• Le texte franciscain du mois – 11 - Éditions franciscaines

     

     

    En collaborration avec les Editions franciscaines nous publierons Le texte franciscain du mois, nous sommes maintenant à jour dans la mise En Ligne de ces articles. Merci aux  Editions franciscaines de nous donner un apperçu du contenu du nouveau TOTUM.(le rédacteur  L'Auteur des articles

     

             Sigles bibliques                    
                 Mt = évangile selon Matthieu
                 Lc = évangile selon Luc
                 Jn = évangile selon Jean
                 IP = première lettre de Pierre

    Sigles franciscains

    1Reg = Règle non bullata (1221)
    2Reg = Règle bullata (1223)

    Test = Testament de François d'Assise
    2LFid = Lettre aux fidèles (version longue)

    LChe = Lettre aux chefs des peuples

    JG = Chronique de Jourdain de Giano

    LM = Legenda maior de Bonaventure

    TM = "Témoignages"


    Le texte franciscain du mois – Janvier 2012



    Le texte : frère Jean, Du Commencement de l’Ordre, § 10-11  

     

    De même, quand il se lavait les mains, choisissait-il un endroit tel qu’après l’ablution, il ne foule pas l’eau des pieds. Quand il lui fallait marcher sur des pierres, il le faisait avec crainte et révérence, par amour de celui qui est appelé « Pierre »[1]. Aussi, quand il disait le verset du psaume où il est dit : Sur la pierre, tu m’as élevé [2], déclarait-il par grande révérence et dévotion : « Sous les pieds de la pierre, tu m’as élevé. »


    Au frère qui préparait le bois pour le feu, il disait de ne pas couper tout l’arbre, mais de le couper de telle façon qu’une partie demeure et qu’une autre soit coupée – et il l’ordonna aussi à un frère qui demeurait dans le même lieu que lui. Au frère qui faisait le jardin, il disait aussi de ne pas cultiver tout le terrain du jardin seulement pour les plantes comestibles, mais de laisser une partie du terrain pour qu’elle produise des plantes sauvages qui, en leur temps, produiraient ses sœurs les fleurs[3]. Il disait en outre que le frère jardinier devait faire d’une partie du jardin un beau jardinet, en y mettant et plantant toutes sortes de plantes grimpantes et toutes sortes de plantes qui produisent de belles fleurs, pour qu’en leur temps, elles invitent à la louange de Dieu tous ceux qui les verraient, car toute créature dit et proclame : « Dieu m’a faite pour toi, ô homme ! » Nous qui avons été avec lui, nous l’avons donc tant vu se réjouir toujours, intérieurement et extérieurement, en à peu près toutes les créatures, les toucher et les regarder avec plaisir, que son esprit paraissait non pas sur terre, mais dans le ciel. Cela est manifeste et vrai, car, en raison des nombreuses consolations qu’il eut et qu’il avait dans les créatures de Dieu, peu avant son décès il composa et fit des Louanges du Seigneur[4] sur ses créatures en vue d’inciter le cœur de leurs auditeurs à la louange de Dieu, afin que le Seigneur soit loué par tous en ses créatures.

    Traduction de F. DELMAS-GOYON in François d’Assise, Écrits, Vies,
    témoignages, J. Dalarun dir., Paris, 2010, vol. 1, p. 1330-1332

     
    © Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2010
    ________________________________________
     [1] Mc 19, 21.
     [2] Mt 16, 24 ; Lc 9, 23.
     [3] Lc 9, 3.
     [4] Mt 2, 10.
     
    Le contexte

    La Compilation d’Assise et son auteur, frère Léon, ont été présentés dans « Le Texte franciscain du mois » de mai 2011[1]. On peut simplement ajouter que le terme : « secrétaire », qui est habituellement associé au mot : « confesseur » pour exprimer la relation de Léon à François, s’entend d’abord au sens de « dépositaire des secrets », c’est-à-dire de « confident ». La Compilation d’Assise consigne les souvenirs personnels de frère Léon et ceux de plusieurs autres proches compagnons de François, auprès desquels Léon a tenu le rôle de scribe. La formule : « nous qui avons été avec lui » est inspirée de 2P 1, 18 et souligne avec force cette intimité avec le petit Pauvre. Elle figure dix-sept fois dans la Compilation d’Assise[2] et est à rapprocher des citations de Jn 19, 35 (« celui qui a écrit cela a vu et en a rendu témoignage ») et 1Jn 1, 1 (« nous avons vu de nos yeux »), que l’on rencontre respectivement en CA 14 ; 50 ; 64 ; 96 et CA 11 ; 84 ; 93. Cette expression appose un sceau d’authenticité sur les récits où elle apparaît – ce qui ne garantit pas que ces derniers soient pleinement véridiques, car ce qu’ils rapportent fidèlement, vingt ou trente ans après les faits, n’est pas l’événement réel mais la mémoire que les témoins en ont conservée et l’interprétation qu’ils en tirent.


    Il existe d’autres recueils de souvenirs de Léon, qu’il nous faut à présent examiner. Le plus ancien d’entre eux est le Miroir de perfection mineur, contenu dans le codex 1/73 de la bibliothèque du collège Sant’Isidoro de Rome. Il a été rédigé entre 1276 et 1306 et, hormis les passages qu’il résume, paraît copier à la lettre les fiches originelles de frère Léon. L’unique raison pour laquelle ce recueil n’est pas retenu comme texte de référence est son caractère incomplet : par lui-même, il couvre à peine 40 % des sources léonines et, si on lui adjoint les Paroles de saint François et l’Intention de la Règle – deux courtes collections de propos de François rapportés par Léon, qui figurent séparément dans le codex 1/73 –, tout juste 60 %. Viennent ensuite les Compilations d’Assise (codex 1046 de la bibliothèque communale de Pérouse) et d’Uppsala (codex C4 de la bibliothèque universitaire d’Uppsala). La première a été écrite en 1310-1311 ; on ignore la date de rédaction de la seconde, mais leurs textes sont si proches que toutes deux procèdent à coup sûr d’un même manuscrit, qui a dû être transcrit directement à partir des fiches de Léon. CA contient un peu moins de 90 % des sources léonines et CU, environ 60 %. Sans être aussi exact que celui de SPm, leur texte reste globalement fidèle à celui de frère Léon. Le recueil léonin le plus diffusé au Moyen Âge est le Miroir de perfection majeur, qui date de 1317 et dont plusieurs dizaines d’exemplaires complets nous sont parvenus. Son rédacteur a effectué de nombreux ajouts au texte de Léon et en a réorganisé la matière en chapitres. Il manque à SP une douzaine de passages figurant en CA, mais il en contient une dizaine qui sont absents de celle-ci. La version du manuscrit Little (ms latin d. 23 de la Bodleian Library d’Oxford) est apparentée à celle de SP ; ML ne couvre guère plus de 60 % des sources léonines mais inclut une douzaine de courts paragraphes ne figurant pas dans les recueils déjà cités.

     

    D’autres écrits, en particulier la réputée Compilation d’Avignon, pourraient encore être mentionnés. Il est donc fort logique que CA 88 possède plusieurs parallèles, dont les plus intéressants sont sans conteste CU 35 et SP 118.
    Le présent récit constitue le dernier élément d’un petit bloc de paragraphes consacrés à l’amour fraternel de François pour le feu et pour l’ensemble des créatures. Ce bloc apparaît, en l’état, aussi bien dans les Compilations d’Assise (CA 86d-88 [LP 49-51]) et d’Uppsala (CU 33d-35) que dans le Miroir de perfection majeur (SP 115c-118). On sait que les fiches de Léon ont été progressivement regroupées par thèmes et cousues les unes aux autres, pour constituer les fameux « rouleaux » qu’évoque Ubertin de Casale. Il est clair que nous avons affaire à l’un de ces rouleaux, que les divers compilateurs ont inséré, d’un seul tenant, dans la trame de leur texte[3]. Les deux premiers récits de ce bloc décrivent l’étonnante révérence de François envers le feu, qui était telle que le petit Pauvre refusait d’éteindre brutalement celui-ci, même quand « frère Feu » entreprenait de consumer son vêtement ou d’embraser la cellule dans laquelle, lors de son séjour de 1224 sur le mont Alverne, il prenait ses repas[4]. Il convient de préciser que SP 118 remplace le « De même » initial de CA 88 et CU 35 par un bref prologue : « Après le feu, il chérissait particulièrement l’eau, par laquelle sont figurées la sainte pénitence et la tribulation, grâce auxquelles les souillures de l’âme sont lavées, et parce que la première purification de l’âme se fait par l’eau du baptême. C’est pourquoi… ».



    [1] Voir TFM de mai 2011, « Le contexte ».
    [2] Voir également CA 11 ; 14 ; 50 ; 56 ; 57 ; 67 ; 78 ; 82 ; 84 ; 86 ; 89 ; 93 ; 101 ; 106 ; 111 ; 117.
    [3] Voir l’introduction de F. Delmas-Goyon à la Compilation d’Assise in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1191-1198.
    [4] Voir, respectivement, CA 86d [LP 49] et CA 87 [LP 50].

     
    Le commentaire

    Les contemporains de François ont été vivement frappés par le fait que celui-ci traitait les créatures inanimées, particulièrement le feu, comme des êtres vivants. L’exemple le plus marquant en est donné par les paroles qu’il adressa à « frère Feu » à Fonte Colombo, en 1225, lorsqu’un médecin vint cautériser au fer rouge une de ses tempes, de l’oreille au sourcil :


    « Mon frère Feu, noble et utile parmi les autres créatures qu’a créées le Très-Haut, sois courtois avec moi en cette heure, car je t’ai chéri par le passé et je te chérirai encore à l’avenir, pour l’amour du Seigneur qui t’a créé. Aussi je prie notre Créateur qui t’a créé de tempérer ta chaleur de sorte que je sois capable de l’endurer[1]. »
    Léon rapporte que les frères présents s’enfuirent pour ne pas assister à la scène. À leur retour, François les traita de poltrons et leur annonça qu’il n’avait ressenti aucune douleur. Malgré l’exaucement de cette prière, on serait tenté, au vu des deux épisodes qui suivent (CA 86d-87), de considérer François comme un illuminé, à ce point déconnecté de la réalité que son comportement en devenait dangereux. Ce serait commettre une erreur. En effet, tant lorsque son vêtement a commencé de se consumer que quand la cellule où il prenait ses repas s’est enflammée, aucune vie n’était en danger et aucun incendie ne menaçait (le mont Alverne est humide et la cellule était située dans une zone rocheuse). Par ailleurs, CA 86d indique que si le petit Pauvre se refusait à éteindre une chandelle, une lampe ou un feu, il acceptait sans difficulté qu’on cesse d’alimenter une flambée et qu’on en sépare les tisons. Ce n’est donc pas l’extinction du feu par elle-même mais la manière brutale dont elle est exécutée qui suscite la réprobation de François. Autrement dit, le fondateur de l’Ordre mineur rejette toute forme de violence et de mépris envers quelque créature que ce soit, y compris les créatures inanimées. Telle est la raison profonde de son refus, en CA 88, de fouler l’eau aux pieds. Cette attitude envers la totalité des créatures, sans distinction, a bien été perçue par frère Léon, qui écrit :
    Comme nous qui avons été avec lui l’avons vu, il les chérissait en effet et les révérait d’un si grand amour de charité, il trouvait en elles tant de plaisir et son esprit était ému de tant de pitié et de compassion envers elles que, quand quelqu’un ne les traitait pas convenablement, il en était troublé[2].


    L’amour de charité[3], qui est un fruit de la grâce divine, s’oppose à l’amour cupide et à l’amour intéressé, qui sont des fruits de l’égoïsme humain. Sa mention signifie que François aime les créatures pour elles-mêmes et non pour le plaisir qu’il tire d’elles. Plus précisément, comme en témoignent les cinq occurrences des mots « créer », « créatures » et « Créateur » dans la prière précédant la cautérisation, François rapporte sans cesse le monde et les êtres qui le peuplent à Dieu et les considère toujours comme des créatures, faisant rayonner la bonté du Créateur, à qui elles doivent l’existence[4]. La foi et la piété sont, de fait, omniprésentes en CA 88, mais sans ostentation. Ainsi, la déférence de François envers les pierres prend sa source dans l’Écriture – elle renvoie moins à l’imposition du nom de « Pierre » à Simon (Mt 16, 18) qu’à ce passage de Paul : « ils buvaient en effet à un rocher spirituel qui les accompagnait, et ce rocher, c’était le Christ » (1Co 10, 4). Quant à la volonté du petit Pauvre que le jardin des frères contienne d’abondantes et belles fleurs, elle est motivée par l’idée que celles-ci vont inciter ceux qui les admireront à la louange de Dieu.
    La liste des créatures énumérées en CA 86d-88 est instructive. Après le feu et l’eau viennent les pierres, les arbres, les plantes potagères, sauvages et jardinières, puis les fleurs. Le fait qu’aucun animal ne soit mentionné fait penser au Cantique de frère Soleil, qui présente la même caractéristique (l’être humain est cité dans les deux ultimes strophes de ce dernier, mais c’est vers le pardon et « notre sœur Mort » qu’est focalisée l’attention). L’évocation de CSol à la fin de CA 88 n’est donc pas due au hasard et il est très possible que Léon se soit inspiré de la plus célèbre des louanges de François pour rédiger la fiche retranscrite en CA 88. Le texte que nous étudions indique, en outre, la finalité que François conférait au Cantique de frère Soleil. Celui-ci a été composé « en vue d’inciter le cœur de [ses] auditeurs à la louange de Dieu, afin que le Seigneur soit loué par tous en ses créatures ». Nous sommes donc en présence d’une louange éminemment personnelle, où éclate tout le génie poétique et mystique de François, qui est en même temps un acte missionnaire, ou pastoral, du petit Pauvre. Léon rapporte ailleurs qu’effectivement, François aurait voulu confier à Pacifique – qui, avant son entrée dans l’Ordre mineur, avait été un ménestrel réputé – et à un petit groupe de frères la mission d’aller chanter ce Cantique par le monde, en invitant les hommes à la louange[5].


    CA 88, qui considère les créatures inanimées et les plantes, se présente ainsi comme un récit complémentaire de 1C 58 (sermon aux oiseaux), que nous avons étudié en février 2011. Dans les deux cas, la louange constitue vraiment le cœur du texte, mais la manière dont les créatures sont envisagées est différente. En 1C 58, les oiseaux sont invités à louer eux-mêmes le Créateur, essentiellement par leur chant, pour tous les bienfaits dont Dieu les comble. En CA 88, le premier soin de François est de ménager l’espace nécessaire à la vie des plantes : il s’agit de laisser un endroit libre pour que puissent y pousser les fleurs sauvages, de créer un petit jardin pour les plantes grimpantes et leurs fleurs… et de ne pas couper entièrement les arbres, pour leur permettre de repousser. Ensuite, les fleurs ne sont pas explicitement conviées à louer Dieu elles-mêmes, mais à devenir invitatrices à la louange, jouant ainsi auprès de leurs frères les hommes le rôle qu’a joué François auprès de ses frères les oiseaux : « pour qu’en leur temps, elles invitent à la louange de Dieu tous ceux qui les verraient ». La présence de la remarque : « car toute créature dit et proclame : “Dieu m’a faite pour toi, ô homme !” » permet de préciser la nature de cette louange, qui est d’ordre causal et ressortit à l’action de grâce : l’être humain remercie Dieu pour le don que celui-ci lui fait des fleurs et des autres créatures. Cette explication n’épuise cependant pas le sujet. La fin du texte explique que CSol a été composé pour contribuer à ce que Dieu soit loué par tous les hommes en ses créatures[6], attribuant ainsi une plus grande « autonomie laudative » aux fleurs et aux plantes et les rapprochant, à cet égard, des oiseaux. En traduisant dorénavant « par », et non plus « pour », la préposition « per » (« Loué sois-tu, mon Seigneur, par sœur Lune et les étoiles… »), la nouvelle traduction du Cantique de frère Soleil va également en ce sens.


    Il reste à souligner le plaisir et l’allégresse qu’éprouvait François dans la contemplation et la fraternisation avec les créatures. Le regard de foi qu’il posait sur elles, dénué de peur et de désir d’appropriation, lui permettait de voir toute leur beauté et leur intelligence.

    © Éditions franciscaines, 2012

    [1] CA 86c [LP 48].
    [2] CA 86d [LP 49].
    [3] Cette forme d’amour constitue, avec la foi et l’espérance, l’une des trois vertus théologales, lesquelles ne sont accessibles que par la grâce.
    [4] Voir, à ce sujet, TFM de février 2011, « Le commentaire ».
    [5] Voir CA 83 [LP 43].
    [6] La comparaison entre les versions parallèles est ici précieuse. Alors que CA 88 donne simplement : « suis creaturis », ce qui peut signifier aussi bien « pour ses créatures », « par ses créatures », ou « en ses créatures ». CU 35 et SP 118 font précéder cet ablatif de la préposition « in », optant ainsi pour « en ses créatures ».
     

    Pour nous, aujourd’hui

    Notre univers n’est plus « enchanté » comme celui de François, au sens où il n’est plus possible de considérer les créatures dans une relation aussi immédiate à Dieu que pouvait le faire le petit Pauvre. Nous ne devons pourtant pas perdre notre sens de l’émerveillement. Alors, quel regard portons-nous sur le monde et les créatures qui le peuplent, à commencer par nos frères humains ? Nous émerveillons-nous de leur extraordinaire beauté et, en ce qui concerne les êtres vivants, de leur intelligence et de leur courage ? Et discernons-nous, en chacun d’eux, l’amour du Créateur qui lui a donné – et nous donne – la vie ?
    François d’Assise cherchait à éviter d’exercer une quelconque violence envers les créatures, y compris celles inanimées. Et nous-mêmes, comment nous comportons-nous vis-à-vis des autres hommes et des animaux ? Notre mode de vie, nos choix d’alimentation et notre comportement quotidien tendent-ils au respect des autres êtres vivants et de l’ensemble de la création… ou bien relèvent-ils d’une attitude prédatrice et d’un esprit de domination ?
     

    Le prochain « Texte franciscain du mois » sera celui de février 2012

     

    BONNE ANNEE 2012

     

    Source Les Éditions franciscaines

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