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Le pèlerinage,démarche spirituelle et ecclésiale- 6 de 6 Suzanne
Conclusion
LE PELERINAGE - DEMARCHE SPIRITUELLE ET ECCLESIALE
Pour conclure le reportage sur le pèlerinage d’Assise et en dégager sa spécificité, il me paraît intéressant de faire un bref rappel historique. Qu’il s’agisse d’un déplacement individuel, vers saint Jacques de Compostelle par exemple, ou d’un petit groupe, comme c’est le cas pour notre pèlerinage d’Assise, ou encore d’un déplacement de foule comme celui des malades à Lourdes, le pèlerinage, dans la tradition ecclésiale, s’entend d’un voyage « particulier » effectué (à pied, en voiture ou en autocar…) à destination d’un lieu saint, et de la vénération accordée au « centre » spirituel du lieu : tombeau, reliques, apparition etc. Ces déplacements, sur ces lieux de l’action de Dieu, sont une occasion pour les fidèles de communier dans la foi et la prière. Ils sont également une occasion de « déposer » leurs fardeaux, leurs demandes, leurs supplications ou tout simplement leurs actions de grâces. Le pèlerinage est donc une recherche de Dieu et une rencontre avec Lui.
Quoi qu’il en soit, le pèlerinage ne peut se concevoir sans un déplacement, une progression préalable, sans un changement d’espace vers « l’ailleurs ». Mais cet « ailleurs » est toujours fixé, c’est un lieu qu’il s’agit d’atteindre. Dès lors, la marche dans l’errance n’est pas de condition pèlerine. Pas de pèlerinage sans un terme spécial qui sera la consécration sensible d’un effort, d’une tension soutenue vers un but. Le pèlerinage est bien une réalité complexe, comportant plusieurs phases successives dans son déroulement : le départ, le cheminement et l’arrivée avec bien sûr pour conséquence évidente, la vénération du lieu atteint.
Toute personne qui a accompli véritablement un pèlerinage sait que ces trois phases sont étroitement liées. En effet, au départ, l’itinérance et le terme à atteindre existent déjà virtuellement dans la conscience du pèlerin. Au cours du déplacement, il va éprouver le sentiment de rupture avec le monde familier du « quotidien » laissé derrière lui. Enfin, dans la joie de l’arrivée, le pèlerin pourra se préparer à la « rencontre ». Il est certain que sa disponibilité et sa préparation à vénérer le lieu saint, seront d’autant plus aiguisées par une longue marche et si son âme, éprouvée par les incertitudes du chemin, porte l’empreinte du départ et des difficultés de la route. C’est pourquoi, nous pouvons parler de trois dimensions inséparables dans le pèlerinage : la rupture, la marche et la quête du lieu saint.
Le pèlerinage dans la Bible.
Dans l’Ancien Testament, Dieu dit à Jacob : « Debout ! Monte à Béthel et fixe-toi là-bas. Tu y feras un autel au Dieu qui t’est apparu lorsque tu fuyais la présence de ton frère Esaü » (Gn 35, 1)
On constate en Israël l’existence de nombreux centres de pèlerinages, des lieux sacrés liés à l’Histoire sainte où le peuple vient chercher son Dieu. Mais à partir de l’introduction de l’arche par David à Jérusalem (2 S 6) et de la construction du Temple de Salomon (1 R 5-8), les pèlerinages à Jérusalem prennent une importance prédominante jusqu’à ce que Jérusalem devienne le sanctuaire unique. (1 R 12-27)
Le Nouveau Testament, au premier abord, n’apporte aucune nouveauté : Jésus « monte » à Jérusalem avec ses parents, quand il a douze ans, pour obéir à la Loi et, tout au long de sa mission, il y « monte » encore pour les diverses fêtes. Mais, l’annonce par Jésus de la ruine du Temple et plus encore sa résurrection, centre le culte de ses fidèles sur sa Personne glorifiée, nouveau Temple et non plus sur quelque lieu de la terre.
Ainsi, pour les Pères Apologistes, « Le lieu saint, c’est l’âme pure ». C’est la raison pour laquelle la notion de « lieu saint » a eu quelque difficulté à s’imposer dans la conscience de l’Eglise primitive. Bien que les pèlerinages à Jérusalem et à Rome (aux tombeaux des saints apôtres Pierre et Paul) aient été instaurés dès le 2ème siècle, ce n’est qu’après une prise de conscience progressive de ce qui constitue la spécificité des « lieux saints » chrétiens, que l’Eglise en l’an 380, va utiliser l’expression pour désigner les lieux de la vie terrestre du Christ et ceux de ses manifestations dans la vie des saints. C’est ainsi que l’expression au singulier peut désigner le tombeau d’un martyr ou d’un saint. Ce peut être aussi le lieu de résidence de moines célèbres. Monastères et ermitages peuvent abriter des hommes et des femmes sanctifiés par la prière, ayant reçu un don de clairvoyance ou de « guidance » spirituelle qui attire de nombreux fidèles … La Pentecôte permanente de l’Esprit continue à se manifester !
Le pèlerinage pour le chrétien d’aujourd’hui.
Que peut signifier le pèlerinage dans notre société d’aujourd’hui, dominée par la rationalité et la recherche du bien-être individuel ? Un voyage d’agrément, « spirituel » ? Un exercice de piété individuelle, survivance d’une pratique religieuse issue du passé ? Une randonnée, au cours de laquelle nous espérons « faire le vide » et retrouver un semblant de vie intérieure ? Ou bien, le pèlerinage est-il une démarche ecclésiale, c’est-à-dire une « récapitulation des trois dimensions intrinsèques de la vie spirituelle et ecclésiale du chrétien » : la rupture, la marche et la quête du lieu saint ?
Le pèlerinage, symbole de la vie chrétienne.
Le sentiment de rupture, inhérent au départ et ensuite au cheminement, est une réalité objective qui manifeste clairement aussi la non-appartenance - d’ordre spirituel et de manière ultime – du chrétien au monde. En Christ, le pèlerin s’efforce d’incarner dans sa démarche, la liberté « des enfants de Dieu », ce non-assujetissement aux puissances de ce monde. Le pèlerin, en se « retranchant » du monde et en se tournant vers « l’ailleurs », témoigne de ce que les chrétiens aspirent à une patrie « céleste ». (He 11, 16) Vis-à-vis du Royaume, ce ne sont plus des étrangers ni des voyageurs : « Vous n’êtes plus des étrangers ni des hôtes, écrit saint Paul, mais vous êtes concitoyens des saints, vous êtes de la maison de Dieu » (Ep 2, 19)
Ainsi, pour le chrétien, le pèlerinage est d’abord un cheminement intérieur, chemin de sainteté qui le conduit, dans la rencontre avec le Christ Sauveur, vers son épanouissement final dans la participation à la vie divine.
Notre pèlerinage d’Assise – une démarche spirituelle et ecclésiale.
Cette démarche est exigeante. Elle fait suite à un travail intérieur entrepris à partir de « la déposition ». Elle s’accomplit dans un désir de vérité et de confrontation avec le chemin de sainteté de François d’Assise. Dans un esprit d’humilité sans lequel le cheminant ne peut se reconnaître comme pèlerin. Elle s’accomplit dans un désir de rencontre avec le Christ. En effet, à travers la vénération du lieu et du culte qui est rendu au saint, c’est le Christ Dieu qui est adoré. Il y a participation à la sainteté qui appartient en propre à Dieu seul (Jn 17, 11) Ainsi, le pèlerin marche vers son Seigneur et sous sa conduite. Sa marche confirme à chaque pas, une rupture envers ce qu’il a quitté.
Le pèlerin peut pressentir, par la prière intérieure, dans la grâce de l’Esprit, soutenu par saint François, « la connaissance du langage de la création ». Il peut goûter à un mode de vie nouveau tel que l’exprime si admirablement Charles Péguy :
«Nous entrons ici dans un domaine inconnu, dans un domaine étranger qui est le domaine de la joie. Cent fois moins connu, cent fois plus étranger que le royaume de la douleur. Cent fois plus profond je crois et cent fois plus fécond. Heureux ceux qui un jour en auront quelque idée ».
De par le chemin de sainteté de François d’Assise, sa marche peut révéler au pèlerin une anticipation prophétique du Royaume vers lequel il se dirige secrètement. Ecoutons le langage d’un mystique :
« Toute la nature était en liesse avec nous… Mon âme était éveillée par les alouettes, les rossignols, les merles, les chardonnerets, les grues, en général tous les oiseaux, les animaux, les arbres et les herbes, et la nuit les étoiles du ciel… tout semblait me dire : ’Le Christ est en moi !’ Ainsi disaient les champs, les bois, les herbes … Tout devenait son temple, sa demeure. »
C’est aussi cela que révèle le pèlerinage et bien d’autres merveilles !
Suzanne Giuseppi Testut ofs
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