfa).
Ils nous ont expliqué le style de voyage que nous allions vivre et nous ont donné plein de conseils pratiques. Nous allions être hébergés dans des résidences franciscaines ou l’équivalent, tout au long de notre périple. Laurent était responsable de l’organisation matérielle et des célébrations de la messe quotidienne; Pierre s’occupait de la partie documentation des lieux visités et Marie organisait et dirigeait la partie musicale de tous les offices auxquels nous participions.
ROME
Nous logions à la Casa Tra Noi située à 10 minutes à pied du Vatican. D’ailleurs, du balcon de notre chambre, nous avions une vue superbe sur le célèbre dôme de St-Pierre dessiné par Michel-Ange.
Au cours de la première journée, nous avons visité, avec une jeune guide italienne très compétente en histoire de l’art et très expressive, les quatre grandes basiliques : St-Paul-hors-les-Murs, St-Jean-de-Latran, Ste-Marie-Majeure et St-Pierre. Elles avaient en commun d’avoir été importantes dans la vie de François pour différentes raisons. La guide excellait dans l’art de situer l’histoire à partir de Constantin, l’empereur romain, avec les chrétiens de cette époque.
Le lendemain, nous partions pour la journée pour Tagliacozzo où frère Thomas de Celano, premier biographe de François et Claire, termina sa vie en 1260 comme aumônier des Clarisses. Cette visite fut l’occasion de comprendre mille détails du vécu des gens de cette époque moyenâgeuse dans la vallée entourée par les montagnes de la région des Abruzzes. Cette connaissance du contexte social du temps de Claire et François ajoutait une dimension passionnante par la visite des couvents et des églises de l’époque.
Une dernière journée à Rome, libre celle-là, nous a permis de visiter, qui le Colisée, qui la Fontaine de Trevi, qui le Château des Saints-Anges, qui la Chapelle Sixtine. Chaque membre du groupe allait, selon sa culture et ses intérêts, grignoter quelques parcelles des trésors hallucinants que recèle Rome.
Le matin, aux aurores, nous avions eu la chance d’assister à la messe célébrée par Laurent dans une des innombrables chapelles qui entourent le tombeau de St-Pierre dans les sous-sols de la basilique. Notre chapelle était un don de la Lituanie et comportait une œuvre d’art superbe : La Vierge et son enfant, dont le manteau était en argent ciselé et qui était parée de multiples colliers d’ambre.
RIETI
Nous poursuivîmes le voyage vers la vallée de Rieti, laquelle est située exactement au centre de l’Italie. Nous logions à l’Oasi Sant’Antonio la Monte. Dans cette résidence qui appartient à une communauté religieuse comme dans toutes les autres résidences, la table est abondamment et délicieusement garnie et le vin coule à flots joyeusement. Aux quatre coins de cette vallée, dans les montagnes avoisinantes, se situent quatre sanctuaires franciscains qui correspondent à l’itinéraire de François.
Pour se rendre à ces différents endroits, le moyen de transport variait selon la distance et l’énergie de chaque personne. Ce fut parfois l’autobus pour tous, parfois la marche à pied – pour la montée et/ou la descente – les taxis par petits groupes.
Le soleil italien est solide… il faut boire beaucoup et bien se camoufler sous la crème solaire et le chapeau pour apprécier une longue randonnée qui était, cependant adorable, entre les oliviers, les cyprès et les pins tournesol.
La Foresta commémore un lieu où François fut accueilli et où il aurait accompli un prodige en redonnant à son hôte les vignes que les visiteurs avaient pillé. C’est là que François aurait composé, dans un cadre paisible et incitatif à la contemplation, le Cantique des créatures.
Poggio Bustone possède un petit oratoire haut perché où François vécu plusieurs années avec quelques compagnons. Actuellement, les franciscains y accueillent un groupe de jeunes toxicomanes (Mondox). Ces jeunes y poursuivent leur réadaptation en travaillant à différentes tâches.
Fonte Colombo (fontaine des colombes) ; ce terrain fut donné à François par les Bénédictins de Farca. C’est là qu’il fit une rédaction plus serrée de sa Règle afin qu’elle soit confirmée et demeure un outil solide pour les Frères qui poursuivraient le chemin de vie qu’il leur avait tracé.
Greccio, l’un des ermitages préférés de François, est jumelé à la Bethléem, car ce fut là qu’en 1223, François célébra Noël dans une grotte en plaçant dans une mangeoire un enfant vivant entouré d’un bœuf et d’un âne, de vrais moutons avec leurs bergers et tous les humbles habitants de la campagne. C’est à partir de cette nuit magique que la coutume de la crèche de Noël fut adoptée.
ASSISE
En route pour la très belle ville d’Assise où Claire et François ont vécu toute leur jeunesse avant de prendre leur décision de dépouillement matériel et de consécration à une vie de pauvreté totale dans l’esprit évangélique.
Nous avons habité pendant une semaine dans ce qui était une somptueuse maison patricienne, la Casa de Papa Giovanni (du nom du pape Jean XXIII) transformée en résidence pour des groupes. D’ailleurs, comme dans toutes les autres gîtes, Laurent a déjà réservé le séjour du son groupe québécois pour juin 2006 !
Chaque journée de cette fabuleuse semaine avait son lot de visites plus merveilleuses les unes que les autres.
Sta Maria Maggiore - Sainte Marie Majeure - a servi de cathédrale du diocèse d’Assise jusqu'au 12e siècle. C’est là que l’évêque Guido donna à François une pauvre bure de paysan après que celui-ci ait abandonné ses riches vêtements pour indiquer son détachement total des biens de ce monde. Cet austère esprit de pauvreté est présent dans la Règle franciscaine depuis 800 ans.
San Damiano – Saint Damien – La légende raconte que François, inspiré par un crucifix dans cette église en ruines, va la réparer en quêtant des pierres dans les rues d’Assise. C’est là que Claire s’installera en 1212 avec ses Sœurs et créera, elle aussi, une nouvelle forme de vie spirituelle. Elle y vivra 41 ans en recluse recevant la visite de nombreux cardinaux et du Pape.
Santa Chiara - Basilique Sainte-Claire – C’est là qu’est conservé le fameux crucifix de St-Damien et le tombeau de Claire, cette femme forte et persévérante qui réussit à imposer une Règle de Pauvreté intégrale pour son Ordre des Clarisses, ce qui était absolument invraisemblable pour l’époque. La créativité de sa vie spirituelle pourrait se dire : un silence éblouissant !
Les carceri – Ces ermitages confrontent à la réalité de la solitude. François a passé la moitié de sa vie convertie dans des ermitages qu’il a lui-même établis. On y voit un arbre qui, selon la légende, serait celui où François a prêché aux oiseaux, ce qui symbolise l’intense attention que cet écologiste avant la lettre accordait à toute créature vivante.
Le mouvement franciscain trouve de profondes racines spirituelles dans la réflexion solitaire. Nous avons passé une journée dans les grottes de Mont Subasio. Laurent a célébré une messe en plein air dans la forêt de l’un de ces ermitages. Cela me rappelait l’exaltation liée à l’immersion totale dans la nature que nous vivions chez les Guides.
San Rufino – C’est dans la cathédrale Saint Ruffin que Claire, fille d’aristocrate, et François, fils de riche bourgeois, furent baptisés. Plus tard, Claire y a entendu prêcher François converti ; il a semé dans son esprit les petites graines de l’inspiration vers le détachement et la consécration aux œuvres évangéliques.
Isola Maggiore, Lac Trazimeno – L’Île Majeure est la plus grande île dans ce lac Trasimène qui est le plus grand lac d’Italie. C’est là que, selon la légende, François passa les quarante jours du Carême de 1211, à jeûner en solitaire. Nous avons passé la journée dans la solitude et le jeûne à nous promener dans l’île dans une quête de sens. Belle expérience un peu exigeante mais vraiment rentable au plan spirituel !
La Porzioncula – François répara la petite chapelle du Portioncule qui devint le centre de sa mission. Ses Frères et lui-même habitaient des cabanes autour. De là, François les envoya , par deux, dans le reste du monde en mission. C’est là qu’ils accueillirent Claire qui venait de fuir la maison familiale pour se consacrer à Dieu. On tondit ses cheveux et elle abandonna ses riches vêtements et ses bijoux. Puis elle fut conduite chez les Bénédictines pour y être protégée.
Cette petite chapelle est maintenant sise au cœur de l’immense basilique Saint-Marie-des-Anges qui fut construite autour d’elle. Le contraste entre la minuscule chapelle, témoin d’événements si importants, et l’immense temple est saisissant !
Basilique Saint-François – Le corps de François est enchâssé dans une crypte en pierres sous les deux églises superposées.
Ici, plus qu’ailleurs, le talent d’artistes de génie élèvent l’esprit.
Dans l’église inférieure, les fresques évoquent la pauvreté, la chasteté, l’obéissance et le triomphe de François. Ce sont des artistes de l’école de Giotto qui ont effectué ce travail. Il y a aussi des fresques de Cimabue et de Lorenzetti.
Dans l’église supérieure se trouvent la célèbre série de vingt-huit fresques évoquant la vie et les miracles de François, peintes par Giotto et ses élèves. La plus touchante est celle de François aux oiseaux.
L’ALVERNE
Le cœur et l’esprit captifs de toute cette beauté d’Assise, nous sommes partis, pour terminer notre voyage, vers le sanctuaire franciscain du mont Alverne en Toscane. Cette montagne impressionnante fut donnée à François par le Comte Orlando. C’est un lieu escarpé très favorable à la méditation et à la contemplation. On dit que c’est en ces lieux que François reçut « les stigmates », c’est-à-dire qu’il aurait été porteur des plaies infligées au Christ durant sa Passion.
Pour conclure, je dois reconnaître que j’ai adoré ce long cheminement à l’intérieur de la spiritualité franciscaine. Tout était propice à la réflexion, à l’ouverture, à la camaraderie sympathique, à l’échange fraternel.
Marie-Claire Landry, membre de RIAQ-VOYAGES
(Juin/juillet 2004)
--------------------------------------------