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    Une femme en quête, une femme témoin

    Jésus et la Samaritaine, par Jean-François de Troy, 1742, Musée des Beaux-arts, Lyon

    Jésus et la Samaritaine, par Jean-François de Troy,
    peint en 1742, Musée des Beaux-arts, Lyon

    L'eau vive et le culte nouveau : Jean 4, 5-42
    Autres lectures : Exode 17, 3-7; Psaume 94(95); Romains 5, 1-2.5-8

     De ce splendide récit de Jean, on ne retient souvent que le thème de l’eau vive et l’accueil de Jésus envers une triple exclue : femme, samaritaine et pécheresse. Ce dernier point est un jugement trop rapide. Les Samaritains suivent la Loi de Moïse; donc cette femme qui a eu cinq maris a été répudiée cinq fois. Peut-être volage? ou stérile? mauvaise cuisinière? ou trop de caractère? On l’ignore et le récit ne s’y intéresse pas. Par contre, il met en valeur l’intuition et l’audace de cette femme. Grâce à quoi ce récit original devient le plus long dialogue des Évangiles.

    Les "blind date" bibliques

        Les histoires d’amour d’Isaac, Jacob et Moïse, aux origines d'Israël, ont commencé au bord d’un puits : ces rencontres fortuites entre un homme assis là et une femme venant puiser sont perçues comme un peu arrangées par Dieu (Genèse 24; 29; Exode 2). En Jean 4 on a l’homme, la femme et le puits, et deux allusions claires à la vie conjugale. La plus connue : Jésus dit à la femme  d’aller chercher son mari. Et avant la scène au puits, l’auteur préparait le lecteur (ignorant que nous lirions son livre en petits bouts sortis de leur contexte). Jean le baptiseur vient de parler ainsi de Jésus : Celui qui a l’épouse, c’est l’époux. Mais l’ami de l’époux se tient là, il l’entend et la voix de l’époux le comble de joie. C’est là ma joie, elle est totale (Jn 3,29).

        L’évangéliste tient donc à introduire la symbolique conjugale. Il se souvient du prophète Osée qui, huit siècles plus tôt dans la région de Samarie, évoquait les relations houleuses entre Dieu et le peuple avec cette symbolique. Osée présente l’image d’un Dieu amoureux fou, qui renonce à la colère dans l’espoir de séduire à nouveau celle qu’il aime et qu’il refuse de perdre (Osée 2). On pourrait dire qu’à travers Jésus et cette femme au puits, Dieu est présenté comme celui qui cherche à ramener à lui la Samarie.

        Ce contexte conjugal invite à voir symboliquement les cinq maris. Après la conquête du pays par l'Assyrie en 722, des populations étrangères déportées en Samarie y ont amené leurs dieux. En 2 Rois 17, on dénonce le syncrétisme religieux de ces gens, qui honorent à la fois le Dieu d'Israël et cinq dieux étrangers. La Samaritaine de notre récit manifeste, par ses questions et réactions, sa foi réelle au Dieu unique. Mais on pourrait dire que cette foi n’est pas « régularisée ». Dieu n’est pas tout à fait son « mari ».

        L’image de l’Époux ajoute à la richesse du récit où se dévoile peu à peu l’identité de Jésus. Son dialogue avec la femme, construit avec habileté, va favoriser cette révélation progressive.

    Curiosité pour Jésus ou soif de Dieu? 

        La femme voit d’abord en Jésus l’homme juif, qui ne devrait pas lui parler. Les Juifs jugent les Samaritains comme schismatiques et infidèles à l’alliance. Elle aurait dû se taire et vite lui donner à boire pour qu’il parte. Mais elle ose plutôt exprimer sa surprise, ce qui permet à Jésus de l’amener sur un registre plus symbolique: il est, lui, source d’une eau vive jaillissant en vie éternelle. Elle comprend d’abord au premier degré, sans entrer dans le sens symbolique. Mais elle a déjà introduit leur héritage religieux commun dans la conversation, en mentionnant Jacob, père d'Israël. Comme pour voir où ça va mener... cet étranger agissant un peu hors norme, qu’a-t-il à dire sur la religion?

        Après la parole de Jésus sur ses cinq maris, plutôt douche froide, elle devrait partir, gênée. Au lieu de cela, elle entame carrément un débat religieux. Ça n’est surtout pas la place d’une femme! Mais voyant en Jésus un possible prophète, elle l’interroge sur un point central de la foi d'Israël, qui est aussi la sienne : le culte rendu au Dieu unique. Et sur ce qui les sépare, lui juif et elle samaritaine: le lieu approprié pour l’adorer. Chez nous ou chez vous? Rien ne justifie un tel saut dans la profondeur de l’échange, sinon que cette question l’habite déjà. Comme si elle avait quelques doutes sur ce qui devait être évident pour ses coreligionnaires.

        Jésus va la suivre sur ce terrain qui lui permet d’aller beaucoup plus loin: peu importe votre temple ou le nôtre, car Dieu cherche des adorateurs en esprit et en vérité. Réponse qui devrait être déconcertante? ou justement le genre de réponse qu’elle espérait confusément en posant la question : c’est au plus profond de soi-même et de sa vérité qu’on rencontre le vrai Dieu.

    Femme intuitive? elle le sollicite à aller plus loin avec un nouveau thème : la venue du messie, espoir de tous les enfants d’Abraham et de Jacob, celui qui « nous fera tout connaître ». Jésus valide sa quête d’intelligence spirituelle et lui répond bien au-delà de son attente : ce messie que tu espères, c’est moi! Ayant entendu cela, elle laisse sa cruche et court en parler aux gens de sa ville.

    Mission réussie

        Le retour des disciples (v. 27) ouvre une nouvelle étape du récit. Curieusement, le narrateur mentionne d’abord leur arrivée avant d’indiquer la fin de la première étape, le départ de la femme, et le début de la troisième étape : les gens sortent de la ville et se dirigent vers Jésus (28-30).

        Dans cette deuxième étape, les paroles de Jésus aux disciples mettent en valeur sa mission, plutôt que son identité : ce qui le nourrit, c’est d’accomplir l’oeuvre de Dieu. La nourriture fonctionne ici sur le registre symbolique, comme l’eau au début. Les disciples restent au premier degré, comme la femme dans sa première réaction. Jésus donne alors un enseignement sur sa mission, évoquée par l’image de la moisson. Même si la saison réelle des moissons est dans quatre mois, dit-il, levez les yeux et regardez: déjà les champs sont blancs pour la moisson!

        Que verront les disciples, s’ils lèvent les yeux? les gens de la ville qui s’approchent. Ils sont justement la moisson, i.e. le résultat des semailles qui viennent d’être faites. Le récit a bien imbriqué ces deux étapes, en annonçant l’arrivée des gens avant les paroles de Jésus. Il a lui-même semé, en allant très loin dans la révélation à cette femme intelligente et motivée. Elle aussi a semé à son tour : elle a témoigné de sa rencontre et invité ses concitoyens à venir vers cet homme qui pourrait être le messie. Sur sa parole, les gens viennent accueillir l’enseignement de Jésus. Ce récit est donc doublement original : non seulement il offre le plus long dialogue des Évangiles, mais c’est aussi le seul récit complet d’une collaboration féconde et efficace de quelqu'un à la mission de Jésus.

        À travers ces gens que la femme a attiré à Jésus, et qui iront encore plus loin qu’elle en le proclamant « sauveur du monde », c’est toute la Samarie que le récit évoque symboliquement comme l’épouse retrouvant, heureuse, son Dieu qui la cherchait.

        Ce Dieu nous cherche aussi, au détour des rencontres fortuites. Il espère notre quête d’intelligence de la foi et nos doutes sur les routines religieuses, qui ouvrent un espace intérieur où il pourra se révéler. Et il mise sur notre témoignage, qui invitera encore d’autres gens à venir le rencontrer.

     Francine Robert, bibliste

     Source : Le Feuillet biblique, no 2525. Toute reproduction de ce commentaire, à des fins autres que personnelles, est interdite sans l'autorisation du Centre biblique de Montréal.

    source www.interbible.org

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