• Jérusalem, au sommet de ma joie - Revue Message


    (extrait de « MESSAGE » Janvier - Février 2014 )

    Commentaire biblique

    Jérusalem, au sommet de ma joie

    Il y a quelques années, Albert Cohen, ce grand écrivain juif qui avait alors plus de
    quatre-vingts ans, était interviewé à la TV. Il se disait non-croyant, mais priait Dieu de lui donner la foi, avec la confiance d’un petit enfant et les accents d’un authentique mystique. A la question : Est-il un passage de la Bible que vous pourriez encore citer par coeur ?
    Il se mit à réciter le psaume 137 (136), sans même se souvenir où ce texte pouvait
    bien se situer dans le Livre Saint. Du fond de son inconscient collectif, ce psaume
    était remonté à sa mémoire.
    On pourrait, je crois, interroger n’importe quel Juif, la réponse serait probablement la même. Pour Israël, le psaume 137 (136) est le psaume par excellence, celui où tout
    un peuple se reconnaît et retrouve les dominantes de sa vocation : l’Exil, la Mémoire,
    la Passion pour Jérusalem, l’Espérance.

    L’Exil à Babylone a été la terre où ce psaume a pris naissance.
    C’est la première grande catastrophe nationale qui a secoué Israël, en ses racines,
    depuis la Sortie d’Egypte. Celle qui a marqué de la façon la plus décisive le visage du
    Judaïsme.
    C’était en 586 avant J.-C., et l’on en fait encore mémoire aujourd’hui le 9 du mois d’Av. Nabuchodonosor, roi de Babylone, après un long siège, a rasé Jérusalem, profané et pillé le Temple, et emmené la population en captivité. Cet exil allait durer une cinquantaine d’années.

    Le psaume137 (136) est une sorte de flash sur une journée en terre étrangère, qui a
    été déterminante pour la survie de la Communauté en tant que Communauté juive.
    Elle a su voir à temps ce qui allait être la mort pour elle, et réagir vigoureusement en
    se souvenant de Sion.

    La scène s’est probablement déroulée au sud-est de Babylone, où s’était installé un
    grand nombre de déportés. Vaste plaine marécageuse, entre le Tigre et l’Euphrate,
    quadrillée de canaux d’irrigation. De l’eau et encore de l’eau… Lieu inhospitalier s’il
    en fût pour des gens habitués aux collines et au désert de Judée. On comprend leur
    désespérance !
    Au bord des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions, nous souvenant
    de Sion…
    Tableau poignant.
    Ces mots créent une atmosphère déliquescente de morosité et de nostalgie. La tentation du fleuve… celle de la dissolution. On se laisse porter et emporter par le courant. Les exilés sont assis, accablés, ils n’ont plus le courage de se redresser. Ils ont suspendu leurs harpes, aux saules. Tout ce qui est festif est suspendu. Plus de musique, ni de chants ni de danses. Ils ressassent leur malheur, en pensant à leur patrie perdue. Parce que Sion, la bien-aimée, n’est plus, ils sont prêts à s’assimiler à ce qu’ils ont appris à détester le plus : Babylone.
    Babylone, Babel, c’est l’anti-Sion où tout est inversé, mélangé. Son nom même signifie
    confusion. Or, pour Israël, la confusion des valeurs est pire que leur disparition. Ici, cette tentation est diffuse partout. C’est le Mal écrasant l’homme. Tout ceci est signifié par l’eau, symbole de l’indéterminé, de l’indistinct, du chaos.

    Paysage autant spirituel que géographique. Tout se fond et se confond, noyé dans l’eau. En ne réagissant plus, les captifs risquent de se faire complices des valeurs de l’ennemi, et de trahir leur identité. Mais douter de son identité, pour Israël, c’est douter de Dieu, et remettre en question l’élection.
    C’est le moment que choisissent leurs bourreaux pour leur faire une demande, à la
    fois ironique et méchante.
    Chantez-nous des chansons, des airs joyeux, disent-ils à des gens qui pleurent.
    Mais pire : chantez-nous quelque chant de Sion, ceux qu’on ne chante que dans le
    Temple, au vrai Dieu. C’est de la provocation. C’est la fidélité du peuple qui est en jeu.
    Il est à l’endroit exact où il doit se déterminer. La tentation du fleuve prend corps, et se solidifie.

    Mais là, l’ennemi a manqué de psychologie. Il a prononcé un mot de trop : Sion.
    Entendre le nom de Sion dans la bouche de ces ennemis idolâtres, c’est la pire des
    humiliations. Celle qui fait déborder la coupe, mais qui va lui permettre de se ressaisir.
    Sa réaction est d’une violence inouïe. C’est un cri du coeur :
    Comment chanterions-nous, un chant du Seigneur sur une terre étrangère ?
    Peut-on galvauder les hymnes du Très-Haut sur une terre souillée par les idoles, pour
    amuser le vainqueur et s’attirer ses bonnes grâces ?
    Le musicien sacrilège n’aurait plus ni mains ni voix pour la fête !
    Sa colère est une protestation de fidélité à Dieu et à la Cité sainte, ce qui, pour le
    psalmiste est en définitive la même chose. Cette confession passionnée de Dieu qui
    se traduit par un attachement indéfectible à Jérusalem est le coeur du psaume :
    « Si je t’oublie, Jérusalem…» Pour lui c’est la pire des choses qui pourrait lui arriver.
    Se souvenir, c’est actualiser, mais oublier c’est annuler.
    C’est consentir aux séquelles du désastre, alors qu’il faudrait être dans le deuil, tant
    que Sion n’a pas retrouvé son éclat d’antan. Oublier Jérusalem, c’est oublier Dieu.

    Cet attachement à Sion est tel, qu’il ose proférer des malédictions terribles contre lui-même : Si je perds ton souvenir, que mon sort soit pire que celui de la déportation !

    Que ma main droite se dessèche… Que je ne puisse plus toucher les cordes de ma harpe ! Que ma langue colle à mon palais… Que jamais plus, je ne puisse louer !
    C’est là, le malheur le plus absolu, pour un Juif. La louange étant ce qui donne sens à
    sa vie. Il veut, à n’importe quel prix, se souvenir de Jérusalem et l’élever au sommet de sa joie.
    Jérusalem est sa mère. Peut-on oublier sa mère ? Son exil même est une route vers
    Jérusalem.
    Ses prières, ses chants, ses nostalgies sont orientés vers elle. Videz le Juif de la dernière goutte d’une conscience juive, il reste dans l’intériorité invulnérable de son méta-conscient une phrase aussi pure qu’un rêve d’enfant, aussi superbe qu’un envol d’aigle aux ailes déployées, aussi émouvante que l’écho de l’amante à la voix de l’amant, aussi frémissante d’espérance que de certitude : l’an prochain à Jérusalem.

    Un pareil amour justifie-t-il la dernière malédiction, la plus atroce, contre ses ennemis, celle-là : Heureux qui saisira tes enfants pour les briser contre le roc.
    Mais de quel roc s’agit-il ? Car dans la plaine de Babylone, il n’y a pas de rocher.
    Le Roc, c’est l’antithèse de l’eau, c’est ce qui est solide, fiable.
    Pour Israël, ce mot évoque le Rocher primordial, celui sur lequel est bâtie Jérusalem.
    Et ce Roc, c’est Dieu.
    Briser les bébés sur le roc, c’est les jeter sur le Coeur de Dieu. Même Babylone aura
    donc un avenir, car Sion est mère, en elle chacun est né, et elle ne renie aucun de ses
    enfants.
    Je cite l’Egypte et Babylone entre celles qui me connaissent (ps. 87 (86)).
    Et du plus lointain de Babylone, une voix prophétique s’élève : Consolez, consolez
    mon peuple, dit votre Dieu. Oui, dans Jérusalem vous serez consolés, vous verrez,
    votre coeur se réjouira et vos os revivront comme l’herbe reverdit. (Esaïe)

    L’avenir est dans l’espérance. Et Israël est le pays où l’espérance est la plus forte.

    Soeur Marie-Dominique, osc

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