• Si vous avez un l'intérêt pour l'archéologie : Une inscription de malédiction retrouvée sur le mont Ébal?

    L’objet de plomb du mont Ébal (photo © Michael C. Luddeni)

    Une inscription de malédiction retrouvée sur le mont Ébal?

    Éric BellavanceÉRIC BELLAVANCE | 11 DÉCEMBRES 2023

    En mars 2022, l’archéologue Scott Stripling et une équipe de l’Associates for Biblical Research (ABR) ont tenu une conférence de presse à Houston pour déclarer qu’ils venaient de trouver le plus ancien texte utilisant un alphabet proto-hébraïque qui, de plus, contenait le nom du Dieu d’Israël en forme abrégée (YHW).

    L’objet en question est une minuscule « tablette » de plomb d’à peine 2 cm par 2 cm qui, pour des raisons que l’on ignore, aurait été pliée en deux. L’inscription daterait d’environ 1200 av. J.-C., date à laquelle on situe habituellement la conquête de Canaan, à l’époque de Josué. Elle contiendrait des écritures tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. C’est grâce à une technique d’imagerie, la tomographie, que le contenu à l’intérieur de la tablette aurait été obtenu. Pas moins d’une quarantaine de lettres auraient été identifiées! Je vous rappelle que l’objet est très petit. Selon la traduction de l’équipe de l’ABR, nous aurions un texte de malédiction qui se lirait ainsi : « Vous êtes maudits par le dieu YHW, maudits! Vous allez mourir, maudits ; maudits, vous allez assurément mourir. Vous êtes maudits par YHW, maudits! »

    Si la découverte s’avère véridique, il s’agirait d’un objet tout à fait exceptionnel qui démontrerait que les Israélites maîtrisaient l’écriture avant même leur installation dans le pays de Canaan. Et que des textes bibliques auraient pu être mis par écrit à l’époque de l’Exode, de la « conquête » de Canaan, etc. [1] Cette découverte remet donc en question la tendance en études bibliques qui suggère que la majorité des textes bibliques n’ont pas été écrit avant le 8e siècle av. J.-C.

    Comme toujours, il faut être prudent et ne pas s’emballer trop rapidement. C’est pourtant le piège que l’équipe d’archéologues et d’épigraphes de l’ABR ne semblent pas avoir évité en annonçant la découverte de l’objet dans les médias traditionnels avant même d’avoir publié les résultats dans une revue scientifique. Cette hâte contribue à soulever des doutes quant l’authenticité de la tablette et de sa véritable valeur historique. Il est même possible, selon certains spécialistes, qu’il n’y ait tout simplement pas d’inscription sur l’objet en question…

    Avant de parler de la découverte et de l’objet lui-même, il est nécessaire de revenir brièvement sur les fouilles qui ont eu lieu sur le mont Ébal dans les années 1980. Ces travaux se sont déroulés sous la conduite de l’archéologue israélien Adam Zertal (1936-2015)  de l’Université de Haïfa. L’archéologue et son équipe ont découvert les fondations de ce qui pourrait avoir été un autel au sommet du mont Ébal. Le site aurait été occupé au 13e siècle pendant une brève période. Même s’il est à peu près impossible de déterminer la fonction exacte de cette construction, Zertal est d’avis qu’il s’agit de l’autel construit par Josué peu après l’entrée des Israélites en Canaan (voir Josué 8,30). Cette interprétation ne fait évidemment pas l’unanimité [2].

    L’annonce de la découverte

    Habituellement, avant de faire une déclaration publique, surtout pour une nouvelle de cette ampleur, les chercheur.e.s publient leurs découvertes dans une ou des revues spécialisées pour avoir l’avis de leurs pairs. Cette procédure n’a pas été respectée ici. Les résultats préliminaires ont été annoncés avant qu’une analyse sérieuse et indépendante ait été effectuée. Pourquoi avoir procédé ainsi? Selon les membres de l’équipe de Stripling, c’est parce que la découverte était trop importante et il fallait que le grand public en soit informé aussitôt. Encore une fois, cette manière de faire est plutôt inhabituelle. Par ailleurs, l’équipe a fait l’annonce d’une découverte et non pas d’une possible découverte. Lorsque la nouvelle a été annoncée, personne ne pouvait commenter. Parce que personne n’avait accès à l’objet et à la supposée inscription.

    Il a fallu attendre un peu plus d’un an pour que l’équipe de l’ABR publie le fruit de ses recherches dans la revue Heritage Science [3]. Mais seulement une partie de l’inscription y est présentée : celle à l’intérieur et non pas à l’extérieur. L’article est hautement spéculatif si bien que bon nombre de spécialistes sont toujours (ou encore davantage) sceptiques après la publication des résultats. Certains vont même jusqu’à prétendre qu’il est impossible d’identifier une seule lettre avec certitude! C’est le cas de l’épigraphe Christopher Rollston de l’Université George Washington qui est catégorique : il ne s’agit pas d’une inscription israélite du 13e siècle. Et le chercheur va encore plus loin : aucune lettre n’est réellement perceptible. Tout ne serait que spéculation puisque les lettres proposées ne correspondent pas aux images publiées…

    Mais la controverse ne s’arrête pas là. Le fait que l’équipe ait découvert une minuscule inscription contenant selon leurs dires une formule de malédiction, sur le mont Ebal, a de quoi faire sourciller. Qu’un texte de malédiction ait été trouvé sur un mont associé aux malédictions (voir Deutéronome 11,29) pourrait se justifier et constituer une découverte extraordinaire. Mais la rapidité avec laquelle Stripling l’a associée à un texte de malédiction est, à mon humble avis, un peu suspecte. En voyant la tablette – dont l’intérieur est illisible sans une analyse tomographique – lui et son équipe ont immédiatement su qu’ils avaient trouvé un texte de malédiction. Sur la montagne de la malédiction par surcroît [4]. Il faut savoir que l’objectif de l’ABR est de « démontrer la fiabilité historique de la Bible à travers la recherche archéologique et biblique ». Leur agenda n’est pas caché!

    Le fait que Zertal (qui a d’abord fouillé le site dans les années 1980) n’ait pas identifié l’objet pour en faire une analyse plus poussée pose aussi problème. Comment Zertal aurait-il pu manquer une inscription aussi importante? S’il s’agit bien d’une inscription… Et le fait que la découverte de l’objet ne s’est pas faite dans le cadre d’une fouille archéologique en bonne et due forme pose aussi problème. L’objet est donc impossible à dater avec certitude. Mais ce n’est pas assez pour ébranler les convictions de Stripling et de son équipe. Il affirme que les débris où l’objet a été trouvé devaient provenir de l’endroit où l’autel que Zertal datait du 13-12e siècle a été retrouvé. C’est possible, mais impossible à prouver. Le fait que lui et son équipe ne donnent pas dans les nuances est aussi problématique. Ils sont convaincus de la date, du contenu de l’inscription, etc. Et l’équipe rejette systématiquement toute critique ou remise en question. À leur défense, la communauté scientifique est généralement critique envers les découvertes potentiellement spectaculaires. On peut penser aux manuscrits de la mer Morte. Certains ont d’abord suggéré qu’il s’agissait de faux. On peut également penser aux « faux de Shapiro [5] ». À mettre dans la même catégorie? Sans doute, mais avec des nuances. L’objet retrouvé n’a pas été fabriqué. Mais il se pourrait que l’on ait « fabriqué » une signification à cet objet. Impossible à lire à l’extérieur, mais possible à lire à l’intérieur avant d’en faire l’étude…

    Reconstitution du texte

    Reconstitution du texte à l’intérieur de la tablette par Gershon Galil

    Les enjeux théologiques

    Il faut voir les enjeux théologiques derrière cette découverte. Les auteurs semblent vouloir démontrer que les anciens Israélites savaient écrire beaucoup plus tôt qu’on pouvait le penser. Et donc prouver que les récits bibliques sont plus anciens que ce qu’on affirme bien souvent. Bref, que certains récits auraient pu être composés directement à l’époque de Moïse, de Josué, etc. C’est clairement l’objectif de cette équipe. Selon le directeur des fouilles de l’ABR, Scott Stripling, cette inscription prouve que les Israélites avaient la capacité d’écrire les textes bibliques à partir d’une date très ancienne. Lors de la conférence de presse initiale, il affirmait que l’on ne peut plus prétendre sans détour que les textes bibliques n’ont été écrits qu’à l’époque perse ou à l’époque hellénistique. C’est un peu simplifier les choses, mais bon… En se basant sur cette inscription à peu près illisible, l’un des épigraphistes du projet, Gershon Galil de l’Université de Haïfa, va plus loin. Peut-être un peu trop loin même en affirmant que le scribe de cette tablette aurait pu écrire tous les chapitres de la Bible. Déjà à cette époque. Et tout cela basé sur un petit carré de plomb, à peu près illisible… Ne contenant que quelques lettres. Si ce sont bien des lettres…

    Il faut admettre que cette inscription pose problème. La mise en doute de la datation d’une inscription ou de son authenticité est chose courante. Mais, remettre en doute le fait qu’il y ait bel et bien une inscription sur un objet, une tablette, etc., est plutôt rare. Très rare. En fait, je n’ai pas d’autres exemples! Il faut admettre que les photos ne permettent pas de lire quoi que ce soit. Il faut vraiment faire preuve d’imagination. Au mieux, on pourrait dire qu’il y a des signes qui pourraient ressembler à des lettres, mais de là à faire la traduction d’un texte suivi, il y a une différence. Je conclurai en disant ceci : pour le moment, il y a peu de faits et beaucoup de spéculation… Et très peu d’objectivité de la part des « découvreurs ». Désolé chers lecteurs, chères lectrices, mais l’historien/exégète en moi n’est pas convaincu. Donc, à suivre!

    Éric Bellavance est historien et bibliste. Il est chargé de cours aux universités de Montréal, McGill et Concordia.

    [1] Nous mettons le terme « conquête » entre guillemets puisque l’idée voulant que les Israélites aient conquis militairement le pays de Canaan a été abandonnée depuis plusieurs années.
    [2] À ce sujet, vous pouvez lire l’article de Ralph K. Hawkins « Israelite Footprints. Has Adam Zertal Found the Biblical Altar on Mt. Ebal and the Footprints of the Israelites Settling the Promised Land? », Biblical Archaeology Review 42:2, Mars/Avril 2016, pp. 44-49.
    [3] Scott Stripling et al., « “You are Cursed by the God YHW:” an early Hebrew inscription from Mt. Ebal », Heritage Science 11:105 (2023).
    [4] Le contenu pourrait faire référence à la cérémonie du renouvellement de l’alliance sur le mont Ébal, décrite au chapitre 27 du livre du Deutéronome et du chapitre 8 dans le livre de Josué.
    [5] À ce sujet, lire mon autre article : « Archéologie et contrefaçon : d’hier à aujourd’hui ».

    Archéologie

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    Initiée par Guy Couturier (1929-2017), professeur émérite à l'Université de Montréal, cette chronique démontre l'apport de l'archéologie à une meilleure compréhension de la Bible. Au rythme d'un article par mois, nos collaborateurs nous initient à la culture et à l'histoire bibliques par le biais des découvertes archéologiques les plus significatives.

    SOURCE http://www.interbible.org/

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