• Angoisse de l’agonie, joie de la guérison – AT 23 - InterBible

    Ézéchias (à droite), Manassé et Amon. Michel-Ange, 1508.
    Fresque de la chapelle Sixtine, Vatican (Wikipédia).

    Angoisse de l’agonie, joie de la guérison – AT 23

    Paul-André DurocherPAUL-ANDRÉ DUROCHER | 30 OCTOBRE 2023

    Référence biblique : Isaïe 38, 10-20 (cantique d’Ézéchias)
    Liturgie des Heures : Mardi II – Laudes

    10Je disais : Au milieu de mes jours, je m’en vais ;
    j’ai ma place entre les morts pour la fin de mes années.
    11 Je disais : Je ne verrai pas le Seigneur sur la terre des vivants,
    plus un visage d’homme parmi les habitants du monde !

    12 Ma demeure m’est enlevée, arrachée, comme une tente de berger.
    Tel un tisserand, j’ai dévidé ma vie : le fil est tranché.
    Du jour à la nuit, tu m’achèves ; 13 j’ai crié jusqu’au matin.
    Comme un lion, il a broyé tous mes os. Du jour à la nuit, tu m’achèves.

    14 Comme l’hirondelle, je crie ; je gémis comme la colombe.
    À regarder là-haut, mes yeux faiblissent : Seigneur, je défaille ! Sois mon soutien !
    15 Que lui dirai-je pour qu’il me réponde, à lui qui agit ?
    J’irais, errant au long de mes années avec mon amertume ? "

    16 Le Seigneur est auprès d’eux : ils vivront ! Tout ce qui vit en eux vit de son esprit ! "
    17 Oui, tu me guériras, tu me feras vivre : mon amertume amère me conduit à la paix.
    Et toi, tu t’es attaché à mon âme, tu me tires du néant de l’abîme.
    Tu as jeté, loin derrière toi, tous mes péchés.

    18 La mort ne peut te rendre grâce ni le séjour des morts, te louer.
    Ils n’espèrent plus ta fidélité, ceux qui descendent dans la fosse.
    19 Le vivant, le vivant, lui, te rend grâce, comme moi, aujourd’hui.
    Et le père à ses enfants montrera ta fidélité.

    20 Seigneur, viens me sauver ! Et nous jouerons sur nos cithares,
    tous les jours de notre vie, auprès de la maison du Seigneur.

    Sens original. Le prophète Isaïe fut témoin d’une époque dramatique dans l’histoire d’Israël. Il vécut sous trois rois, dont un seul, Ézéchias, lui donna une raison d’espérer. Ézéchias, en effet, accueillait les conseils d’Isaïe. Il rétablit son royaume sur la base de l’Alliance en recentrant le culte yahviste au Temple de Jérusalem. Lorsque le roi de l’Assyrie dressa un siège contre Jérusalem, Ézéchias confia sa cause au Seigneur qui intervint et dispersa les forces ennemies de façon miraculeuse.

    Il n’est donc pas surprenant qu’Ézéchias se soit tourné encore vers le Seigneur lorsque, dans la force de l’âge, il se trouva gravement malade. Sa prière — notre cantique AT 23 — est rapportée au chapitre 38 du livre d’Isaïe. Elle comporte deux sections : une première (versets 10 à 15) décrit l’angoisse qu’il ressent à la pensée de mourir ; une seconde (16-20) loue le Seigneur pour sa guérison. L’angoisse d’Ézéchias est d’autant plus grande qu’il partage la conviction commune à son époque que la mort est un cul-de-sac. Seul le Shéol nous attendrait, un état végétatif où aucune relation ne survit, pâle reflet de la vie actuelle. Le texte nous offre une image saisissante de la mort : elle ressemble à une tempête qui arrache sa tente au berger et l’emporte au loin. Pour le berger, c’est la catastrophe.

    Cent cinquante ans plus tard, le royaume de Juda tomba aux mains de l’empire de Babylone et les résidents de Jérusalem furent déportés à leur tour. Parmi eux se trouvaient des disciples d’Isaïe qui continuèrent son œuvre. Dans ce contexte, la prière d’Ézéchias prit un nouveau sens. Elle devint la prière de tout un peuple qui se sentait mourir. Leur tente commune — la Terre promise — leur avait été arrachée. La tente particulière de Dieu — le Temple — avait été saccagée et détruite. La guérison d’Ézéchias prit alors l’allure d’une promesse que Dieu n’abandonnerait pas son peuple. Les successeurs d’Isaïe ont entretenu cette espérance par leurs prédications et leurs écrits. Ce sont peut-être eux qui, en rêvant à la restauration éventuelle du Temple, rédigèrent les derniers mots de ce cantique : « Seigneur, viens me sauver ! Et nous jouerons sur nos cithares, tous les jours de notre vie, auprès de la maison du Seigneur. »

    À la lumière des Évangiles. Les disciples d’Isaïe ont eu raison, le Temple a été reconstruit quelques décennies plus tard. Mais cinq siècles après, un autre prophète annoncerait la destruction de ce second Temple : « Amen, je vous le dis : il ne restera pas ici pierre sur pierre ; tout sera détruit. » (Matthieu 24,2) Le prophète était Jésus et sa prophétie s’est réalisée. L’Empire romain a rasé le sanctuaire de Jérusalem en l’an 70 de notre ère, une tragédie qui entraîna une transformation importante du judaïsme. Quant aux chrétiens, convaincus de la résurrection de Jésus, ils ont vécu cet événement d’une façon différente. Ils comprirent que Dieu avait établi une nouvelle demeure sur la terre en la personne même de son Fils. Comme le dit l’évangéliste Jean : « Le Verbe s’est fait chair, il a demeuré parmi nous, et nous avons vu sa gloire. » (Jean 1,14) L’original grec dit littéralement : « Il a établi sa tente parmi nous ! » De plus, cette tente a été érigée pour l’éternité dans la puissance de la résurrection du Christ. Comme il l’a dit : « “Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai.” […] Lui parlait du sanctuaire de son corps. » (Jean 2,19.21)

    Qui plus est, les chrétiens eux-mêmes se sentaient engagés dans cette nouvelle réalité. Jésus n’avait-il pas dit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure » ? Oui, grâce au don de l’Esprit, la jeune Église devenait elle-même la demeure de Dieu, sa tente sur la terre, signe précurseur de la demeure éternelle qui attend les disciples au-delà de la mort.

    C’est pourquoi saint Paul pouvait écrire : « Même si notre corps, cette tente qui est notre demeure sur la terre, est détruit, nous avons un édifice construit par Dieu, une demeure éternelle dans les cieux qui n’est pas l’œuvre des hommes. » (2 Corinthiens 5,1)

    Dans ma vie. J’ai été bien engagé dans le scoutisme à l’adolescence. J’en ai monté et démonté, des tentes ! Je me souviens d’un jamboree international qui vira à la catastrophe lorsqu’un millier de tentes furent renversées par un vent d’ouragan. Une tente, c’est fragile, provisoire, vulnérable. Heureusement que de bonnes gens nous ont ouvert leurs portes pour que nous passions la nuit à l’abri, sains et saufs.

    Face à la mort qui s’approchait de lui, Ézéchias a senti que sa tente lui était enlevée, emportée par le vent. Convaincu qu’aucune autre demeure ne s’ouvrirait pour lui, il a paniqué et, dans sa panique, il a crié vers le Seigneur qui exauça sa prière. Avec lui, nous pouvons nous en réjouir. Mais ce n’était qu’une grâce temporaire. La mort a éventuellement rattrapé le pauvre Ézéchias, comme elle nous rattrapera tous et toutes.

    Croire que la tente que j’habite présentement n’est pas mon ultime demeure me permet d’accepter sa fragilité et sa vulnérabilité. Je sais qu’une autre demeure — permanente, celle-là — m’est promise et m’attend. D’ailleurs, elle se construit déjà en moi si j’accepte de devenir la demeure de Dieu lui-même sur cette terre en aimant Jésus et en gardant sa parole.

    Dans le plan de Dieu. Le cantique d’Ézéchias peut être compris comme une prière personnelle d’action de grâces pour une guérison ou comme l’expression d’un peuple exilé qui espère retrouver sa patrie et son Temple. Mais à la lumière du mystère pascal, on peut y voir les pleurs anxieux d’un petit enfant qui ne comprend pas encore la puissance amoureuse de son père qui peut le délivrer de toutes ses craintes. On ne se moque pas d’un tel enfant. Mais tout en respectant sa peur, on veut l’aider à grandir et à comprendre qu’il n’a pas besoin de s’inquiéter. Ainsi sommes-nous envoyés vers nos frères et nos sœurs humains pour leur annoncer la Bonne Nouvelle de la résurrection du Christ et sa conséquence en nos vies : nous sommes créés pour vivre dans la joie éternelle.

    Avec Job, prophète à sa façon, nous pouvons proclamer : « Je sais, moi, que mon rédempteur est vivant, que, le dernier, il se lèvera sur la poussière ; et quand bien même on m’arracherait la peau, de ma chair je verrai Dieu. » (Job 19, 25-26) Ce jour-là, l’espérance d’Ézéchias se réalisera d’une manière qu’il n’aurait jamais pu imaginer : « Nous jouerons sur nos cithares, tous les jours de notre vie, auprès de la maison du Seigneur. »

    Mgr Paul-André Durocher est archevêque de Gatineau (Québec).

    SOURCE  http://www.interbible.org/

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  • Commentaires

    1
    ambrinete
    Mercredi 1er Novembre 2023 à 16:44

    Merci pour cette réflexion qui  doit interpeler bien des lecteurs .

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