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    Des étrangers reconnaissent le roi

    L'étoile de Bethléem, Waldemar Flaig, 1920, Franziskanermuseum Villingen

    L'étoile de Bethléem, Waldemar Flaig, 1920, Franziskanermuseum Villingen.

      La visite des mages : Matthieu 2, 1-12

    Autres lectures : Isaïe 60 1-6; Psaume 71(72); Éphésiens 3, 2-3.5-6

     

    Puisque le récit de l’adoration des Mages est commenté chaque année, au lieu de revenir sur son improbable historicité, le sens de l’étoile et les ajouts plus tardifs, je vous propose d’entrer dans la construction narrative de ce petit drame. Oui, chez Matthieu l’ambiance des récits d’enfance est à la tragédie. Notre mémoire rassemble les récits de Noël à partir de Luc, tout imprégné de la joie du salut. Dans le  « temps des Fêtes », pourquoi se rappeler l’hostilité d’Hérode, un massacre d’enfants à Bethléem et la fuite en Égypte? Mais la catéchèse de Matthieu passe par là, car elle reflète le drame des Juifs chrétiens de son Église : exclus par la plupart de leurs compatriotes, qui ne reconnaissent pas en Jésus le Messie annoncé par les Écritures.

    Entre deux rois et trois espaces...

         Les Mages ne sont pas des « rois ». La tradition qui les a couronnés nous détourne du récit que Matthieu a construit sur l’opposition de deux figures royales: Hérode et Jésus. Venus du  « Levant », les Mages sont les savants de l’époque : astrologues, interprètes de songes, etc., dans un monde où connaissance et religion vont de pair. Ils sont perçus négativement dans les deux Testaments. Mais Matthieu suggère ici que leur science méprisée les a conduits au roi-messie plus sûrement que, pour Jérusalem, ses Saintes Écritures.

         Deux espaces structurent le récit en deux parties: Jérusalem, la capitale royale, et Bethléem, un gros village. Et hors cadre, un espace étrange, sans nom: les Mages en viennent et y retournent.

    Jérusalem : pouvoir et savoir

         Matthieu place dès le début l’opposition des rois : Jésus naît au temps du roi Hérode. Ainsi la question des Mages fait choc : où est le Roi des Juifs? C’est Hérode, le roi des Juifs! Pas étonnant que leur quête trouble et inquiète le roi et ses amis de la capitale.

         Le contexte historique justifie ces réactions : Hérode le Grand était obsédé par des complots de rivaux voulant prendre son trône. Il a fait tuer entre autres trois de ses fils et une épouse. L’historien juif Josèphe décrit le poids de sa dictature : cruauté, libertés restreintes, gens appauvris, etc. Tous le craignent. À sa mort il y eut des soulèvements animés par la fièvre messianique.

         Ainsi Matthieu rappelle que l’arrivée discrète de Jésus, sans tambours ni trompettes, a pourtant une réelle portée socio-politique: les Mages l’appellent Roi des Juifs. La question d’Hérode aux scribes va plus loin et parle du Messie, en grec Christos. Plus qu’un prochain roi, il est l’instrument du salut qu’on attend de Dieu, qui délivre les gens de l’oppression. Celui dont le joug est doux, le fardeau léger (11,30). À l’opposé d’Hérode, quoi! Même si le récit est écrit longtemps après Pâques, l’espérance du Règne de Dieu associé au retour du Christ en gloire garde toute sa portée d’une société meilleure, ce qu’exprime le Psaume de la liturgie : Qu’il gouverne ton peuple avec justice, qu’il fasse droit aux malheureux. Il aura souci du faible et du pauvre.

         La réponse des scribes à Hérode cite le prophète Michée (5,1.3), que Matthieu modifie un peu. Il valorise Bethléem et il reformule la finale pour rapprocher Jésus de David, que Dieu désignait comme berger de mon peuple Israël (2 Samuel 5,2). Ainsi Matthieu accentue l’identité royale de Jésus, ce roi-messie « fils de David » espéré.
     
         Maître des complots, Hérode rencontre les Mages en secret; en échange de l’information sur Bethléem, il en demande deux autres: où est l’enfant, et à quelle date l’étoile a paru. Il ment sur son projet réel, bien sûr, qui est de se débarrasser de ce prétendu roi des Juifs; il fera tuer les garçons de 2 ans et moins. Il n’y a aucune trace historique de ce massacre, mais le « vrai » Hérode en aurait été parfaitement capable.

         L’espace « Jérusalem » est ainsi présenté comme riche et décevant. Riche d’une tradition religieuse solide, validée comme vraie par le récit. Mais espace religieux asservi au pouvoir, fermé ou hostile à la quête pourtant étonnante des Mages. Monde sclérosé, incapable de se mettre en mouvement, de se laisser inspirer à nouveau par ces textes récités comme un catéchisme trop connu.

    Bethléem : les humbles origines

         À Jérusalem, David régnait; à Bethléem il fut jeune berger. Sortis de la ville, les Mages retrouvent l’étoile qui, aperçue dans leur pays, les avait mis en marche. Le récit signale leur émotion. À l’opposé des émotions d’Hérode et de Jérusalem, leur joie évoque celle des non-juifs accueillant la Bonne Nouvelle (cf. Actes 8,39; 13,48, etc.).

         L’étoile les guide vers une maison. Là se trouve l’enfant cherché. La simplicité des lieux ne semble pas troubler les Mages, qui se prosternent comme on le fait devant un roi. Dans la catéchèse de Matthieu, ce geste de respect a une connotation religieuse certaine. Matthieu suggère qu’ils reconnaissent l’autorité divine de Jésus, devenant symboliquement les premiers païens « convertis ». Leurs dons d’or, d’encens et de myrrhe seront plus tard interprétés comme signes de la royauté, de la divinité et de l’humanité mortelle de Jésus.

         Malgré la solennité du geste et les riches offrandes, la scène est très brève, beaucoup plus sobre qu’à Jérusalem. Un songe renvoie les Mages loin d’Hérode. Avec les songes de Joseph pour l’aller-retour en Égypte, Matthieu intègre un aspect important : même si Jésus paraît vulnérable dans un monde hostile, un Puissant veille sur sa destinée. Ce thème présent dans tous les récits de naissance de style mythologie use pourtant ici d’un moyen discret, le songe.

    Les espaces autres... l’espace des autres

         Avec ce récit construit sur des oppositions, Matthieu interpelle son Église. Cette minorité de Juifs devenus chrétiens doit reconnaître  qui sont ses vrais alliés et d’où vient l’adversité. En 80-85, la majorité des chrétiens sont d’origine étrangère, comme ces Mages. Oui, Jésus est le Messie qu’Israël attendait. Mais les chrétiens de Mt ont désormais plus en commun avec les étrangers chrétiens qu’avec leur propre peuple qui refuse ce Messie. Matthieu affirme clairement l'universalité du salut, à une Église tentée de se replier sur elle-même, exclue de son peuple mais séparée des autres peuples par l’habitude de ses traditions.

         Bien sûr la distinction Juif/non-juif ne nous concerne plus comme telle. Mais le récit des Mages reste suggestif sur le « flou » des frontières ecclésiales. On en connaît, de ces chercheurs de Dieu venus d'un ailleurs religieux étrange, par des chemins spirituels non cartographiés dans nos itinéraires standards de croyant. Ils arrivent avec leur ignorance des traditions et leurs certitudes bizarres. Ils croient aux étoiles, ou à Dieu sait quoi... L’accueil tiède qu’ils reçoivent n’arrête pas leur quête. Et ils ne restent pas. Ils retournent dans leur espace culturel à eux, vivre la Rencontre de Dieu ou de Jésus à leur manière. Le récit de Matthieu nous invite à reconnaître avec confiance nos connivences avec des gens au cheminement différent. Et à ne pas nous inquiéter quand ils poursuivent leur chemin ailleurs ou autrement.

     Francine Robert, bibliste

     Source : Le Feuillet biblique, no 2515. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

    source www.interbible.org

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