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La force de l’humilité et du service : de François d’Assise à nous - frère Louis Cinq-Mars
- Entretien donné lors de la fête de saint François d'Assise, 4 octobre 2014 dans le cadre du 125e anniversaire de la paroisse St-François d'Assise d'Ottawa, Canada par le frère Louis Cinq-Mars, ofmCap Provincial de l'Ordre des frères mineurs capucin pour le Québec.
La force de l’humilité et du service : de François d’Assise à nous
- Introduction
2015 sera l’occasion de célébrer un double anniversaire ! En effet, le 125e anniversaire de la paroisse saint François d’Assise d’Ottawa est indissociable du 125e anniversaire de l’arrivée des Capucins français au pays. C’est aussi l’occasion de célébrer et de rappeler l’héritage du pauvre d’Assise qui est l’initiateur de la forme de vie des Capucins et le saint patron de cette paroisse.
Qu’a à nous dire François d’Assise aujourd’hui ? Son expérience peut-elle nous inspirer et nous guider dans les situations que nous rencontrons ? Qu’est-ce qui a tant fasciné ses contemporains ? Bien que l’époque de François et la nôtre soient séparées par 800 ans d’histoire, elles ont, me semble-t-il quelques caractéristiques communes. Par exemple :
1) La société de François, tout comme la nôtre, est fascinée par le pouvoir, les possibilités et le prestige que donne l’argent ;
2) Elles recourent aisément à la violence pour gérer les conflits ;
3) La société de François, tout comme la nôtre, vivait une profonde transformation des rapports humains et des mentalités.
Qu’est-ce qui caractérise l’époque où nous vivons ? Par exemple : la vitesse et l’action, la productivité et le profit, l’exclusion des plus faibles, la compétition (tant au plan interpersonnel qu’international), une culture de fascination pour la nouveauté perpétuelle (surtout technologique), l’instrumentalisation des rapports humains et de la création.
Courir, s’agiter, faire à la hâte, travailler sans arrêt, réagir dans l’instant d’un clic ou d’un texto, répondre aux sollicitations incessantes, avoir des comportements conditionnés par la mode ou les média, répéter les opinions toutes faites, consommer au maximum, voilà ce que nous devons faire pour être heureux, exister et impressionner les autres.
Le salut s’identifie maintenant avec le succès et la réussite et, au nom de cette promesse de bonheur et de plénitude, nos contemporains sont prêts à tout sacrifier …
François d’Assise a vécu des sollicitations semblables et a été tenté par leurs mirages. Que nous propose-t-il ? Une alternative ? Une manière différente de vivre ? Oui ! Pour François d’Assise, nous propose un art de vivre, une spiritualité, originale qu’il a puisée dans la contemplation silencieuse du Crucifié et de son incarnation. Quelle est donc son intuition fondamentale ?
- Intuition fondamentale
François n’est ni un théologien académique ni un philosophe. C’est un mystique et un amoureux du Christ. De sa contemplation du crucifié et de son incarnation, François découvre cette intuition fondamentale : en Jésus Christ Dieu se fait humble et pauvre pour nous. Pour François, l’humilité de Dieu nous est révélée par l’humilité du Christ (celle de sa naissance, de sa forme de vie et sa mort abjecte sur la croix). C’est le Christ qui nous conduit dans le mystère de Dieu et nous révèle le cœur de Dieu.
L’humilité, la pauvreté et le service sont des choix de Dieu ; des choix qui révèlent l’être profond de Dieu à l’image duquel nous sommes créés. Des choix qui conduisent au bonheur, et qui ont le pouvoir de transformer le monde. C’est en contemplant la posture et les choix du Christ Jésus dans l’histoire que François découvre l’humilité ou l’humiliation de Dieu ; l’humilité de Dieu est révélée dans l’humilité du Christ.
« Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l'égalait à Dieu. Mais il s'anéantit lui-même, prenant condition d'esclave, et devenant semblable aux hommes. S'étant comporté comme un homme, il s'humilia plus encore, obéissant jusqu'à la mort, et à la mort sur une croix ! » (Ph 2, 6)
- Qu’est-ce que l’humilité ?
Le mot humilité trouve sa racine dans le mot latin humus (terre). L’humus est à la fois un mélange de mort acceptée et de promesse de vie …
L'humilité est généralement considérée comme la qualité de celui ou celle qui se voit en vérité, de façon réaliste et surtout tel que Dieu le voit. L'humilité n’est pas à confondre avec le mépris de soi ni avec les visions déformées ou les fausses croyances que l'on peut avoir de soi-même. L’humilité s’oppose à une préoccupation excessive de soi-même, à l’orgueil, l’égocentrisme, le narcissisme.
L'humilité n'est pas une qualité innée chez l'être humain, on considère communément qu'elle s'acquiert avec le temps, le vécu et qu'elle va de pair avec une maturité affective ou spirituelle. Elle s'apparente à une prise de conscience de sa condition humaine et de sa place réelle et limités au milieu des autres et de l'univers.
L’humilité concerne avant tout le sens du réel : cette vision claire par laquelle nous nous connaissons tels que nous sommes, sans vaine complaisance. C’est donc une attitude par laquelle on ne se place pas au-dessus des choses ou des autres et par laquelle on respecte ce dont la providence nous a gratifié. L'humilité consiste, sans méconnaître ses qualités, à admettre que l'on n'y est en fin de compte pas pour grand chose.
L'humilité n'est pas forcément liée à la manière dont on se montre aux autres, ainsi la modestie n'est qu’une "démonstration" d'humilité que peut tout-à-fait réaliser une personne dépourvue d'humilité. De même, la fierté n'est pas incompatible avec l'humilité, on peut être fier de soi pour ce qu'on a réalisé, justement parce que nous avons assez d'humilité pour prendre conscience de notre juste contribution.
En court …
- L’humilité est une attitude qui implique la connaissance de soi (mes limites, mes blessures, mes peurs mais aussi mes capacités, mes besoins, mes dons etc.) et l’acceptation du réel.
- Elle implique l’authenticité et la vérité avec soi-même, les autres et Dieu.
- L’humilité me permet d’offrir ma contribution et de donner la vie à partir de ce que je suis réellement (non ce que j’aimerais être, ce qu’il faudrait être ou ce que les autres attendent de moi…)
- La vraie humilité demande du courage. Elle est réponse à l’appel de Dieu qui m’invite à m’accueillir tel que je suis avec ma part d’ombres et de lumière, de grandeurs et de faiblesses, les choses que j’aime et celles que je n’aime pas dans mon histoire.
Donc : au cœur de la foi chrétienne il y a donc ce mystère du choix de Dieu de devenir l’un de nous : l’incarnation. Choix libre qui implique de connaître tout de notre condition humaine, sauf le péché, y compris notre fragilité et notre vulnérabilité.
D’ailleurs, c’est ce même mystère de l’incarnation qu’il reconnaît dans l’eucharistie : «Voici, chaque jour, il s’humilie comme lorsque, des trônes royaux, il vint dans le ventre de la Vierge ; chaque jour, il vient lui-même à nous sous une humble apparence ; chaque jour, il descend du sein du Père sur l’autel dans les mains du prêtre » 1 1 ADM 1, 16-18
Remarquer ici le mouvement d’humiliation choisit par Dieu : venir vers nous, descendre. Ailleurs François dira : s’abaisser … Librement, le Très Haut devient chaque jour le Très Bas !
Ce choix libre de Dieu est un mouvement d’abaissement vers nous, pour que nous puissions le connaître tel qu’il est. Un mouvement d'abaissement par lequel le Christ « se vide » de ses attributs divins pour rejoindre notre humanité jusqu'à vivre la mort sur la croix.
C’est ce mouvement qui en théologie est décrit par le terme kénose. De sa naissance à sa mort (au moment d’entrer librement dans sa passion), la vie de Jésus est en cohérence avec le choix d’une descente libre et joyeuse dans la vulnérabilité de notre condition humaine, dans les limites du temps et de l’espace, dans l’histoire.
Le verbe éternel de Dieu est venu à nous en quête d’une demeure. Il trouve une demeure dans le sein de l’humble vierge Marie où il accepte la pauvreté et la vulnérabilité de son corps. Il naît dans une pauvre étable et grandit dans le petit village de Nazareth.
François est fasciné par ce mouvement de Dieu vers nous. Dans les Évangiles, il découvre que Jésus semble être toujours en mouvement, sur la route avec ses disciples. C’est pourquoi François parle de suivre les traces du Seigneur parce qu’Il marche devant lui. François a une image dynamique et en mouvement de Jésus.
C’est en contemplant Jésus qui est en mouvement, sur la route, que François découvre un Dieu qui est aussi en mouvement qui vient sans cesse à nous pour nous rencontrer. En suivant les traces du Christ, François découvre que Dieu descend vers nous pour nous rencontrer là où nous sommes et il découvre Dieu sous des formes les plus inattendues : la chair défigurée du lépreux, les plaintes de ses frères, la lumière du soleil etc.
- L’humilité pour François d’Assise
Pour François, l’humilité est à la fois un idéal personnel et communautaire ; il va développer une manière de vivre et de se comporter concrètement de façon humble et pauvre dans toutes les situations et dans nos rapports aux autres. Pour François, l’humilité a plusieurs dimensions :
1) Une dimension morale :
- Ne pas se comparer ni envier les autres. « Bienheureux le serviteur qui ne s’exalte pas davantage du bien que le Seigneur dit et opère par lui que de celui qu’il dit et opère par un autre »2
- Ne rien s’attribuer à soi-même mais reconnaître que tout vient de Dieu : «Bienheureux le serviteur qui ne se tient pas pour meilleur lorsqu’il est magnifié et exalté par les hommes que lorsqu’il est tenu pour vil, simple et méprisé »3
Donc : reconnaître que tout vient de Dieu (tant chez moi que chez les autres), ne pas chercher notre valeur personnelle dans des positions ou des rôles, ne pas refuser de descendre dans le service.
2) Une dimension sociale
Pour François, l’humilité exige de refuser toute forme d’utilisation du pouvoir pour dominer les autres dans le travail, dans la vie politique, dans l’Église, dans les relations communautaires. Il encourage ses frères à se méfier de toute position dominante tant dans le travail que les rapports humains. La domination est négation de l’égalité fondamentale de toute personne et de notre commune fraternité. C’est une posture qui ne révèle pas qui est Dieu.
3) Une dimension relationnelle : ne pas juger les autres ou s’estimer supérieurs.
L’humilité implique pour François un code de comportements envers les autres extrêmement exigeant : se garder de calomnier ou de se quereller en paroles, retenir le silence, éviter les disputes, ne pas se mettre en colère, s’aimer les uns les autres non en paroles mais par des actes, ne blâmer personne, ne pas murmurer contre les autres, ne pas considérer les péchés des autres (même les plus petits)
Elle exige une non-violence fondamentale. Les condamnations violentes ne font qu’élargir les fossés entre les personnes et nourrir les conflits. Haïr l’autre ne fait qu’ajouter de la haine dans un monde qui en est déjà bien rempli … L’humilité est un appel à mettre fin au cycle de violence et peut entrainer un réel changement chez l’autre puisqu’elle lui révèle l’être de Dieu.
Texte fondamental : Lettre à un ministre découragé par l’attitude des frères à son égard. François lui rappelle que tout est grâce, que rien n’est obstacle à l’action de Dieu (même les conflits et les tensions). Aime les frères pour les attirer à Dieu et cela sans espérer qu’ils soient meilleurs chrétiens. C’est Dieu seul qui fera d’eux de meilleurs chrétiens. C’est en persévérant dans l’amour et l’ouverture à l’autre et par l’exemple que l’on peut conduire l’autre à Dieu.
4) Une dimension cosmique
L’humilité nous permet de reconnaître notre commune condition de créature que nous partageons avec toute la création. L’être humain n’est pas celui qui domine la création mais qui en fait partie ; il y est intégré et interdépendant, il ne la possède pas. Cependant, seul l’être humain est capable de rendre grâce à Dieu pour tout ce qui est créé.
5) Une dimension culturelle
En choisissant la posture et les comportements d’une vie humble, François valorise la place et l’apport de la culture populaire en apposition à la culture savante et académique de son temps souvent utilisée par les hommes d’Église. Lui-même un illettré (qui ne connaît que les rudiments du latin et du commerce) favorise la prédication en langage populaire en utilisant les exemples concrets, les petits récits, le chant (CT), le jeu (jongleurs de Dieu) et les mises en scène (Greccio).
Au sermon médiéval traditionnel qui se veut solennel, académique et construit à partir de références bibliques et patristiques et qui a souvent pour effet de faire craindre Dieu, il préfère le la prédication simple qui appelle à la joie de la vie évangélique. Là encore il refuse les attitudes dominatrices des prédicateurs. Il préfère la beauté et l’étonnement pour montrer comment vivre de manière évangélique et conduire à Dieu. Ne retrouvons-nous pas ici le style du pape François ?
- Une humilité à imiter
À quoi ressembleraient le monde et l’Église si les chrétiens croyaient vraiment à un Dieu humble ? À quoi ressemblerait notre paroisse pour les prochaine 125 années ?
Pour être disciple du Christ, il faut l’imiter. Une humilité qui ne doit pas simplement être contemplée mais qui est demandée (voir récit de Greccio) et doit être imitée (Let Ord 27-28) ; devenir humble c’est devenir comme Dieu.
Distribuer le texte.
« La manière dont nous comprenons l’Incarnation influence nos vies comme chrétiens vivant dans le monde. Si l’amour est la raison de l’Incarnation, alors c’est aussi la raison pour l’humilité de Dieu […] un amour qui sort de lui-même pour aller vers l’autre, pour le bien de l’autre »5
Qui d’autre que Dieu peut être vraiment humble ?
Frère Louis Cinq-Mars, capucin
Octobre 2014
Fête de saint François
1 ADM 1, 16-18
2 ADM XVII
3 ADM XIX
4 I R XI
5 Ilia Delio,, The Humility of God,St. Anthony Messenger Press, 2005, p. 51
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Tags : dieu, francois, l’humilite, autre, humility
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