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TRAVAIL LOISIR ET CONTEMPLATION - art 61 Suzanne

TRAVAIL LOISIR ET CONTEMPLATION

 

 

Profitons de l’approche du temps de Carême pour poser un regard sur notre vie quotidienne et faire une relecture du « temps de l’homme » et du « temps de Dieu ». 

 « Réjouis-toi toujours ». « Contemple chaque jour ». [1]

 « Que nous t’aimions de tout notre cœur » [2]

Au couvent-musée franciscain des François et Claire d’Assise nous parlent de joie, de contemplation et d’amour. Nous sommes bien loin de l’activisme généralisé que connaît notre société et vers laquelle nous sommes entraînés : « Travail pour le travail », ce qui conduit à oublier  la véritable valeur d’un travail qui contribue à  la réalisation de soi et de ses talents individuels, par exemple, à travers des actions contribuant  au bien commun. Cela s’exprime souvent par une tendance à nous réfugier dans le virtuel et dans le « divertissement pour le divertissement ». Le loisir est alors compris comme un temps libre ayant pour finalité la maximisation du profit. En effet, le temps libre est alors de plus en plus considéré comme légitime dans la mesure où il rend l’individu plus performant. Nous nous accordons des temps de loisir pour travailler toujours plus, alors que le véritable loisir devrait se caractériser par une contemplation réceptive de la réalité et contribuer à l’épanouissement de la personne comme telle.

François et Claire nous encouragent-ils à l’oisiveté ? Certainement pas, ils nous ramènent à notre véritable place, à notre état naturel d’hommes et de femmes créés à l’image en vue de la ressemblance de Dieu et donc appelés à la contemplation. En effet, la « culture » du virtuel et du divertissement place la personne hors de la réalité, elle l’empêche de se percevoir telle qu’elle est, et de s’épanouir comme personne. Pour retrouver le sens originel du loisir et tenter d’approcher son essence, il nous faut vaincre notre propre résistance intérieure, issue de la surévaluation du « monde du travail ». Le concept de travail a conquis la quasi-totalité du domaine de l’action humaine et de l’existence humaine à tel point que cela entraîne une surévaluation de l’effort, une méfiance envers tout ce qui est aisé et cette volonté de ne jouir dans la bonne conscience que de ce qu’on a soi-même remporté et gagné. Seuls les concepts d’utilité et de profitabilité trouvent grâce à nos yeux. Est-ce que cela ne révèlerait pas une idée bien ancrée de nos jours, celle du refus de recevoir ? : « Je me débrouille tout seul. Je ne veux rien redevoir à personne, et pas même à Dieu ». Ainsi, l’homme s’appuie sur ses propres forces, sur ses propres efforts et sur sa propre intelligence. Il y a un abîme entre la tradition chrétienne et cette attitude.

La conception chrétienne de la vie repose tout entière sur la grâce ; l’Esprit Saint lui-même est dans un sens particulier nommé « Don ».[3] Tous les Pères et les grands maîtres de la chrétienté soulignent que la justice de Dieu présuppose son amour. Avant tout gain, en amont de toute acquisition et de toute conquête se trouve un don fondamental, que l’on ne peut ni mériter ni gagner. Par exemple, si nous pouvons aimer, c’est que Dieu d’abord, nous aime.


De plus, nous devons nous défier de la notion d’inutilité. A ce propos, citons cette réflexion de Goethe alors qu’il était ministre :

« Je ne me suis jamais demandé […] comment je pourrais être utile à l’ensemble. Mais j’ai aspiré […] à n’exprimer toujours que ce que j’avais reconnu comme bon et vrai. Certes, […] cela a eu des répercussions dans un vaste milieu qui en a profité ; mais ce n’était pas le but, mais bien la suite nécessaire. »[4]

Ainsi,  « La contemplation de l’éternité et une vie la servant elle seule » sont orientées « non pas en vue d’une utilité, mais en vue de la bénédiction.[5]


Nous comprenons mieux l’importance que François et Claire d’Assise attachent à la contemplation et à la prière. La perfection de la communauté humaine demande qu’il existe des hommes et des femmes qui se consacrent à la vie – non utile – de la contemplation ; cela n’est pas seulement nécessaire pour la personne de ceux qui s’y vouent, mais aussi pour la perfection de la communauté humaine tout entière. Nous rejoignons ici l’essence du loisir.


Celui-ci n’est pas procuré d’avance par les circonstances extérieures, - arrêt de travail, temps libre, week-end ou vacances. Le véritable loisir est un état d’âme. Il correspond  à une attitude de non-activité et de calme, de laisser-faire, de tranquillité intérieure et surtout d’ouverture silencieuse de l’âme. Le loisir est une attitude de perception et de réception, d’ouverture et d’élargissement du regard, d’immersion contemplative au sein de l’être. Il est l’attitude de celui qui s’ouvre, dépose et s’abandonne, un peu comme s’abandonne celui qui s’endort. Absence de loisir et insomnie semblent bien être liées car seul peut en effet dormir celui qui s’abandonne. C’est aussi dans le loisir et parfois dans le sommeil, que les grandes intuitions, les vues heureuses, les inspirations hors d’atteinte sont accordées à l’homme.

Sainte Claire « sublime en la contemplation ». « De la prière, elle revenait remplie de joie […] elle rapportait des paroles brûlantes qui enflammaient les âmes de ses sœurs. » (C 20)


Le loisir se caractérise donc par une joie intérieure, il revêt un caractère festif. Il n’est possible que si l’homme consent à sa vraie nature mais il réclame également qu’il se trouve en accord avec le sens du monde. L’Ecriture nous dit qu’ « en se reposant de ses œuvres, Dieu vit que tout cela était très bon » (Gn 1,31). Le loisir de l’homme imite le repose divin et participe de lui : en lui aussi on trouve un arrêt joyeux du regard intérieur, qui considère avec approbation la réalité de la création.

Ce qui représente la plus haute forme de l’approbation, c’est la fête intérieure, « ce calme qui unit en soi intensité de vie et contemplation »[6]. François d’Assise nous livre une expérience sublime de la fête quand il compose son Cantique des Créatures. De fête en fête, de contemplations en contemplations, il a intégré tout l’univers, il a même vécu l’approche de sa mort comme une fête. La mort serait-elle la dimension ultime de la fête ? Elle nous conduit vers le face à Face.

Ainsi, dans cet état, ce qui est véritablement humain est sauvegardé et conservé. Il en est ainsi parce que dans le loisir, le domaine du purement humain est sans cesse quitté, déposé, remis entre les mains du Seigneur. Cela ne s’opère pas dans un pénible effort d’extension, mais sur le mode de l’éloignement et du retrait, de la désappropriation et de la dépossession. Toutefois, même si cet état de déposition, de détachement et de détente ne porte en lui aucune peine, il demeure difficile à atteindre. Pour l’atteindre, la part de l’homme et la part de Dieu doivent s’unir dans une même énergie : l’Amour.

Suzanne Giuseppi Testut  -  ofs

 PS : On lira avec intérêt le livre de Josef Pieper : Le loisir, fondement de la culture, Ad Solem

 



[1] Claire d’Assise 3L 10 – 4L 15

[2] François d’Assise Pater praphrasé

[3] « Il appartient à l’Esprit Saint d’être donné » Thomas d’Aquin, Somme congtre les Gentils, IV, 23,9.

[4] Goethe, Conversations de Goethe avec Eckermann, trad. J. Chuzeville, Galimard, Paris, 1941, p, 524.

[5] Hegel, Science de la logique, , trad. P.-J. Labarrière et G. Jarczyk, Aubier-Montaigne, Paris, 1972, Préface, p.3.

[6] Charles Kerényi, La religion antique. Ses lignes fondamentales, trad. Y. Le Ray, Georg, Genève, 1957, p. 67

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