• Eucharistie 1/4 - Roland Bonenfant, ofm

    EUCHARISTIE : IL EST GRAND LE MYSTÈRE DE LA FOI

     Conférence à l’OFS - Cap-Rouge 2008-31-05

    Roland Bonenfant ofm

    1e partie sur 4

    ( au bas de chaque page, vous trouverez un hyperlien pour la suite.)

     

    Mon entretien comprendra quatre parties :

    1-      Saint François et son intuition du Mystère

    2-     Un Dieu Amour, qui se fait don total, encore aujourd’hui

    3-     Quelques éléments d’histoire sur l’Eucharistie en général et dans notre tradition franciscaine

    4-     Eucharistie, banquet des pauvres et des victimes d’injustice. Une illustration : l’action de Mgr Oscar Romero, au Salvador

    Conclusion.

     

    Introduction

    Quand je pense Eucharistie, je pense d’abord Don de Dieu, hier et encore aujourd’hui. Je pense Merveille des merveilles, ma traduction à moi du Il est grand le Mystère de la foi. À la Messe, nous célébrons et fêtons la Vie en plénitude qui nous est donnée sans mérite de notre part ; nous sommes d’accord avec cette affirmation qui nous engage : la vie nous est donnée pour être redonnée aux autres, goutte à goutte ou d’un seul trait par le martyre. Dieu tout entier se donne, mais nous sommes invités en retour à tout donner à notre tour. C’est ce que désire le Seigneur Jésus, quand il nous engage à porter de bons fruits, en abondance. Des fruits, de la nourriture, c’est pour nourrir et faire grandir la vie en nous et autour de nous.

     

    Quand je pense Eucharistie, je pense ensuite Peuple fêtant ce don de Dieu dans l’Incarnation, dans la descente de Dieu vers nous chaque jour, dans l’humilité, comme l’affirmait saint François. C’est la suite du Peuple de la foi au désert, - un groupe, nous, en exil sur cette terre, - nourris de la manne, cette nourriture céleste pour un peuple toujours au désert. Je pense multiplication des pains et des poissons par Jésus, et je pense surtout à cette prière de bénédiction que Jésus a faite en levant les yeux vers le ciel et à cette parole mystérieuse de Jésus : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Ce qui fait toute la différence dans la foi, c’est la confiance qui s’exprime dans le fait de lever les yeux vers le ciel, comme le Christ, pour implorer le Père. Et celui-ci répond toujours.

     

    Je pense donc foule, peuple, Corps mystique, fraternité, Je pense célébration, fête d’un peuple qui, comme à la Veillée pascale, chante sa joie, son passage des ténèbres à la lumière, de la peur à l’audace. C’est un peuple qui chante sa propre Résurrection, en même temps que la Résurrection du Christ. C’est un peuple qui peut dire NOUS durant toute la prière eucharistique, en se tenant debout, la position liturgique par excellence. Il est remarquable que l’on ait conservé le mot Mystère de la foi, comme dans l’Église orthodoxe, au lieu du mot sacrement de l’Église latine. Le terme qu’on a aussi conservé pour cette acclamation d’après la consécration est en grec : anamnèse (remontée du souvenir), qui lie en une seule gerbe le passé, le présent et l’avenir.

     

    Je voudrais en ma présentation traiter par ordre d’importance ce que je trouve d’essentiel. Que l’Esprit de Dieu soit en mon cœur et sur mes lèvres, et que vos cœurs s’ouvrent à ce qu’il veut vous faire comprendre par moi, pauvre Frère mineur.

     

    Traitant de l’Eucharistie, de multiples angles de vue sont possibles :

    -            Eaux vives et source d’espérance

    -            Mémorial de l’amour laissé par le Christ à l’Église

    -            Célébration - adoration – action de grâce

    -            Partage du projet et du destin de Jésus

    -            ET LES THÈMES DU CONGRÈS EUCHARISTIQUE DE QUÉBEC

    -            Eucharistie, don de Dieu par excellence

    -            Ce rassemblement qui édifie l’Église

    -            La vie du Christ dans nos vies

    -            L’Eucharistie, mission d’être attentifs aux faims des gens

    -         Témoins de l’Eucharistie. au cœur du monde

     

    Dénomination spéciale : Le Saint sacrement, le seul nommé ainsi. Même le TSS.

    Le signe du pain rompu : Corps brisé et Sang versé du Christ

     
    C’est le seul sacrement auquel, dans l’Église latine, on ajoute Saint : le Saint sacrement. Et même le Très saint sacrement. Il fait partie des sacrements de l’initiation chrétienne : Baptême, Confirmation, Eucharistie. De leur vrai nom, si l’on change le mot sacrement par celui de signe : le Baptême, signe de l’eau (la vie) ; la Confirmation, signe de l’huile (conservation de cette vie, idée de santé, athlétisme, éclairage, source de chaleur, cuisson des aliments) ; et enfin l’Eucharistie, signe du pain et du vin (croissance de la vie par la nourriture et force sans cesse redonnée). Le Pain de l’Eucharistie n’est pas n’importe quel pain rond, inentamé ; c’est du pain en tant que rompu, symbolisant le Corps broyé du Christ, comme le grain sous la meule. Ce n’est pas simplement le Sang en tant que circulant dans les veines ; c’est le Sang en tant que versé, comme le grain de raisin pressé et écrasé, qui est passé par un long processus pour devenir du vin.

     

    Mais avant la fermentation, tant du pain que du vin, il y a une symbolique très riche, qui indique une lente transformation, à l’image d’une longue conversion. Laissons de côté le vin, que nous connaissons moins. Prenons le cas du PAIN. Le pain est le fruit d’un très long processus de transformation et il y a loin entre la semence du grain, sa croissance jusqu’à l’épi, les gerbes de blé moissonnées, le battage au moulin qui sépare le grain de la paille et de la bale, le passage sous la meule à la meunerie, le sac de farine acheté par le boulanger, le mélange de la farine et de l’huile pour faire de la pâte, le temps de la fermentation avec le levain dans la huche, la cuisson, puis enfin le pain coupé en tranches autour de la table de famille. Car un repas évoque d’abord et avant tout l’idée de famille rassemblée. Et ce rassemblement est infiniment plus que le pain et la nourriture qu’on y prend ; il permet la communion des cœurs et donc une nourriture de l’esprit.

     

    Remercions le Seigneur de ces signes sacrés du pain et du vin, qui en plus de symboliser l’apaisement des faims et soifs de nourriture solide et liquide, concerne la faim dans le monde et se présente comme l’apaisement suprême de toutes les faims et toutes les soifs, tant matérielles que spirituelles. Le Mahatma Gandhi enviait les chrétiens d’avoir un tel signe du pain, si parlant, dans un monde qui meurt de faim.

     

    Ces signes du pain et du vin ont, de plus, une symbolique d’unité, comme l’affirme sous forme de prière le livre de la Didachè, dès le début de l’Église. Elle dit, en substance : De même que les grains de blé ou de raisin, venant de plusieurs champs et coteaux ont été réunis pour ne faire qu’un seul pain et qu’un seul vin, ainsi fais de nous tous, gens dispersés arrivant de partout, un seul peuple rassemblé dans l’unité, ne formant qu’un seul grand Corps : le Corps mystique du Christ.

     

     1-Saint François et son intuition du Mystère

     Voyez l’humilité de Dieu. Il descend vers nous.

     

     C’est une affirmation immense. François a eu une pénétration profonde du mystère du Christ. Il désignait l’Eucharistie d’un nom très exact et magnifique : le sacrement du Corps et du Sang du Christ. Et il écrivait en sa Lettre à tout l’Ordre : Ne gardez de vous rien de vous, pour que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier (LOrd 29).

     

    Les phrases qui précèdent cette exhortation sont celles-ci : «Ô admirable grandeur et stupéfiante bonté ! Ô humilité sublime ! Le maître de l’univers, Dieu et Fils de Dieu, s’humilie pour notre salut, au point de se cacher sous une petite hostie de pain ! Voyez, frères, l’humilité de Dieu, et faites-lui l’hommage de vos cœurs. Humiliez-vous, vous aussi, pour pouvoir être exaltés par lui » (LOrd 27-28).

     

    Qu’est-ce que ça peut vouloir dire ? Quand il s’agit de l’Eucharistie, François en parle comme d’une Perle rare ou d’un Trésor trouvé dans un champ, comme il est dit dans l’Évangile. Le perle rare de l’Amour sous son aspect de DON DE SOI : don de Dieu à nous, don de nous à Dieu et à nos frères. DON POUR LA VIE DU MONDE, avec cette idée de totalité, d’entièreté. TOUT vendre pour acquérir ce champ. TOUT donner pour être reçu TOUT entier, après avoir tout quitté, même sa propre vie. Et enfin, pour TOUT recevoir : le Seigneur lui-même, en personne. Suivons le raisonnement de François, dans la fin de la 1ière Admonition sur l’Eucharistie, Corps du Seigneur :

     

    "Le Seigneur Jésus a dit à ses disciples : Je suis la voie, la vérité et la vie ; personne ne vient au Père sinon par moi. Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père ; et désormais vous le connaîtrez, et vous l’avez vu. Philippe lui dit : Seigneur, montre-nous le Père et cela nous suffit. Jésus lui dit : Depuis si longtemps je suis avec vous et vous ne m’avez pas connu ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père (Jn 14, 6-9). Le Père habite une lumière inaccessible (1Tm 6,16) et Dieu est esprit (Jn 4,24) et personne n’a jamais vu Dieu (Jn 1,18). C’est pourquoi il ne peut pas être vu sinon dans l’esprit, parce que c’est l’esprit que vivifie ; la chair ne sert à rien (Jn 6,63). Le Fils... déclare: Qui mange ma chair et boit mon Sang a la vie éternelle (Jn 6,55). Dès lors, l’esprit du Seigneur qui habite dans ses fidèles, c’est lui qui reçoit les très saints Corps et Sang du Seigneur. Tous les autres, ceux qui n’ont point part à ce même esprit et ont la présomption de les recevoir, mangent et boivent leur jugement (1 Co 11,29). 

     

     Alors, fils des hommes jusques à quand ce cœur lourd (Ps 4,3) ? Pourquoi ne reconnaissez-vous pas la vérité et ne croyez-vous pas au Fils de Dieu (Jn 9,35)? Voici : chaque jour il s’humilie (Ph 2,8) comme lorsque des trônes royaux (Sg 18,15) il vint dans le ventre de la Vierge, chaque jour il vient lui-même à nous sous une humble apparence ; chaque jour il descend du sein du Père (Jn 1,18 ; 6,38) sur l’autel dans les mains du prêtre. Et de même qu’il se montra aux saints Apôtres dans une vraie chair, de même maintenant aussi il se montre à nous dans le pain sacré. Et de même qu’eux, par le regard de leur chair, voyaient seulement sa chair, mais, contemplant avec les yeux de l’esprit, croyaient qu’il est Dieu, de même nous aussi voyant du pain et du vin avec les yeux du Corps, voyons et croyons fermement qu’ils sont ses très saints Corps et Sang vivants et vrais. Et de cette manière le Seigneur est toujours avec ses fidèles, comme il le dit lui-même : Voici que je suis avec vous jusqu’à consommation du siècle (Mt 28,20)."

    Saint François d’Assise, Première Admonition.

     

     François insiste pour dire qu’il nous faut voir, discerner le Seigneur Jésus qui s’est proclamé Voie, Vérité et Vie, et qui donne la vie éternelle. Les Apôtres devaient eux aussi faire une aussi difficile transposition que nous: découvrir le Fils de Dieu en cet homme en chair et en os ; ils y ont cru. De même, nous aussi, dans une foi semblable, nous avons à le découvrir caché dans le pain et le vin, ces humbles éléments. Qui n’entre pas dans cette foi trimbale toute sa vie un cœur lourd, comme effet de sa cécité ou de son aveuglement… La transposition est même plus facile pour nous aujourd’hui, car nous avons tant et plus de grands témoins de la foi. Nous pouvons leur faire confiance, car ils ont suivi les traces du Fils de Dieu, souvent jusqu’au don de leur vie. Et ils ont eux aussi donné la vie au monde.

     

    Dans la Règle de l’OFS, il est suggéré aux frères et sœurs de cet Ordre de mener une vie eucharistique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je vous invite à partager vos convictions sur cette invitation. Mais je peux vous dire ici que c’est notre vocation de tout donner dans la joie et l’action de grâces, à la suite du Christ ; c’est notre vocation d’être des pauvres qui chantent, notre vocation d’être tout entiers Paix et Joie pour tous.

     

    CHANT : Jésus qui m'as brûlé le cœur.

     

    2- Un Dieu Amour, qui se fait don total, encore aujourd’hui

    Il est grand le Mystère de la foi : Corps mystique, tête et Corps du Christ.

     

    L’essentiel à comprendre, en ce sacrement, c’est que Dieu se donne tout entier pour la vie du monde. A la fois, le Père, et le Fils et le Saint-Esprit. Il se donne entier, et nous appelle à nous donner tout entiers. C’est ce qu’avait compris François, lorsqu’il écrivait : N e gardez de vous, rien de vous pour que vous reçoive tout entiers Celui qui se donne à vous tout entier.

     

    Quel était ce don du Père pour la vie du monde ? C’était son propre Fils, unique, ce qui lui était le plus cher, s’incarnant avant tout pour nous montrer comment vivre, comment vivre pleinement notre humanité.

     

    Mais quel grand risque, inspiré par quel immense amour ! Une telle venue de Dieu dans la chair, avec le projet de respecter la liberté humaine, était très risquée : il envoyait son Fils à une aventure périlleuse, puisqu’il y avait sur terre beaucoup de Talibans obnubilés par leur projet à eux de fonder leur royaume sur la force. Notre Dieu, lui, fondait son projet sur l’amour seul, et malgré le risque, il avait confiance et la certitude que l’homme, sa créature, était capable d’entendre et d’accueillir son Fils, son appel à la conversion du cœur. Une Béatitude a d’ailleurs été prononcée par Jésus sur ceux et celles, les petits, qui l’accueilleraient, Lui et son message. Donc, un don total de la part du Père.

     

    Quel était ce don du Fils pour la vie du monde ? C’était sa propre vie, comme humain, à la suite de son message d’amour et de grâce. Sa passion et sa mort sont une conséquence de ses prises de position courageuses. Ce n’est pas le Père, ni l’Esprit, qui ont acculé Jésus à la mort violente : c’est le péché du monde, ce sont les humains. Mais Dieu n’est pas rancunier : il a ressuscité Jésus et envoyé l’Esprit Saint, accompagnant l’humanité dans son chemin vers la guérison et l’amour. Il nous est possible de vivre en Enfants de lumière. Donc, le don total de Jésus, signe du don total du Père.

     

    Quel était ce don de l’Esprit Saint pour la vie du monde ? C’était et c’est une Force qui se donne sans compter, et tout entier, aux témoins du Christ. Il est leur force intérieure, dans cet immense combat qu’est l’accession de l’humanité à plus de vérité. En même temps que cet Esprit renouvelle la face de la terre, il est particulièrement à l’œuvre dans l’Église, dans le cœur des croyants.

     

    C’est trop peu dire que Dieu nous donne des choses, la création, tous nos talents et tout ce que nous pouvons voir, entendre, toucher. Il se donne TOUT ENTIER LUI-MÊME. Un exemple peut nous aider à comprendre : quelqu’un vous donnerait tous ses biens, en cadeaux, ce serait inespéré ; mais quelqu’un qui, en surplus, se mettrait entièrement à votre service, jour et nuit, pour vous servir, ce serait le summum du don. C’est ainsi que Dieu se donne et François l’avait bien compris.

    LA SUITE  Eucharistie (entretien 2 de 4) R Bonenfant mai 2008