Que reste-t-il du souffle des années 1980 où l’on a pu concevoir un renouvellement de la structure hiérarchique de notre Église, y inscrire un partenariat réel entre baptisés, ministres ordonnés et laïques, entre femmes et hommes. L’espoir s’est rapetissé peu à peu dans les années 1990 jusqu’à se ratatiner en peau de chagrin aujourd’hui.
Les raisons de quitter s’accumulent : le scandale des abus sexuels perpétrés par des prêtres sur des enfants ou des femmes, l’offense du cléricalisme à la responsabilité partagée du peuple de baptisés, le refus répété d’ordonner des femmes au diaconat et à la prêtrise.
Nos lieux de rassemblement se sont vidés bien avant la pandémie que nous vivons.
Les propos religieux sont devenus suspects au Québec, souvent traités comme appartenant à un autre temps ou une simple réponse (entendre simpliste) à l’angoisse existentielle.
Il serait tentant de tout balancer et de recommencer à neuf, faire table rase.
Tentant aussi d’oublier que ce que nous sommes et devenons ne se réalise pas sans l’autre. D’autres nous ont précédés. Leur histoire nous constitue en partie et nous avons la responsabilité d’y donner suite à notre manière. D’autres nous suivront.
« Nous sommes constitués par l’altérité. Notre corps vient d’un autre corps, notre psyché s’est constituée à partir d’une autre psyché, nous sommes nés d’une séparation. Nous avons été deux. Cette énigme nous laisse la tâche immense et solitaire de découvrir ce que c’est qu’exister seul. D’emblée ce corps est l’archive d’autres corps, d’autres mémoires. Mémoire d’une altérité plus intime que la nôtre. Corps qui va lentement se transmuter en singularité, en pensée, en savoir. En éros. »1
Un texte datant de deux mille ans, décrivait déjà cette réalité : « De même, en effet, que le corps est un, tout en ayant plusieurs membres, et que tous les membres du corps, en dépit de leur pluralité, ne forment qu’un seul corps, ainsi en est-il du Christ. » 2
Nous sommes reliés aux autres. La longue marche vers plus d’humanité, vers la réalisation de la Bonne nouvelle s’effectue ensemble, avec les aléas de nos tiraillements, de nos différences et de nos alliances.
Notre contexte actuel soulève deux enjeux incontournables soulignés par l’ONU, par le pape François, par de multiples autres organismes et personnes : combattre l’inégalité entre les sexes, entre les personnes et relever les défis posés par les changements climatiques. Ces enjeux nécessitent une plus grande solidarité que la pandémie actuelle met aussi en lumière.
Percevons-nous ce souffle, Son souffle, nous guider dans cette direction?
« […] le témoignage rendu à l’Évangile susceptible d’être accueilli par le monde contemporain ne peut être que celui de relations refaites, recréées par la reconnaissance, l’estime et l’amour mutuel. Qu’il s’agisse des chrétiens et de ceux qui ne le sont pas ou qui ne le sont plus. Et naturellement, – transversalement à toute appartenance -, qu’il s’agisse, à la racine de notre humanité, des hommes et des femmes qui la font ce qu’elle est et ce qu’elle est destinée à être. »3
Cette Bonne nouvelle a traversé deux mille ans de communautés humaines avec ses temps de grandeur, d’horreur, de miséricorde et de sollicitude. Toutes ces histoires singulières et sociales l’ont acheminée jusqu’à nous.
Nos engagements actuels seront les traces de l’Évangile pour les générations qui nous suivront. Nos actions pour établir dans les faits une égalité entre les femmes et les hommes dans nos sociétés et dans l’Église témoigneront de notre foi. Nous ne pouvons laisser le fossé continuer de se creuser entre pauvres et riches, ni fermer les yeux et les mains devant l’urgence climatique. Notre solidarité exigera que nous donnions de ce qui nous est nécessaire comme la veuve qui offre ses deux piécettes (Mc 12, 41-44).
Ainsi la Parole s’inscrit dans notre chair, ce corps qui nous lie à l’autre.
Anne-Marie Ricard
Québec, le 21 septembre 2020
NOTES