• Présentation du livre de Judith : les personnages 3/3

    Présentation du livre de Judith : les personnages 3/3

    SargonNabuchodonosor et Holopherne, les antagonistes

    Nabuchodonosor, roi d’Assyrie, est présenté comme l’ennemi archétypique d’Israël. En effet, ce personnage fictif combine à la fois le Nabuchodonosor historique, roi de Babylone qui vainquit le Royaume de Juda en 587 av. J.-C, et le roi des Assyriens [1] qui écrasa le Royaume du Nord, Israël, en 722 av. J.-C. Son général en chef porte un nom perse, Holopherne. Assyriens, Babyloniens et Perses sont ainsi convoqués pour caractériser Nabuchodonosor et son envoyé comme l’Ennemi par excellence, « à la puissance trois », des fils d’Israël.

    Nabuchodonosor est le type même du conquérant, mû uniquement par le désir de gloire et de puissance. Après avoir essuyé un affront, il décide de se venger de « toute la terre » (2,1), lui-même se considérant comme « le Seigneur de toute la terre » (2,5), autrement dit, à l’égal de Dieu. Pour le lecteur du récit, supposé bien connaître les traditions bibliques, Nabuchodosor se présente donc, dès le début du récit, comme un opposant au seul Dieu véritable, maître du ciel et de la terre.

    Holopherne est présenté comme le fidèle exécutant du roi. La répression terrible qu’il fait peser sur les pays conquis ou soumis s’exerce aussi sur le plan religieux (3,8). Malgré la puissance qui est la sienne, il n’est pas un homme sage : il refuse d’écouter un homme de guerre expérimenté qui connaît bien les Judéens et leur dieu, à savoir Achior, tandis qu’il se laisse berner par Judith qui lui raconte des mensonges. Il manque également de prudence en se laissant aller à boire plus que de raison en présence d’une transfuge qu’il ne connaît guère. Puissant, vautré dans un luxe insolent, violent, tyrannique, sûr de lui, porté sur la boisson et dépourvu de sagesse, Holopherne est le type même du potentat perse tel qu’on le trouve dans les romans hellénistiques et dans les écrits bibliques tardifs tels le livre de Daniel ou Esther.

    Achior, le converti

    Ammonite, Achior est membre d’un peuple considéré comme un ennemi notoire d’Israël [2]. Pourtant, très vite, il cesse d’apparaître comme opposant. Son nom crée déjà une brèche : en hébreu, « Achior » peut signifier « mon frère est lumière » ou « mon frère de lumière ».

    À la demande d’Holopherne qui cherche des renseignements sur ce peuple qui ose lui résister, Achior prend la parole et raconte à Holopherne l’histoire d’Israël telle qu’il la conçoit et qui peut se résumer en ces termes : tant qu’Israël ne pèche pas contre son Dieu, celui-ci le soutient. Mais s’il en vient à pécher, Dieu lui retire son soutien et permet qu’il tombe entre les mains de ses ennemis (5,17-18). Ce discours est inacceptable pour Holopherne qui condamne Achior à partager le sort des assiégés : « Qui donc est Dieu hormis Nabuchodonosor ? » (6,2). De fait, c’est avec Achior que se pose explicitement une des questions centrales du récit : Quel est le véritable souverain de la terre ? Remarquons que même au moment de la sentence d’Holopherne, Achior ne revient pas sur ses propos. Contrairement aux habitants de Béthulie qui envisagent de se rendre, même si cela signifie devoir adorer Nabuchodonosor (3,8), Achior le païen est prêt à risquer la mort pour avoir évoqué les hauts faits de Dieu.

    Après la décapitation d’Holopherne et le retour de Judith à Béthulie, Achior demande la circoncision (14,10). Et le récit ajoute qu’il « fut admis dans la maison d’Israël jusqu’à ce jour » (14,10). Cette conversion est loin d’être anodine car la Bible ne raconte guère de conversion de païen.

    Achior se caractérise du début à la fin du récit par son intégrité et sa fermeté qui contrastent avec la foi défaillante des autorités et des habitants de Béthulie. Finalement, non sans ironie, le récit le présente comme le seul véritable modèle du croyant [3] – Judith étant le modèle de la croyante – dont la foi ne fléchit pas dans l’adversité. Cela constitue incontestablement une provocation adressée au lecteur : est-il capable d’accueillir la conversion de l’étranger qui peut être plus méritant que lui ? Sa foi est-elle à la hauteur de celle de cet Ammonite ?

    Judith, l’héroïne

    Judith, l’héroïne qui donne son nom au livre, est de loin le personnage le plus étonnant du récit. Il est vrai que dès son entrée en scène, elle casse tous les clichés : bien que veuve, elle est belle et riche, gouvernant sa maison de manière indépendante. Elle n’a pas eu d’enfant mais ne s’est pas remariée et vit retirée du monde. Cependant, elle est au courant de ce qui se passe dans la ville. Malgré son jeune âge, les anciens de la ville se rendent à son invitation et l’écoutent, y compris quand elle leur reproche leur manque de foi, avant d’annoncer que par son entremise, « le Seigneur visitera Israël » (8,33).

    Avant de se rendre dans le camp ennemi, Judith adresse à Dieu une longue prière. A-t-elle été entendue ? Le récit ne le dit pas car la seule mention de Dieu dans les propos du narrateur se limite au chapitre 4, au moment où l’armée assyrienne se dirige sur Jérusalem et que la population prie ardemment : « Le Seigneur entendit leur voix et regarda leur détresse. » (4,13) Mais cette unique mention n’est pas suivie d’une description de l’agir divin et les habitants de Béthulie n’ont pas la possibilité de savoir si Dieu les a entendus. De son côté, le lecteur sait que Dieu a vu et entendu, mais il ignore ce qu’il va faire…
    Au moment de trancher la tête d’Holopherne endormi, Judith se tourne de nouveau vers Dieu : « ‘‘Fortifie-moi en ce jour, Seigneur Dieu d’Israël.’’ Elle frappa deux fois sur son cou de toute sa vigueur et lui ôta la tête. » (13,7-8) Peut-on prier Dieu pour lui demander assistance dans un plan impliquant la tromperie, qui plus est la tromperie d’un hôte ? Peut-on demander à Dieu l’assistance pour tuer un ennemi endormi ? De nouveau, le récit ne dit pas que Dieu entend. Le lecteur est donc laissé à son propre jugement en ce qui concerne la suite du récit.

    Force est de constater que Judith réussit son entreprise, ce qui relève quasiment du miracle : après avoir coupé seule la tête d’Holopherne en deux coups – un véritable tour de force pour une « faible » femme – c’est sans encombre qu’elle et sa servante parviennent à regagner Béthulie, la tête d’Holopherne dans leur panier à provision.

    Une fois parmi ses concitoyens, Judith leur raconte son équipée, attribuant à Dieu la réussite de son plan (13,11.16). Et le peuple considère, de même, que c’est Dieu qui est à l’œuvre par la main de Judith (13,17). Ozias, une des autorités de Béthulie, bénit Judith en ces termes : « Bénie sois-tu, ma fille, par le Dieu Très-Haut, plus que toutes les femmes qui sont sur la terre, et béni soit le Seigneur Dieu, lui qui a créé les cieux et la terre, lui qui t’a conduite pour blesser à la tête le chef de nos ennemis » (13,18). De même, après la victoire sur les Assyriens, c’est vers Dieu que monte la louange de Judith, relayée par les hommes et les femmes d’Israël (15,12 – 16,20).

    La fin de Judith n’est comparable à aucune autre et achève de confirmer la lecture que l’héroïne fait des événements : malgré les particularités qui la caractérisent (bien que célèbre, Judith choisit de se retirer dans sa propriété ; malgré de nombreux prétendants, elle ne se remarie pas et reste donc sans descendance) cette fin de vie est présentée, sans ambiguïté, comme celle d’une personne juste (16,23-25).

    Cependant, le récit ne dit pas explicitement si c’est vraiment Dieu qui a guidé la main de Judith. Si l’héroïne elle-même l’affirme, si tout Israël la croit et si le cours du récit tend à montrer que Judith a raison d’agir tel qu’elle le fait, il revient, en dernier recours, au lecteur d’adhérer ou de ne pas adhérer à la lecture croyante des personnages, dans un récit finalement ouvert [4] et destiné à interpeler qui le lit ou l’entend : reconnaîtra-t-il, comme Achior l’étranger, Dieu à l’œuvre dans la succession des faits, le courage, la ruse de Judith et la confession de foi des fils d’Israël ?

    [1] Historiquement, il s’agit de Sargon II (722-705).

    [2] Voir Dt 23,4-7; Jg 3, 12-14 ; 1 S 11, 11 ; 2 S 10, 1-12, 31 ; 1 R 11, 7 ; Jr 49, 1-6 ; Am 1, 13 etc.

    [3] En ce sens, il peut être rapproché du livre de Ruth qui évoque la conversion d’une Moabite et du livre de Jonas qui décrit la conversion de toute la ville de Ninive.

    [4] Sur la caractérisation de Judith comme un « récit ouvert » voir M. BAL, Head Hunting : ‘Judith’ on the Cutting Edge of Knowledge, dans JSOT 63 (1994) 3-34, p. 13-14.

    Catherine Vialle

    source www.interbible.org

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