• Le texte franciscain du mois – 5 - Éditions franciscaines

    En collaborration avec les Editions franciscaines nous publierons Le texte franciscain du mois, étant en retard, vous recevrez aux deux semaines les 5 premiers et par la suite, un par mois. Merci aux  Editions franciscaines de nous donner un apperçu du contenu du nouveau TOTUM.(le rédacteur  L'Auteur des articles

     

     

    Le texte franciscain du mois – Avril 2011

     
     

                  Le texte : Légende des trois compagnons, § 11 : 

     

    Un jour qu’il priait le Seigneur avec ferveur, il obtint cette réponse : « François, tout ce que tu as charnellement chéri et désiré avoir, il te faut le mépriser et le haïr si tu veux connaître ma volonté. Après que tu auras commencé à faire cela, ce qui auparavant te semblait suave et doux te sera insupportable et amer[1] ; en ce qui te faisait horreur auparavant, tu puiseras une grande douceur et une immense suavité.»

     

    Réjoui donc par ces paroles et conforté dans le Seigneur, comme il chevauchait près d’Assise, il rencontra un lépreux sur sa route. Comme il avait d’ordinaire une grande horreur des lépreux, se faisant violence, il descendit de cheval et lui offrit un denier en lui baisant la main. Ayant reçu de lui un baiser de paix, il remonta à cheval et poursuivit son chemin. À partir de ce moment, il se mit à se mépriser de plus en plus, jusqu’à parvenir à une parfaite victoire sur lui-même par la grâce de Dieu.

     

    Quelques jours plus tard, prenant beaucoup d’argent, il se rendit à l’hôpital des lépreux et, les réunissant tous ensemble, il donna une aumône à chacun en lui baisant la main. À son retour, il est vrai que ce qui lui était auparavant amer – c’est-à-dire de voir et de toucher des lépreux – fut changé en douceur[2]. Comme il le dit, elle lui avait en effet été à ce point amère, la vision des lépreux, qu’il refusait non seulement de les voir, mais même de s’approcher de leurs habitations. Et s’il lui arrivait parfois de passer le long de leurs maisons ou de les voir, bien que la pitié le pousse à leur faire l’aumône par personne interposée, pourtant il détournait toujours le visage et se bouchait le nez de ses propres mains. Mais par la grâce de Dieu, il devint à ce point familier et ami des lépreux que, comme il atteste en son Testament[3], il séjournait parmi eux et les servait humblement.

     

     

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    [1] Construit par inversion de Test 3 pour ouvrir la voie à la transformation qui suit.

    [2] Voir Test 1-3.

    [3] Voir Test 3

     

     

    © Éditions du Cerf / Éditions franciscaines, 2011

     Le contexte

     

    Le 4 octobre 1244, le chapitre de Gênes élit Crescent de Iesi ministre général de l’Ordre des Frères mineurs. Peu après, celui-ci invite les frères ayant partagé la vie de François d’Assise à transmettre par écrit leur témoignage concernant ses faits et gestes et, surtout, ses miracles. Le 11 août 1246, en réponse à cet appel, trois proches compagnons du petit Pauvre : Léon, Ange et Rufin, envoient à Crescent un paquet de documents accompagné d’une lettre signée de leurs trois noms. Ce paquet se compose pour l’essentiel d’une liasse de fiches rédigées par Léon et de la version originelle de la Légende dite des trois compagnons[1]. Celles-ci constitueront les deux principales sources de la Seconde Vie de François écrite par Thomas de Celano en 1246-1247. On peut donc dater avec certitude la Légende des trois compagnons des années 1244-1246. Son titre est fallacieux car il ne s’agit pas à proprement parler d’une légende[2] et l’analyse littéraire révèle qu’elle a été rédigée par une seule main et non par trois. Son attribution collective à Léon, Ange et Rufin provient de ce que, dans les manuscrits, elle s’accompagne presque toujours de la lettre cosignée par ces trois frères. Cette « légende » reprend de nombreux passages du texte intitulé Du Commencement de l’Ordre, écrit par frère Jean, compagnon du bienheureux Gilles ; elle a sûrement été rédigée par un habitant d’Assise ayant côtoyé le jeune François car son auteur connaît remarquablement bien la vie de cette cité et corrige, en maintes occasions, les versions des faits de Thomas de Celano et de Jean. Une hypothèse plausible, mais non avérée, est que son texte soit dû à la plume du seul Rufin.

     

    La Légende des trois compagnons constitue clairement notre meilleur témoin des étapes de la conversion initiale du petit Pauvre, dont elle retrace avec soin la chronologie. Elle nous apprend que, de retour à Assise après l’échec de l’expédition en Pouille du printemps 1205 [3], François participa à un dernier banquet organisé par la compagnie de jeunes Assisiates dont il était membre. Au sortir de ce festin, qu’il paya vraisemblablement de ses deniers, il vécut une bouleversante expérience intérieure de la douceur divine (3S 7), qui l’amena à commencer de se détacher des valeurs du monde et à prier fréquemment dans des lieux retirés (3S 8). Il devint aussi plus généreux envers les pauvres, au point de ne jamais en laisser un le quitter les mains vides (3S 8-9). Enfin, probablement au début de l’automne 1205, il fit un pèlerinage à Rome, sans doute pour discerner quelle orientation donner à sa vie, au cours duquel il revêtit les habits d’un mendiant et passa plusieurs heures à demander l’aumône (3S 10). Sa rencontre avec le lépreux advint dans les semaines qui suivirent son retour de la Ville éternelle.

     

    La lèpre sévissait déjà en Occident, à l’état endémique, durant le haut Moyen Âge. Elle progressa considérablement aux XIe-XIIIe siècles, en raison de la croissance démographique et des croisades, et atteignit son ampleur maximale aux alentours de 1250. Elle reflua ensuite progressivement, jusqu’à sa totale éradication au XVIIe siècle. À l’époque de François, le monde latin devait compter entre cinquante et cent mille lépreux ; ceux-ci jouissaient encore d’une réelle liberté de circulation, les autorités publiques se bornant à leur interdire l’accès des cités. Leur ségrégation devint par la suite de plus en plus rigoureuse, au point d’aboutir à leur exclusion totale et à la célébration de leur « mort sociale » au début du XIVe siècle.

     

    © Éditions franciscaines, 2011

     

    [1] Cette première version connaîtra des remaniements ultérieurs ; Voir l’introduction de J. Dalarun à la Légende des trois compagnons in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1064-1066.

    [2] Au Moyen Âge, une légende ne désigne pas une histoire merveilleuse mais un écrit destiné à être lu en public (legenda provient de legere, « lire ») et obéissant à des règles précises de composition.

    [3] Voir TFM de mars 2011.

     

     

      

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    © Éditions franciscaines Evangile Aujourd'hui n°161

     François et le lépreux

     

     

    Le commentaire

     

    Le Testament de François, rédigé au cours du printemps 1226, ne mentionne qu’un seul épisode de son existence antérieur à l’arrivée des frères : la rencontre et le service des lépreux. C’est la preuve que cette expérience représentait, aux yeux du petit Pauvre, l’élément décisif de son chemin personnel de conversion. Il vaut la peine de transcrire le passage en question :

     

    « Le Seigneur me donna ainsi à moi, frère François, de commencer à faire pénitence : comme j’étais dans les péchés, il me semblait extrêmement amer de voir des lépreux. Et le Seigneur lui-même me conduisit parmi eux et je fis miséricorde avec eux. Et en m’en allant de chez eux, ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’esprit et du corps ; et après cela, je ne restai que peu de temps et je sortis du siècle[1]. »

     

    L’expression « faire pénitence » signifie, au Moyen Âge, « se convertir ». La formule « je fis miséricorde avec eux » indique que François s’est mis à servir et soigner les lépreux, dans une maladrerie des environs d’Assise[2], non pas de façon extérieure et détachée mais en étant atteint au tréfonds de son cœur par leurs souffrances. Enfin, la dernière phrase exprime le renversement de valeurs caractéristique de toute conversion authentique – on peut songer aux paroles adressées par l’évêque Rémi à Clovis lors du baptême de celui-ci : « Brûle ce que tu as adoré ; adore ce que tu as brûlé ! » L’originalité de l’expérience de François réside dans le fait que non seulement son comportement mais ses sensations mêmes se transforment du tout au tout : « ce qui me semblait amer fut changé pour moi en douceur de l’esprit et du corps ». L’engagement de Francesco di Bernardone en faveur des lépreux précède de peu sa « sortie du siècle », c’est-à-dire sa rupture avec la société assisiate et sa consécration à Dieu. La raison en est que le service des lépreux procède de valeurs diamétralement opposées à la recherche du profit, qui régit l’activité marchande, et à la soif de pouvoir, qui gouverne la vie politique. La commune d’Assise a, certes, le souci de nourrir les lépreux et les indigents, mais elle les traite en assistés et s’avère incapable de leur ménager une place au sein de la société. Si un citoyen d’Assise entre dans une relation de cœur à cœur avec eux, sa situation deviendra vite intenable et il devra rentrer dans le rang ou bien sortir de l’enceinte de la cité et aller partager leur existence, devenant lui-même un marginal… François choisira la seconde voie.

     

    Ce passage du Testament constitue l’arrière-plan des deux plus anciens récits relatant la démarche de miséricorde de François envers les lépreux : 1C 17  [3] et 3S 11, lesquels s’attachent à en expliciter les circonstances concrètes. Contrairement aux deux autres textes, 1C 17 situe (à tort) l’événement après la renonciation de François à tous ses biens devant l’évêque d’Assise et l’interprète en un sens ascétique. La phrase de 3S 11 : « À partir de ce moment, il se mit à se mépriser de plus en plus, jusqu’à parvenir à une parfaite victoire sur lui-même par la grâce de Dieu. » lui est empruntée quasiment à la lettre. La Légende des trois compagnons offre une narration mieux construite et plus détaillée de l’épisode et, davantage encore que Test 1-3, insiste sur la transformation des sentiments intérieurs de François et le retournement de ses valeurs. 1C 17 et 3S 11 s’accordent, en revanche, pour faire découler son engagement auprès des lépreux de sa rencontre avec l’un d’eux sur une route, ce dont le Testament ne dit mot. Thomas de Celano déclare simplement que le petit Pauvre embrasse ce lépreux, mais la Légende des trois compagnons précise qu’il lui baise la main et reçoit de lui, en retour, un baiser de paix. Cette précision est d’une grande portée symbolique car, à l’époque féodale, le baiser des mains et le baiser de paix constituent deux éléments de la cérémonie de l’hommage vassalique. Le premier, donné par le vassal alors qu’il est à genoux, exprime son allégeance envers son seigneur ; le second, donné par le seigneur sur la bouche de son vassal juste après l’avoir relevé, est un signe d’accueil et d’égalité. 3S 11 indique donc implicitement, mais très clairement, que François considère le lépreux comme son seigneur. Il ne s’agit pas là – ou du moins pas seulement – d’une de ces exagérations dont François est coutumier. Le XIIe siècle a vu se répandre, en effet, la dévotion à l’humanité de Jésus et l'idée que le pauvre était l'image du Christ souffrant. C'est cette dernière thématique que la Légende des trois compagnons reprend et pousse à l’extrême : dans le lépreux, qu’il ose enfin dévisager, François voit une image, et peut-être même une personnification de son Seigneur, le Christ en croix.

     

    Une autre caractéristique de 3S 11, par comparaison avec Test 1-3 et 1C 17, est la place que tient l’argent dans ce récit : François donne un denier au lépreux rencontré sur la route et lorsqu’il se rend à la maladrerie, dans les jours qui suivent, il octroie une généreuse aumône à tous ceux qui y résident. Est-ce à dire qu’il se situe dans l’agir, et non dans l’être, et qu’il ne sait se positionner que comme celui qui donne, et non comme celui qui reçoit ? Cette question comporte probablement une part de vrai car François, à cette époque, est encore au début de son itinéraire spirituel et, malgré la victoire qu’il vient de remporter sur lui-même, il ne s’est pas totalement libéré de l’esprit du monde. Cependant, la profonde compassion qu’il éprouve envers les lépreux lui fait déjà dépasser ce stade. Bientôt, ainsi que le rapporte la Compilation d’Assise[4], qui rassemble les souvenirs de Léon, il nommera les lépreux ses « frères chrétiens ». L’usage du terme « chrétien » pour désigner les lépreux est attesté depuis le début du XIe et n’a rien d’original. L’apport propre de François est de l’employer comme adjectif, et non comme substantif, et de le faire précéder du mot « frère ». Ainsi le lépreux est-il, à ses yeux, fondamentalement et d’abord un frère, et accidentellement et secondairement une personne atteinte de la lèpre.

     

    La constatation que Test 1-3 ne mentionne pas la rencontre et l’embrassade du lépreux a été invoquée pour expliquer que ce récit était une pieuse invention de Thomas de Celano, reprise par la Légende des trois compagnons, mais l’argument n’est guère convaincant. D’une part, la sobriété de 1C 17 et la vraisemblance de cet épisode – au vu du caractère entier de François et du dégoût que lui inspiraient les lépreux, une victoire inopinée et décisive sur lui-même est fort crédible – militent en faveur de son historicité. D’autre part, le Testament est un texte synthétique, qui se concentre sur l’essentiel. Or l’important, aux yeux de François, n’est pas la façon dont il a surmonté sa répugnance envers les lépreux mais le fait que cette victoire est le fruit d’une initiative divine et, surtout, qu'elle l’a conduit à s’engager durablement à leur service. Au moins jusqu’à son départ pour l’Orient, en 1219, le service des lépreux restera un élément constitutif de la vocation de Frère mineur. La Compilation d’Assise offre un précieux témoignage à ce sujet : « au début de la religion, après que les frères commencèrent à se multiplier, il voulut que les frères demeurent dans les hôpitaux des lépreux pour les servir ; c’est pourquoi, en ce temps où venaient à la religion nobles et non nobles, entre autres choses qui leur étaient annoncées, on leur disait qu’il leur faudrait servir les lépreux et demeurer en leurs maisons[5] ».

     

     

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    [1] Test 1-3 ; traduction de J.-F. Godet Calogeras in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 308.

    [2) Il doit s’agir de l’hôpital San Lazzaro dell’Arte, situé non loin de Saint-Damien ; lorsqu’ils s’établiront à la Portioncule, François et ses frères fréquenteront aussi l’hôpital Saint-Sauveur-des-murs, tenu par les Croisiers.

    [3] VJS 12 ne doit pas être pris en compte, car ce texte reproduit presque mot pour mot 1C 17.

    [4] Voir CA 64 [LP 22]

    [5 CA 9 [LP 102] ; traduction de F. Delmas-Goyon in François d’Assise, Écrits, Vies, témoignages, vol. 1, p. 1218-1219. Voir également CA 64 [LP 22].

     

     

     

     

    Pour nous, aujourd’hui

     

    Au temps de François d’Assise, les lépreux représentaient la catégorie sociale la plus rejetée et la plus marginale, du fait du risque de contagion. Le petit Pauvre est allé parmi eux, leur a fait l’aumône et les a soignés. Qu’en est-il de notre propre attitude vis-à-vis des exclus et des indigents ? Cédons-nous à l’indifférence et à la peur, ou bien pratiquons-nous le partage avec eux, en particulier par le biais des organismes caritatifs ? Et, si nous en avons le temps, osons-nous fraterniser avec eux et lutter à leurs côtés pour le respect de leurs droits et de leur dignité ? Du point de vue franciscain et chrétien, nous ne sommes jamais les propriétaires absolus des biens dont nous disposons, car c’est à Dieu qu’ils appartiennent ultimement. Nous en sommes juste les intendants et avons le devoir de faire don, au minimum, de notre superflu à ceux qui en ont le plus besoin.

     

    François a répondu avec fougue et générosité à la grâce divine. Le texte de ce mois nous interroge aussi sur notre propre réponse à la grâce et, par voie de conséquence, sur la qualité de notre foi en Dieu, le Père de Jésus Christ. Celle-ci est-elle fervente et irrigue-t-elle toute notre existence, ou bien n’en constitue-t-elle qu’un ornement, une simple « cerise sur le gâteau » ? De même, le Christ est-il vraiment pour nous « le chemin, la vérité et la vie » (Jn 14, 6), ou bien juste une grande figure du passé, dont nous nous inspirons… à condition que cela n’entraîne aucun changement notable dans notre mode de vie ?

     

     © Éditions franciscaines, 2011 

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