• Paroles données, Paroles reçues - Élisabeth

     Paroles données, Paroles reçues


    oeil.jpgNotre existence quotidienne est jalonnée de courtes histoires, parfois l’une d’entre elles prend racine   plus profondément en nous, nourrissant notre méditation et notre vie intérieure.  Juste partager avec vous  le souvenir d’une rencontre, des paroles échangées, données, reçues.


    IL m’arrive de partir en promenade pour dessiner. Je ne sais pas dessiner, juste le plaisir de prendre mes crayons de cire grasse et de jeter sur le papier  ce bouquet de couleurs qui fait parfois défaut dans ma vie. Ce jour là, j’ai à peine le temps de m’imprégner du décors, de m’offrir toute entière à la luminosité de ce ciel, d’écouter le silence et de respirer profondément les yeux fermés, les mains ouvertes, qu’une voix  vient sans façon me troubler.


    « Qu’est ce que vous dessinez ?


    À contrecœur j'ouvre les yeux. Une femme se tient devant moi. Énorme. Monstrueusement. Grande dans les 1 m 75, la cinquantaine. Une ample robe de coton noir flotte jusqu'à ses pieds. Sur son ventre, pendu à une grosse chaîne dorée brillent les feux rouges ou jaunes et verts d’une croix grande comme une main.


     « rien je n'ai pas encore commencé.


    « Je peins moi aussi, des icônes. Et sans plus de façon elle s'assied à côté de moi.


    « Une icône  c’'est quoi ?

    « Vous n'avez jamais vu d'icônes ?

    « Si. Ce sont des images pieuses très vénérées en Russie.

    « Une icône c'est le visible de l'invisible. On ne fait pas ce qu'on veut. Il faut se couler dans un moule, suivre des règles strictes ou tout fait sens. On va du sombre à la lumière. Vous êtes croyante ?

    « Oui


    « Une icône c'est une présence. La peindre c’est allé avec patience à sa rencontre. Là commence le dialogue. Une icône, c'est une prière vivante. Mais je n'ai pas toujours peint des icônes, avant  j'étais danseuse.

    Je n'ai pu m'empêcher de crier danseuse !


    « Oui  a-t-elle rie. Je n'ai pas toujours été grosse. Un dérèglement hormonal. J'ai beaucoup dansé, du classique, du moderne. Je faisais partie d'une troupe, je dansais aussi le soir dans les boîtes de nuit, j'habitais Paris, j'étais mariée. Je sortais énormément à son grand déplaisir. Je l'ai quitté et c'est la que je me suis mis à grossir, à enfler de plus en plus. Je ne sais pas pourquoi je vous raconte tout ça .C'est drôle la vie, en quittant mon mari j'ai cru que j'allais encore plus danser, m'amuser et rire et mon corps qui se déforme et me trahit. Je suis passée par des phases de révolte, de déprime et de dégoût.

     

    Le dégoût d'un corps qu'on ne reconnaît plus. Une longue traversée du désert. 10 ans. Puis sur le conseil d'un ami j'ai fait une retraite dans une maison orthodoxe et la, j'ai rencontré le Christ. Oui je puis le dire ainsi. J'ai appris l'iconographie. Oui,  c'est vraiment curieux une vie. C’est un peu comme un grand puzzle, ces milliers de petites pièces, jusqu’ à ce que la dernière soit posée et qu’on ait pris  du recul, une légère distance, on ne sait pas ce qu’on a dessiné. Quel paysage, quel visage ?   Mais je parle, je parle, je vous dérange sans doute et avant que j’aie pu répondre, elle s’est levée  prestement. J'ai admiré sa souplesse. Comment avais-je pu me laisser abuser par son apparence ? Cette femme était véritablement une danseuse et le serait toujours et son poids n'y changerait  rien. Elle ne marchait pas, elle volait. Je suis resté songeuse un long moment, pensant à ma vie,  à celle de mes amies.  Quel visible de l’invisible est ce que nous dessinons ? Est ce vraiment un mystère ? Et j’ai compris, que chacun d’entre nous, dans sa différence, ne dessine jamais qu’un seul et même visage. Ton visage Seigneur.  C'est ton visage que nous peignons à grands traits maladroits  avec notre chair et l’eau de nos pleurs et de nos joies. C’est toi qui tente de transparaitre dans nos histoires  blessées, t’offrant à chaque fois pour les ressusciter. Troublante et bouleversante révélation qui fait de chaque existence une eucharistie.

     

    Élisabeth


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