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    Une procession messianique déconcertante

    Fresque de Giotto représentant l'entrée de Jésus Christ dans Jérusalem.

    Le complot contre Jésus : Marc 14, 1 - 15, 47

    Autres lectures : Isaïe 50, 4-7; Psaume 21(22); Philippiens 2, 6-11

    L’Évangile selon Marc est le premier témoignage écrit des derniers jours de la vie de Jésus. Sa façon de raconter l’entrée de Jésus à Jérusalem est étonnante. Il propose au lecteur diverses pistes pour reconnaître qu’il s’agit bien du Messie; pourtant, en même temps, il montre que le type de messianisme de Jésus n’est pas du tout ce qui était attendu. Je vous propose de nous arrêter sur quelques détails pour mieux comprendre : l’âne, le mont des Oliviers, les hosannas et les vêtements sur la route pour mieux comprendre cette entrée ambiguë et paradoxale.

    Comment emprunter un âne pour révéler le plan de Dieu?

         L’entrée de Jésus à Jérusalem sur le dos d’un ânon n’a rien d’anodin. Au contraire, il s’agit d’un élément extrêmement révélateur. De la même façon que les disciples empruntent un ânon à un habitant de la banlieue de Jérusalem, Marc emprunte une référence du livre de Zacharie : Voici que ton roi s’avance vers toi : il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne – sur un ânon tout jeune (Za 9,9).

         Il faut savoir qu’à l’époque de Jésus, il n’y avait pas une pensée unique au sujet du messie à venir. Plusieurs anticipaient un roi-messie qui agirait comme un nouveau David pour redonner au peuple juif son autonomie politique par une victoire militaire devant l’occupation romaine. D’autres anticipaient un messie sacerdotal, de la lignée d’Aaron et des prêtres du Temple pour rétablir l’alliance avec Dieu et un culte saint. Il y avait donc plusieurs textes qui circulaient à l’époque et qui étaient interprétés de diverses manières selon le type de messie qu’on voulait mettre de l’avant.

         Le livre de Zacharie auquel Marc fait référence par l’emprunt de l’âne, propose un roi-messie qui permettra la paix avec les autres nations selon les idéaux de la tradition prophétiques : l’attention aux pauvres, la justice, l’humilité, la paix. En Zacharie, il y a bien un lien avec la figure de David, mais la gloire messianique et les victoires militaires sont remplacées par le dépouillement, le rejet et même l’échec du messie. Ce texte de l’Ancien Testament a certainement nourri la réflexion des premiers chrétiens. En empruntant cet ânon, Marc oriente son lecteur pour qu’il comprenne que Jésus ne sera pas un messie triomphant tant attendu, mais plutôt un messie humble et rejeté.

         Notons aussi que l’emprunt de l’ânon ainsi que l’emprunt de la salle pour manger la Pâque (14,12-16) sont deux détails qui montrent la pauvreté radicale de ce « roi » qui n’a rien pour lui. Il doit emprunter les biens des autres pour tenir jusqu’au bout. D’ailleurs, à sa mort, il ne lui restera plus que son vêtement à partager.

    Le mont des Oliviers : un départ significatif

         Le choix du mont des Oliviers comme point de départ est aussi significatif. D’une part, c’est le lieu de la fuite de David devant son propre fils Absalom lorsque celui-ci prend Jérusalem dans un coup d’État (2 S 15,30). David humilié se cache sur cette colline associée alors à l’humilité. D’autre part, la tradition s’est développée que le messie allait entrer à Jérusalem en passant par le mont des Oliviers. En ce jour-là, ses pieds se poseront sur le mont des Oliviers qui est en face de Jérusalem vers l’orient (Za 14,4). Encore aujourd’hui, beaucoup de Juifs tiennent à cette croyance et achètent des lots pour être enterrés (à des prix de fous) sur le mont des Oliviers pour être aux premières loges à l’entrée du messie dans la ville sainte.

    Un cri messianique

         « Hosanna Seigneur, hosanna la victoire! Hosanna Seigneur, hosanna le triomphe! » (Ps 118,25).

         Hosanna vient du verbe hébreu hôshîa qui peut se traduire par « sauver », « donner le salut » ou « donner la victoire ». On récitait ce psaume à voix haute à la fête de Pâque, à la fête des tentes et à d’autres occasions. Hosanna devient l’acclamation populaire lors des jours de fête et des processions. Il est aussi une prière de supplication demandant l’aide permanente de Dieu ou un cri de louange.

         Le septième jour de la fête des Tentes, lors d’une procession avec des rameaux à la main, on chantait des litanies avec « hosanna » comme refrain. Le cri du « hosanna » porte donc en lui l’attente messianique.

         Dans le récit de l’entrée de Jésus à Jérusalem. Marc cite le Psaume 118, 26 pour l’appliquer à Jésus, le messie entrant à Jérusalem : Hosanna, béni soit au nom du Seigneur celui qui vient (11, 9).

         Remarquons qu’à la suite de l’acclamation de la foule, le narrateur souligne que c’est déjà le soir. Ironiquement, Jésus vient à peine d’entrer à Jérusalem et, un verset plus loin, après une brève visite du Temple, il retourne déjà vers la banlieue de Béthanie. S’il visait une entrée triomphale, il faut admettre que c’est un peu raté… Mais justement, ce n’est pas l’heure du triomphe de Jésus, au contraire. Alors que le lecteur croit qu’il arrive à un moment crucial du récit, le narrateur fait durer la tension.

    Des vêtements piétinés

         Dans notre culture, une tradition romantique qui s’est perdue enseignait aux hommes qu’il fallait poser son manteau sur une flaque pour que sa femme puisse passer à pied sec. Dans la tradition biblique, le geste d’une foule qui place ses vêtements sous les pas de celui qui arrive fait penser à la procession en l’honneur de Jéhu après son onction royale (2 Rois 9, 13). Le récit du livre des Rois montre à quel point Jéhu était un usurpateur qui va jusqu’à assassiner pour obtenir le pouvoir. En utilisant le même symbole des vêtements sous les pieds pour Jésus, le récit souligne la différence entre ces deux personnages. Les deux sont rois, mais ils le sont d’une façon complètement opposée.

    Une procession anti-impériale

         Dans son ensemble, la procession de Jésus nous semble un peu bizarre. Au centre de la parade, on retrouve un homme assis sur un âne. Et encore, il s’agit d’un ânon. Le pauvre petit, espérons qu’il pouvait porter le point d’un homme mûr. Puis, la foule qui le suit et le précède l’acclame avec des feuillages… En termes contemporains, on pourrait dire qu’on est loin du défilé de la coupe Stanley! En termes de l’époque, on pourrait plutôt comparer cette procession avec l’entrée triomphale des empereurs. En effet, à cette époque, pour montrer leur puissance et leur importance, les rois et empereurs de l’Antiquité entraient dans une ville avec toute une mise en scène. Ils arrivaient sur un chariot tiré par des chevaux de guerre sous les acclamations de la foule. Des esclaves représentant les peuples soumis et des victuailles le précédaient alors que son armée le suivait. La vue d’un tel spectacle était si impressionnante que l’Empereur était certainement perçu comme plus grand que nature. Pour eux, il était mis en place par les dieux de l’empire.

         Lorsqu’on compare l’entrée de Jésus à Jérusalem avec les processions impériales, on ne peut qu’opposer les deux. À dos d’ânon, Jésus est montré comme un roi-messie, mais pas du tout comme ceux qui étaient au pouvoir. En fait, cette procession montre à quel point Jésus n’est pas un roi comme les autres. Il est humble et sans armée. Il ne cherche pas à impressionner et à imposer son joug. En voyant ce roi, assis sur un ânon, par la référence au livre de Zacharie, le lecteur perspicace peut déjà deviner que c’est le rejet qui attend ce roi-messie si différent des autres. 

    Une entrée ambiguë et paradoxale

         Loin d’une entrée triomphaliste, le récit de Marc montre Jésus comme un messie paradoxal. Il est humble et porteur de paix. Il n’a qu’un ânon comme monture. Et, tout de suite après son entrée, il sort de la ville. Non, ce n’est pas à ce moment qu’il sera glorifié. D’une certaine façon, ce récit anticipe la passion. Jésus ne sera pas un roi militaire, au contraire, c’est lui qui se fera exécuter par l’autorité politique et religieuse. Mais, en poursuivant la lecture, on verra que l’histoire ne se termine pas là... Le vrai triomphe est celui de la résurrection. 

     Sébastien Doane, bibliste

     Source : Le Feuillet biblique, no 2440. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

    source www.interbible.org
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