• PARTAGER LE PAIN : UNE URGENCE ÉTHIQUE -10 (TDN)

    (doc. 10)

    PARTAGER LE PAIN : UNE URGENCE ÉTHIQUE

    L’Entraide missionnaire

     

     

    Dans le paysage des organismes québécois engagés en solidarité internationale, L'Entraide missionnaire fait figure de pionnier. Fondé en 1958 par des communautés religieuses missionnaires, cet organisme de base, autonome, regroupe aujourd'hui près de quatre-vingt-dix instituts religieux et regroupements de laïcs missionnaires du Canada franco­phone. Cette année, l'organisme célèbrera ses 50 ans d'existence.

    Tout au long de cette période, à travers ses acti­vités de formation et ses prises de position, L'EMI a été progressivement reconnue comme une ressource de qualité et un partenaire de première im­portance par plusieurs communautés religieuses, organismes de coopération internationale, réseaux d'Églises et autres groupes engagés dans la pour­suite d'objectifs communs. Son congrès annuel, ses tables de concertation sur Haïti, l'Afrique des Grands-Lacs, le Brésil et sa modeste publication L'EMI en bref, témoignent encore aujourd'hui de la constance de son engagement au service de la solidarité internationale. Il en est de même pour sa participation soutenue à différents réseaux de jus­tice sociale et de solidarité internationale dont l'As­sociation québécoise des organismes de coopération internationale, le Collectif Échec à la guerre pour l'Irak et l'Afghanistan, la Concertation pour Haïti, le Forum Afrique-Canada et le Réseau œcuménique Justice et Paix.

    En partenariat avec tous ces réseaux s'est déve­loppé au long des années un travail quotidien de réflexion sur les enjeux internationaux, en particu­lier les relations Nord-Sud. L'appauvrissement des personnes et des peuples, les violations massives des droits humains tant individuels que collectifs, les guerres et les génocides, les rapports discriminatoi­res entre les femmes et les hommes dans les socié­tés et les Églises, la mondialisation néolibérale pro­ductrice d'exclusions, les défis du dialogue entre les cultures et les religions ont été et sont encore les points d'ancrage d'interventions en matière inter­nationale.

    Le travail de formation à la mission et à la solida­rité a été maintes fois confronté à des situations de crise dans différents coins du monde : Haïti, Afrique des Grands-Lacs, Amérique latine, Palestine, Irak, Afghanistan, pour ne nommer que ceux-là. La com­plexité et la durée de ces crises ont exigé de la rigueur dans les analyses et de la concertation dans les inter­ventions qui ont jalonné toute l'histoire de L'EMI. Depuis la remise en janvier 1970 d'un mémoire au gouvernement canadien sur sa politique extérieure envers l'Amérique latine jusqu'aux récentes prises de position pour l'aménagement d'un cadre de respon­sabilité sociale pour les entreprises canadiennes qui ont des opérations dans les pays en développement ou pour le 'retrait des troupes canadiennes de l'Afghanistan, L'EMI n'a jamais cessé d'intervenir pour un monde plus juste et plus égalitaire.

    L'approfondissement des fondements de l'enga­gement chrétien et missionnaire a pris des formes variées selon la conjoncture ecclésiale. Mentionnons, entre autres, la réflexion sur l'évolution des théolo­gies de la libération et des théologies contextuelles, les chauds débats sur l'option pour les pauvres comme dimension essentielle de la fidélité évangéli­que, les rencontres sur les nouvelles façons de faire communauté inspirées de l'expérience des commu­nautés de base, les sessions sur l'approche féministe de la théologie de la libération et, particulièrement depuis les événements du 11 septembre 2001, l'es­pace accordé à la réflexion sur les nouvelles voies du dialogue entre les religions.

    L'EMI a toujours été un carrefour où se sont ren­contrées des personnes venues d'ici et d'ailleurs, de cultures, de spiritualités et de religions différentes. Ce va-et-vient constant a favorisé des déplacements importants dans la compréhension de l'état actuel du monde en mal de démocratie et de paix et a, sans contredit, ouvert des espaces pour réfléchir et inter­venir à partir du point de vue des personnes appau­vries et exclues de nos sociétés et de nos Églises. De nouvelles façons de s'engager dans le changement ont été confrontées à l'apprentissage d'une citoyen­neté responsable, à la richesse du pluralisme cultu­rel et religieux et à l'exercice difficile de la liberté, malgré l'imposition d'un catéchisme universel et un pouvoir ecclésiastique centralisateur qui limitent les façons de penser, d'agir, de célébrer en mettant la créativité au pilori !

    Il me revient à l'esprit le souvenir de René Jouen1, de regrettée mémoire, auteur de L'Eucharistie du mil. Missionnaire oblat au Nord-Cameroun et sou­cieux de mieux connaître le peuple giziga auquel il avait été envoyé, il avait choisi de faire des études en anthropologie. À l'occasion de sessions à L'EMI, il confiait qu'il lui a toujours semblé étrange qu'un peuple né du mil et vivant de lui dût, une fois de­venu chrétien, célébrer son Eucharistie en ayant re­cours au pain et au vin, naguère apportés par les étrangers qui l'évangélisèrent, et dont ses traditions ne disent rien, ne savent rien. Sa religion ancestrale était « religion du mil ». Dès lors, peut-on réellement consentir à pareille rupture symbolique et culturelle dans l'acte même où la communauté veut exprimer le meilleur de sa foi naissante ?

    Au-delà du débat entre les partisans du pain et du vin et les partisans des nourritures locales, les chrétiennes et chrétiens d'aujourd'hui sont invité-e­s, pour célébrer leur foi et leur espérance, à cons­truire des communautés signifiantes, à y accueillir les exclu-e-s de la table eucharistique et à pratiquer la justice et la solidarité en mémoire de lui. L'authen­ticité et la cohérence de nos engagements mission­naires et solidaires et de nos célébrations en dépen­dent! Comme l'écrivait Pedro Arrupe dans ses Écrits pour évangéliser2, nous ne saurions recevoir digne­ment le Pain de vie, à moins de donner nous-mê­mes du pain à ceux qui en ont besoin pour vivre, où qu'ils se trouvent, quels qu'ils soient.

    En ces temps de crise alimentaire mondiale, le prochain Congrès eucharistique international de Québec nous rappellera-t-il avec vigueur cette ur­gence éthique de partager le pain ou le mil, signe annonciateur de nouvelles relations possibles entre les humains que nous sommes, fenêtre ouverte sur une Présence qui nous attend?

    Suzanne Loiselle, directrice

     

    1.  René Jaouen, L'Eucharistie du mil, Éditions Karthala, 1995.

    2.  Pedro Arrupe, Écrits pour évangéliser, DDB, 1985.

      La suite   VIVRE LA FOI LÀ OÙ NOUS AVONS LES PIEDS -11

    « VIVRE LA FOI LÀ OÙ NOUS AVONS LES PIEDS -11 (TDN)LIBERTÉ DE PAROLE ET PAIN PARTAGÉ -9 (TDN) »

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :