• QUAND LE PRÉCIPICE NARGUE L’ESPOIR - Chemins franciscains

     

    QUAND LE PRÉCIPICE NARGUE L’ESPOIR


    PIERRE PRUD’HOMME

     

    « Nous sommes au bord du précipice ! »

     Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU

     

    Redécouvrir le monde qui nous entoure, le considérer avec des yeux neufs pour percevoir tout ce qui vit avec tendresse et émerveillement. Revoir ainsi nos habitudes et sortir du sentiment d’impuissance.

    Le 20 avril dernier, alors même que je recevais l’invitation à collaborer à ce numéro de Chemins franciscains portant sur le thème « Un temps pour changer. Changer nos pratiques pour survivre », le journal Le Devoir, y faisait écho sous le titre « Le temps presse pour s’attaquer à la crise climatique, avertit l’ONU ». Antonio Guterres, secrétaire général de la plus grande organisation internationale, profitait de la sortie du rapport annuel de l’Organisation météorologique mondiale pour réaffirmer cette mise en garde : « Nous sommes au bord du précipice » !​

    Peut-on être plus clair ?

    « CONSIDÉRER AVEC DES YEUX NEUFS »


    En 2020, malgré le ralentissement des économies à cause de la COVID 19, les concentrations des principaux gaz à effet de serre ont continué d’augmenter ! Comment garder l’espérance quand on sait que nos gouvernements n’ont jamais respecté les cibles qu’ils se sont données et qu’ils continuent à investir dans les énergies fossiles malgré les avertissements répétés et de plus en plus préoccupants de la communauté scientifique ? 

    Devant une telle urgence, quel sens peut avoir une réflexion sur la nécessité de « redécouvrir » la nature comme force de changement ? En avons-nous même le temps ? « Redécouvrir » implique qu’on ait d’abord « découvert » ! Or, rendu à ce point de basculement et de précarité pour le bien-être des générations futures, à l’évidence, quelque chose nous a échappé dans nos « découvertes ». 

    Larousse définit « redécouvrir », entre autre, comme le fait de « considérer avec des yeux neufs ». Cette définition réfère à des choix personnels et fait appel à la nécessité, quand on réfléchit sur la nature menacée, de dire aussi quelques mots sur ce qui en est la cause, la nature… humaine ! 

    Des « yeux neufs » pour percevoir tout ce qui vit avec tendresse et émerveillement, des plus petits insectes et minuscules fleurs jusqu’aux plus gros mammifères et arbres géants faisant office de cathédrales ; un regard renouvelé pour les reconnaître comme nos « compagnons de voyage » sur la goélette Terre, selon le très beau titre d’un livre de Hubert Reeves. 

    Un regard avec les yeux du cœur posé sur les deux bernaches amerrissant sur la rivière des Prairies se laissant glisser sur leurs pattes palmées ; ou sur le canard colvert qui en chasse un autre qui s’approchait trop près de sa belle ; ou sur les écureuils enjoués se pourchassant avec une habileté déconcertante sur les fils électriques ou autour des troncs; ou sur la mouffette traversant paresseusement la rue dans la pénombre, sans s’inquiéter de l’intrus que je suis, et me rendant jaloux de sa nonchalance. 

    Comment ne pas se réjouir de la beauté des mélodies et des couleurs des cardinaux, des geais bleus, des chardonnerets, des carouges, qui viennent tour à tour s’alimenter dans nos mangeoires ? Ou des abeilles et autres pollinisateurs qui s’enfoncent dans les impatientes de Sibérie et héliopsis pour se gaver de leur suc, et s’envoler ensuite en laissant s’échapper le pollen qui assurera la reproduction de ces plantes ? 

    La beauté, la variété et la complexité des plantes et des animaux nous laissent stupéfaits et pantois et peuvent se déclamer à l’infini. L’espace est trop court ici pour en donner la juste mesure. Les très belles émissions Découverte avec Charles Tisseyre et Nature of things de David Suzuki ne cessent d’en témoigner.

    DES HABITUDES À REVOIR

    Si tout cela nous émerveille et nous ouvre à la gratitude du fait que nous faisons partie de tout cela, nous n’avons pas le droit de nous y complaire. Et c’est là que la « nature » humaine entre en jeu. Celle-ci a spontanément de fortes résistances à questionner et à changer ses habitudes. Devant l’urgence, je propose quelques champs d’habitudes à revoir. 

    Dans cette course effrénée métro-boulot-dodo, réapprendre le plaisir et les bienfaits de la lenteur et de la contemplation pour mieux voir la vie qui se déploie autour de nous et y découvrir notre interdépendance et non seulement des ressources à exploiter. 

    Peut-on aussi revoir notre rapport à la gratuité ? Notre présence auprès des personnes dans le besoin est importante et fait du bien à celles-ci tout comme à nous. Tout cela est foncièrement légitime. Mais peut-on prendre une part de ce temps de gratuité pour nous informer et lire sur les enjeux du réchauffement du climat, de la biodiversité, de la démocratie, de la lutte à la pauvreté, sur les organismes qui travaillent à relever ces défis et surtout, pour nous y impliquer ? 

    Pouvons-nous vraiment continuer à embrasser nos enfants et petits-enfants et à vouloir de tout cœur leur bien-être, sans parfois déposer notre regard sur les rapports du GIEC (Groupe international d’experts sur l’évolution du climat) ou sur ceux de l’Organisation mondiale de Météorologie (OMM) qui nous font part des conséquences extrêmes du réchauffement climatique causés par les gaz à effet de serre et de l’urgence de procéder à la transition énergétique ? 

    Régulièrement, les scientifiques de la Plateforme sur la biodiversité et les services écosystémiques reliée à l’ONU nous rappellent que la perte de la biodiversité est d’une telle ampleur qu’elle correspond à la sixième extinction de masse de la vie que la Planète a connue, menaçant notre propre survie. Sommes-nous curieux de leurs rapports ?

    ESPOIR ET SENTIMENT D’IMPUISSANCE

    L’urgence est réelle et côtoie la tentation du sentiment d’impuissance. Nos énergies étant limitées, nous ne pouvons être partout et tout faire. Mais l’espoir s’enracine dans le pouvoir que nous avons. Devenir membres d’organismes tels que Greenpeace, Équiterre, Fondation David Suzuki, Eau Secours, L’Action boréale, nous met, avec d’autres, dans l’action, et contribue à nous donner du pouvoir. C’est un puissant antidote au sentiment d’impuissance. 

    Car, eh oui!, du pouvoir, nous en avons ! Individuellement, nous pouvons choisir ce que nous mettons dans nos assiettes pour privilégier les produits locaux et les protéines végétales plutôt que les protéines animales. Nous pouvons opter pour des modes de transport et de consommation ayant le moins d’impact sur l’environnement. 

    Et collectivement, nous avons le pouvoir de refuser que nos gouvernements se servent de l’argent de nos impôts et de nos taxes pour financer des projets d’exploration et d’exploitations fossiles qui, par leurs gaz à effet de serre, précarisent les conditions de vie actuelles et futures des générations qui nous suivront. Nous avons le pouvoir d’appeler à la mise en place de politiques de transition énergétique audacieuses au niveau de l’aménagement du territoire, des normes de construction domiciliaires, du transport, surtout avec la richesse hydro-électrique que nous avons. 

    Dans le paragraphe 231 de son encyclique Laudato Si, le pape François nous rappelle que « l’amour, fait de petits gestes d’attention mutuelle, est aussi civil et politique ». Faisant de l’amour social la clef d’un développement authentique, il rajoute : « …joint à l’importance des petits gestes quotidiens, l’amour social nous pousse à penser aux grandes stratégies à même d’arrêter efficacement la dégradation de l’environnement et d’encourager une culture de protection qui imprègne toute la société. » 

    C’est là la condition de notre pouvoir de refuser d’être poussés vers le précipice et de garder ouverts des chemins d’espérance et de confiance en l’avenir.

     

    source https://www.cheminsfranciscains.ca/

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