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    La pédagogie subversive des paraboles

     
    Jesus Teaching the Masses - Artist Unknown

    La demande de Jacques et de Jean : Matthieu 20, 1-16
    Autres lectures : Isaïe 55, 6-9; Psaume 144(145); Philippiens 1, 20-24.27

     

    Dans ses prises de parole publiques, Jésus se sert souvent de paraboles. C’est même un de ses traits distinctifs. Il n’y a que peu de paraboles dans les textes de l’Ancien Testament ou dans la littérature juive du 1er siècle. Mais, qu’est-ce qu’une parabole ?

    Une réalité bien connue

         Toute parabole commence par un encadrement dans le monde réel du 1er siècle en Galilée. Les réalités décrites sont conformes avec ce qu’il se passait dans cette société. Le texte des ouvriers de la dernière heure part d’une réalité connue : des hommes qui se font embaucher pour une journée de travail dans une vigne lors des vendanges. Comme ces hommes n’avaient aucune sécurité d’emploi et ne possédaient pas de terre, ils étaient prêts à travailler pour celui qui voulait bien les embaucher.

    Un élément subversif

         Les paraboles ne font pas que décrire la vie de tous les jours. Les paraboles ne semblent pas liées à des situations spécifiques qui viendraient de se produire. Elles relèvent de l’utopie et demandent à être interprétées. Les paraboles visent à parler de quelque chose d’autre, un idéal que Jésus appelle le Royaume. C’est très clair dans le début de cet extrait de l’Évangile de Matthieu : Le Royaume des cieux est comparable à…

         Au cœur de cette comparaison, avez-vous déjà remarqué qu’il y a souvent un élément subversif, en dehors de la norme. Quelque chose qui vient remettre en question les façons « habituelles » de penser. Par exemple, la parabole des ouvriers de la dernière heure présente un patron qui donne le même salaire à un employé qui a travaillé une heure et à d’autres qui ont travaillé jusqu’à douze heures. 

         Pourquoi ces étrangetés dans le récit de Jésus ? Tout simplement pour ouvrir l’esprit à de nouvelles possibilités. Les paraboles sont là pour bousculer, pour inviter à la transformation de notre monde. Les métaphores de Jésus ne sont pas utilisées à propos d’un autre monde. Ce ne sont pas des histoires de science-fiction qui se déroulent ailleurs. Au contraire, elles visent divers aspects de notre réalité. Les différences entre notre monde et ceux des paraboles sont les éléments caractéristiques du Royaume de Dieu.

         La répartition des salaires dans la parabole étudiée est impensable dans notre système capitaliste où on est payé en fonction du travail accompli. C’est en réagissant à ceci qu’on voit que cette parabole introduit une notion théologique importante : la gratuité de Dieu. Les dons de Dieu sont gratuits.

    La pédagogie étonnante des paraboles

         La force d’une parabole réside dans ses nombreuses possibilités d’interprétation. Ce n’est pas celui qui l’énonce (Jésus) qui en contrôle l’interprétation. Les paraboles sont toujours ouvertes. Elles laissent à l’auditeur ou au lecteur le soin de réfléchir et de décider comment l’interpréter. On peut s’imaginer que lorsque Jésus racontait une parabole, un échange pouvait mener à des discussions et des débats. C’est dans ces dialogues qu’un appel à un changement social pouvait être entendu. Voilà un bel exemple d’éducation interactive. La pédagogie de Jésus n’est pas celle d’un enseignant qui enseigne des réponses aux élèves. Il est un raconteur qui a des histoires-chocs pour faire réfléchir les auditeurs. Ce n’est pas le Maître qui détient le pouvoir de l’interprétation, mais les disciples. Il n’y a pas d’endoctrinement venant d’en haut dans ce modèle où les auditeurs deviennent des auto-éducateurs. Même les paysans sans éducation du premier siècle en écoutant et réagissant aux paraboles, deviennent des sujets capables d’analyser leur société pour devenir des acteurs de changement.

         Moins il y a unanimité dans l’interprétation d’une parabole, plus la discussion suivant le récit d’une parabole peut être riche et transformatrice. Ainsi, lorsque vous avez à parler d’une parabole dans une homélie, dans un groupe de partage ou même lors d’une discussion en famille, je vous invite à garder en tête l’objectif des paraboles : initier un dialogue avec plusieurs significations possibles. Il ne s’agit pas de trouver le sens et de tenter de l’imposer aux autres. Voici donc deux exemples d’interprétation différente de la parabole de ce dimanche.

    Le salut offert par Dieu

         Le dialogue entre le patron et les employés qui ont travaillé toute la journée indique bien qu’il ne faut pas se montrer jaloux devant la générosité et l’amour de Dieu. Dieu dépasse les catégories humaines de la rétribution conçue comme un salaire qui nous est dû. Dieu ne sauve pas par ce qu’il nous doit quelque chose suite à nos actions. Dieu nous sauve de façon surprenante, simplement parce qu’il nous aime. Dans le chapitre suivant de l’Évangile de Matthieu, Jésus va même jusqu’à dire : En vérité, je vous le déclare, collecteurs d’impôts et prostituées vous précèdent dans le Royaume de Dieu (21,31). Qui sommes-nous pour déterminer qui a droit d’entrer dans le Royaume ? Qui sommes-nous pour déterminer ce qui nous est dû ? La générosité de Dieu dépasse nos critères humains. L’image de Dieu qui se dégage de cette parabole, c’est qu’il se fout de nos conventions sociales et vise la conversion des perspectives des auditeurs/lecteurs.

    La justice économique

         Souvent, les paraboles s’inscrivent en opposition directe avec les autorités religieuses et politiques du temps de Jésus. Ces paroles sont contre-culturelles. Elles contestent de façon indirecte le système impérial de l’époque. Ceux et celles qui les entendent deviennent alors plus conscients des systèmes d’oppression dans lesquels ils vivent.

         Cette parabole de Jésus qui emploie l’image très concrète d’ouvriers agricoles a dû déranger les auditeurs de Jésus autant qu’elle dérangerait encore si on la racontait aujourd’hui dans une assemblée syndicale. La parabole de Jésus va à l’encontre de la logique économique : on ne peut pas payer le même salaire à certains employés qui ont travaillé jusqu’à 12 fois plus que d’autres. C’est complètement injuste! Mais, la générosité de Dieu est beaucoup plus grande que la nôtre. Il est comme ce patron qui s’assure que tous ses employés reçoivent ce dont ils ont besoin pour faire vivre leur famille, peu importe le nombre d’heures qu’ils ont travaillées. D’ailleurs, la dernière phrase montre bien le potentiel explosif de cette petite histoire : Ainsi les derniers seront les premiers, et les premiers seront derniers (20,16). Dans une culture très hiérarchisée comme celle de Jésus, ces paroles sont comme de la dynamite. Imaginez un monde ou un esclave a droit au même salaire que l’empereur! Par ailleurs, ces paroles de Jésus peuvent être toutes aussi provocantes dans notre société. Le Devoir du 2 janvier 2014 écrivait que « des patrons des grandes entreprises canadiennes gagnent en une demi-journée l’équivalent du salaire annuel de la majorité des Canadiens 1 ». On est loin du juste salaire distribué par le patron de la parabole!

    Et vous, quelle est votre interprétation ?

         Alors, laquelle des deux interprétations vous interpelle le plus? Ou, peut-être que vous avez une autre façon de lire ce texte 2 ? En général, les paraboles n’ont pas d’interprétation explicite qui donne aux lecteurs la clé de la compréhension. Ce qui laisse place au mystère et à la participation active du lecteur dans l’élaboration du sens de la parabole. Alors, chers lecteurs et lectrices, la parole est à vous.

    __________________

    1 Peu après l'heure du lunch, le jeudi 2 janvier, les dirigeants d'entreprise les mieux payés du Canada auront déjà gagné l'équivalent du salaire annuel de la majorité des Canadiens, selon une étude du Centre canadien de politiques alternatives.
    http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/396329/le-salaire-des-grands-patrons-augmente-plus-vite-que-celui-des-employes

    2 D’autres interprétations possibles: Une histoire représentant le salut des juifs devenus chrétiens (les premiers) et les non-juifs devenus chrétiens. Une allégorie représentant les différents moments de conversion dans une vie humaine. Une allégorie au sujet de l’histoire du salut des peuples qui se convertissent au christianisme.

     

    Sébastien Doane, bibliste

     

    Source: Le Feuillet biblique, no 2413. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

    source www.interbible.org

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